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139. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre V. Indices et germes d’un art nouveau — Chapitre II. Signes de la prochaine transformation »

Quelques types mondains nous représentent très nettement la transformation intime des âmes. […] Enfin la langue des livres et des salons est un système délicat de signes aptes à représenter des idées ; elle est indigente de formes figuratives des choses concrètes, vide de propriétés évocatrices des émotions. […] Dès qu’on veut l’employer à représenter des sensations, des passions, plutôt que des idées, des impressions plutôt que des déductions, elle sonne faux ; elle se tend, et craque ; elle se boursoufle, et bâille. […] Voltaire mort et devenu l’intangible idéal, l’abbé Delille représenta la plus haute forme du génie poétique que le public fût capable de concevoir.

140. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre I. Publicistes et orateurs »

Il eut contre lui tous les partis qui représentaient les formes antérieures du gouvernement : légitimistes, orléanistes, républicains. […] Paradol donna en 1868 un livre de la France nouvelle qui lit grand bruit : il y disait, avec une précision poignante de clairvoyance, la désorganisation et la faiblesse militaire de la France impériale, le conflit prochain et redoutable de la France et de l’Allemagne ; mais il voyait aussi, avec une douleur non moins profonde842, le mouvement démocratique qui emportait les masses, les aspirations égalitaires qui ne représentaient pour lui qu’une terrifiante anarchie. […] Un autre normalien, tout voltairien d’esprit et de style, conteur exquis et charmant causeur, d’intelligence plus agile que forte, et plus en surface qu’en profondeur, impertinent, tapageur et gamin, Edmond About843, fut un indépendant agréable à l’empire, qui le protégea, le décora : il y avait un point pourtant sur lequel About ne transigeait pas, c’était la question religieuse ; il représentait l’opinion anticléricale dans le parti bonapartiste, et il combattit toujours vivement le gouvernement lorsqu’il voulut se servir de l’Église ou parut la servir. […] Sa hauteur d’esprit et son patriotisme lui représentaient l’union morale des Français comme un objet désirable ; déposant les rancunes après la victoire de ses principes, il ne voulait pas retenir indéfiniment les mots d’ordre et les moyens de combat qu’imposaient les nécessités provisoires île la politique.

141. (1890) L’avenir de la science « X » pp. 225-238

Les phénomènes de l’enfance nous représentent donc les phénomènes de l’homme primitif 91. […] Appliquées dans des milieux différents, elles produisent des effets tout divers ; que les mêmes circonstances se représentent, les mêmes effets reparaîtront. […] Le cippe grossier par lequel les Hellènes représentaient les Grâces leur disait plus de choses que de belles statues allégoriques. […] Une belle copie d’un tableau de Raphaël est belle, car elle n’a d’autre prétention que de représenter Raphaël. […] Il faut prendre l’œuvre pour ce qu’elle est, parfaite dans son ordre, représentant éminemment ce qu’elle représente, et ne pas lui reprocher ce qu’elle n’a pas.

142. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre V. Le souvenir du présent et la fausse reconnaissance »

C’est que la vie psychologique normale, telle que nous nous la représentons, est un système de fonctions dont chacune a son dispositif particulier. […] Or, ce n’est pas sur la qualité, à coup sûr, qu’elle porte effectivement, puisque le souvenir doit nous représenter le passé sans l’altérer. […] De quelque manière que nous nous représentions le mécanisme cérébral de la perception, nous ne voyons dans le souvenir qu’un nouvel ébranlement du même mécanisme, une répétition atténuée du même fait. […] Et pourtant il ne nous représente pas quelque chose qui ait été, mais simplement quelque chose qui est ; il marche pari passu avec la perception qu’il reproduit. […] Représentons-nous la totalité des souvenirs inconscients comme pressant contre la conscience — celle-ci ne laissant passer, en principe, que ce qui peut concourir à l’action.

143. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Préface de l’auteur »

Si donc nous nous guidons sur elle, si nous allons chercher au temps des caractères comme ceux de l’espace, c’est à l’espace que nous nous arrêterons, à l’espace qui recouvre le temps et qui le représente à nos yeux commodément : nous n’aurons pas poussé jusqu’au temps lui-même. […] La théorie de la Relativité généralisée vient d’ailleurs s’y placer elle-même, quand elle veut qu’une des coordonnées représente effectivement le temps.

144. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français »

Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc63, et à ce propos de l’ancien théâtre français Lundi 27 octobre 1862  Ce mystère (c’est ainsi qu’on appelait les pièces sérieuses et religieuses de notre ancien théâtre) est, à vrai dire, une sorte de drame historique dont Jeanne d’Arc est l’héroïne ; il a été composé et sans doute représenté à Orléans au xve  siècle, de 1429 à 1470. […] C’est ainsi que quelques pièces latines, composées à l’imitation de Térence, mais sur des sujets d’édification, par Hrotsvitha, une religieuse allemande du xe  siècle, du monastère de Gandersheim en Saxe, lui paraissent avoir dû être représentées en effet, et il y voit un fait considérable. […] Des clercs en chape blanche représentaient, les trois Maries, c’est-à-dire Marie-Madeleine, Marie, mère de Jacques, et une troisième Marie ; qui ne serait autre que Salomé. […] Magnin, qu’on a chanté dans un grand nombre d’églises et dans certaines processions, aux xiie et xiiie  siècles, des hymnes et cantiques en langue vulgaire, à la gloire des saints du lieu, ou bien encore la veille ou le jour des grandes fêtes ; si les exemples de ces chants particuliers qui n’étaient pas en latin, et qu’on tolérait malgré les canons, sont nombreux et irrécusables, on n’a pas jusqu’ici d’exemple avéré d’un mystère tout en français représenté dans l’intérieur d’une église. […] La scène représente d’abord le Paradis, et le livret donne à cet égard des indications précises : « Que le Paradis soit établi sur un lieu élevé, nous dit l’auteur ou l’ordonnateur du jeu dans le cas prévu où nous voudrions monter la pièce ; qu’on tende tout autour des courtines et des étoffes de soie à une hauteur telle que les personnages qui seront dans le Paradis ne puissent être vus qu’à partir et au-dessus des épaules.

145. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre premier. Les signes — Chapitre II. Des idées générales et de la substitution simple » pp. 33-54

. ; celui de polygone représente la qualité commune à toutes les sortes de polygones, triangles, quadrilatères, pentagones, hexagones, etc. — On voit la liaison de ces deux caractères du nom ; il est général parce qu’il est abstrait ; il convient à toute la classe parce que l’objet désigné, n’étant qu’un morceau, peut se retrouver dans tous les individus de la classe, lesquels, semblables à ce point de vue, restent néanmoins dissemblables à d’autres points de vue. […] Ordonner à quelqu’un de voir ou d’imaginer plusieurs côtés et, en même temps, de n’en voir ou imaginer ni trois, ni quatre, ni aucun nombre, c’est prescrire et interdire à la fois la même opération. — Pareillement, lorsque, après avoir vu dans la campagne trente arbres différents, des chênes, des tilleuls, des bouleaux, des peupliers, je prononce le mot arbre, je ne trouve pas en moi-même une figure colorée qui soit l’arbre en général ; car l’arbre en général a une hauteur, une tige, des feuilles, sans avoir telle hauteur, telle tige, telles feuilles ; et il est impossible de se représenter une grandeur et une forme, sans que cette grandeur et cette forme soient telles ou telles, c’est-à-dire précises. — À la vérité, devant le mot arbre, surtout si je lis lentement et avec attention, il s’éveille en moi une image vague, si vague qu’au premier instant je ne puis dire si c’est celle d’un pommier ou d’un sapin. […] Si lucide et si compréhensive que soit la vue intérieure, après cinq ou six, vingt ou trente lignes, tirées à grande peine, l’image se brouille et s’efface ; et cependant ma conception du myriagone n’a rien de brouillé ni d’effacé ; ce que je conçois, ce n’est pas un myriagone comme celui-ci, incomplet et tombant en ruine, c’est un myriagone achevé et dont toutes les parties subsistent ensemble ; j’imagine très mal le premier et je conçois très bien le second ; ce que je conçois est donc autre que ce que j’imagine, et ma conception n’est point la figure vacillante qui l’accompagne. — Mais d’autre part cette conception existe ; il y a en moi quelque chose qui représente le myriagone et qui lui correspond exactement. […] Par l’accumulation et la contrariété des expériences journalières, les tendances et les noms se multiplient, se circonscrivent, se subordonnent, comme les qualités générales qu’ils représentent ; et la hiérarchie des choses se traduit et se répète en nous par la hiérarchie des tendances et des noms. […] Les deux mots de chaque couple représentent deux objets différents et sentis différemment chez les deux peuples.

146. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre IV. Le roman »

La comédie essaya bien de se mettre d’accord avec cette disposition des esprits ; mais la difficulté de représenter matériellement les formes de la vie, lieux, meubles, costumes, toutes ces choses où les mœurs générales et les tempéraments individuels mettent leur empreinte, paralysait l’effort des auteurs, dans l’état où était encore l’art de la mise en scène ; et tout le siècle s’écoule sans arriver à créer la pièce réaliste. […] Mais la satire de Lesage est pittoresque ; elle est une peinture des hommes et de la vie ; et c’est par là que Lesage est au xviiie  siècle le véritable héritier de Molière et de La Bruyère, à l’exclusion de tous ces auteurs de comédies qui ne savent que diriger des épigrammes pincées contre les mœurs sans les représenter au vif. […] Sans doute, la liberté des mœurs du xviiie  siècle ne s’y représente pas expressément, et Marivaux — c’est du reste à son honneur — ne tient pas lieu de Crébillon fils ou de Laclos501. […] On a fait déjà des peintures de la vie intime et domestique : jamais on n’a représenté avec une gravité si sérieuse les occupations du ménage, les soins, les devoirs de la maîtresse de maison, les actes, les aspects de la vie du propriétaire. […] Lesage, Marivaux ont représenté des milieux : mais ils n’y ont cherché que l’homme, ils y ont relevé tous les indices caractéristiques d’une vie ou d’une société.

147. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre premier. La contradiction de l’homme » pp. 1-27

Il est ses ancêtres, et il est aussi ses contemporains, et même il représente en quelque sorte les gens de l’avenir. […] Parfois un homme renonce à la vie plutôt que de laisser périr d’autres hommes, ou plutôt que de ne pas obéir à des commandements moraux ou religieux que la société lui a inculqués, et qui représentent, en lui et pour lui, soit les désirs d’autrui, soit la société, soit la volonté de Dieu, ou quelque rêve d’idéal, quelque obscure loi d’un monde meilleur vaguement entrevu. […] Des idées et des sentiments qui les représentent deviennent instinctifs et comme inconscients. […] Établir le maximum d’harmonie et de solidarité entre les individus, entre les groupes, entre les peuples, c’est un idéal qui s’impose et que chacun, du reste, se représente à sa manière. […] Cet instinct social, c’est l’ensemble ou la résultante de tous les sentiments, de toutes les idées, de toutes les impressions, de toutes les tendances, des perceptions mêmes et des faits inconscients ou subconscients qui, en nous, représentent les autres, qui introduisent les autres dans l’intimité de notre esprit, qui les font participer à notre vie mentale ; c’est la partie de nous qui ne nous appartient plus mais veut nous conquérir, qui lutte contre nous et qui nous trompe lorsqu’elle ne peut nous vaincre.

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