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962. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « La reine Marie Leckzinska (suite et fin.) »

Conclusion générale : après avoir vu ces trois portraits de la reine, toute idée de fadeur a disparu ; ces hommes de talent lui ont rendu le plus grand des services auprès de la postérité. […] « Certes, disait ce même d’Argenson qui ne mâche pas ses propos, c’est lui rendre un grand service que de se trouver à l’après-souper en tiers entre elle et Mme de Mailly. […] À Lunéville, où l’on se rendit en quittant Metz, la reine fit une nouvelle tentative auprès du roi pour avoir la permission d’aller à Strasbourg, cette permission qui l’eût réintégrée en pied publiquement dans ses honneurs de reine et d’épouse. […] Elle agit sur l’esprit du roi de manière à le rendre moins glacial et plus agréable à l’égard de la reine. […] Cette faiblesse, si c’en est une, est peut-être ce qui rend Thémire charmante.

963. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat. »

Massillon, dans ce magnifique Discours pour la bénédiction des drapeaux, rendait à Catinat cette justice entre tous les guerriers que « la sagesse était comme née avec lui. ». […] Il rendit d’importants services dans les trois premières campagnes de la guerre qui commença en 1672, et principalement en 1673 à l’attaque de l’ouvrage à corne de Maëstricht. […] laissons Saint Simon parler et peindre : « De l’esprit, dit-il, dans son admirable et brûlant croquis de La Feuillade, une grande valeur, une plus grande audace, une pointe de folie gouvernée toutefois par l’ambition, et la probité et son contraire fort à la main, avec une flatterie et une bassesse insignes pour le roi, firent sa fortune et le rendirent un personnage à la Cour, craint des ministres et surtout aux couteaux continuels avec M. de Louvois. ». […] Mattioli se rendit lui-même en France au mois de décembre 1678 : introduit à Versailles avec les précautions les plus mystérieuses, il remit à Louis XIV en personne une lettre du duc de Mantoue, reçut la réponse du roi ; et la cession de Casal, pour laquelle M. de Pomponne, ministre des affaires étrangères, déjà bien voisin d’une disgrâce, n’intervint que pour les formalités de signature, fut arrangée directement avec Louvois, vrai ministre, fut ordonnée et réglée par lui dans le dernier détail. […] Louvois lui écrivait à Tournai, ou il commandait alors, le 22 juillet 1681 : « Monsieur, le service du roi désirant que vous fassiez incessamment un voyage pareil à celui du commencement de l’année passée79, je vous en donne avis, afin que, prétextant quelque affaire de famille, vous mandiez à vos amis en Flandre que M. votre père vous a obtenu votre congé pour deux mois, et qu’en effet vous partiez pour vous rendre entre ci et douze ou quinze jours, sous mystère, à Fontainebleau, où je vous entretiendrai et vous remettrai les ordres du roi de ce que vous aurez à faire.

964. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « THÉOPHILE GAUTIER (Les Grotesques.) » pp. 119-143

Gautier, il m’était arrivé de rendre mon impression personnelle en ces termes : « Je viens de lire tous les détails relatifs à l’affaire de ce pauvre poëte Théophile et à son délit. […] Théophile Gautier a un sentiment très-vif d’une certaine espèce de poésie pittoresque et matérielle ; quand il n’en fait pas pour son propre compte, il excelle à la décrire et à la mettre en saillie là où il la rencontre, il la refait bien souvent et l’achève tout en la racontant ; c’est ce qui lui est arrivé plus d’une fois à propos de ces rimeurs dont il nous rend les ébauches. […] les grands hommes ne devraient jamais avoir de postérité : les Césars engendrent communément des Laridons, et les Racine père des Racine le fils… » Je ne m’amuserai pas à réfuter ce que le spirituel auteur a lancé là en passant comme une de ces espiègleries bien irrévérentes qui font sa joie ; je le renverrai seulement à la très-belle page des Soirées de Saint-Pétersbourg (3e Entretien), dans laquelle Joseph De Maistre, qui ne passe pas pour être esclave du lieu commun, rend à Racine fils un hommage aussi touchant que celui que Montesquieu payait à Rollin. […] L’historien de Louis XIII, dans le compte exact et fin qu’il nous rend des vicissitudes du poëte, n’a pas de peur plus grande que celle de paraître l’admirer ; sa parole discrète et correcte est comme armée à demi-mot d’une épigramme continuelle. […] En y corrigeant les inexactitudes de faits, en y revisant les jugements pour en modifier l’excessif et le juvénile, en persistant toutes les fois qu’il croirait avoir raison, en daignant par instants discuter les opinions des autres, en complétant aussi sa galerie par quelques autres portraits du temps qui y manquent, et où il apporterait désormais plus de précaution (comme il en a su prendre dans son article Scarron, d’ailleurs si amusant), il aurait fait, non pas une histoire régulière de la poésie sous Louis XIII, mais un piquant, un mémorable essai, dans lequel le sentiment très-vif et très-filial qu’il a de cette poésie, et qu’il rend d’une manière unique, compenserait heureusement bien des écarts.

965. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVe entretien. Littérature grecque. L’Iliade et l’Odyssée d’Homère » pp. 31-64

Le jugement est le quatrième, parce qu’il nous enseigne seul dans quel ordre, dans quelle proportion, dans quels rapports, dans quelle juste harmonie nous devons combiner et coordonner entre eux ces souvenirs, ces fantômes, ces drames, ces sentiments imaginaires ou historiques, pour les rendre le plus conformes possible à la réalité, à la nature, à la vraisemblance, afin qu’ils produisent sur nous-mêmes et sur les autres une impression aussi entière que si l’art était vérité. […] Enfin, le sixième élément nécessaire à cette création intérieure et extérieure qu’on appelle poésie, c’est le sentiment musical dans l’oreille des grands poètes, parce que la poésie chante au lieu de parler, et que tout chant a besoin de musique pour le noter, et pour le rendre plus retentissant et plus voluptueux à nos sens et à notre âme. […] Les fibres qu’on ne torture pas ne rendent que peu de sons. […] Il lui apprend le patriotisme par le récit des exploits de ses héros, qui quittent leur royaume paternel, qui s’arrachent des bras de leurs mères et de leurs épouses pour aller sacrifier leur sang dans des expéditions nationales, comme la guerre de Troie, pour illustrer leur commune patrie ; il lui apprend les calamités de ces guerres dans les assauts et les incendies de Troie ; il lui apprend l’amitié dans Achille et Patrocle, la sagesse dans Mentor, la fidélité conjugale dans Andromaque ; la piété pour la vieillesse dans le vieux Priam, à qui Achille rend en pleurant le corps de son fils Hector ; l’horreur pour l’outrage des morts dans ce cadavre d’Hector traîné sept fois autour des murs de sa patrie ; la piété dans Astyanax, son fils, emmené en esclavage dans le sein de sa mère par les Grecs ; la vengeance des dieux dans la mort précoce d’Achille ; les suites de l’infidélité dans Hélène ; le mépris pour la trahison du foyer domestique dans Ménélas ; la sainteté des lois, l’utilité des métiers, l’invention et la beauté des arts ; partout, enfin, l’interprétation des images de la nature, contenant toutes un sens moral, révélé dans chacun de ses phénomènes sur la terre, sur la mer, dans le ciel ; sorte d’alphabet entre Dieu et l’homme, si complet, et si bien épelé dans les vers d’Homère, que le monde moral, le monde matériel, réfléchis l’un dans l’autre comme le firmament dans l’eau, semblent n’être plus qu’une seule pensée et ne parler qu’une seule et même langue à l’intelligence de l’aveugle divin ! […] Sous Ptolémée Philopator, les Smyrnéens lui érigèrent des temples et les Argiens lui rendirent les honneurs divins.

966. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXXe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 193-236

les unes pour mourir tout de suite et pour aller l’attendre dans le paradis, dont je n’aurais vu que quelques heures sur la terre, et les autres pour lui rendre la liberté et la vie, lui sacrifiant à son insu la mienne. […] Il crut que la faiblesse de mon âge me rendait trop pénible, ce soir-là, la vue d’un homme qui devait mourir le lendemain et dont on entendait déjà l’agonie tinter dans tous les clochers de Lucques et même aux villages voisins. […] Que Dieu le leur rende à leur dernier jour, ils ont bien prié, et pour moi sans le savoir ! […] Que de grâces nous rendîmes à la Providence, quand il nous apprit la commutation de peine ! […] Quand elle m’eut regardée un moment et interrogée sur mon état de grossesse, qui rendait ma présence au couvent suspecte et inconvenante, sa figure se rembrunit : — Non, dit-elle, mon enfant, la duchesse n’y a pas pensé !

967. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre IV. Des figures : métaphores, métonymies, périphrases »

Il faut considérer en eux maintenant d’autres propriétés, qui achèvent de les rendre capables de servir à tous les besoins de la plus agile et plus curieuse pensée. […] Enfin par certaines combinaisons régulières ou du moins correctes, mais qui détournent les constructions de leur emploi ordinaire comme les tropes détournent les mots de leur sens commun, on peut rendre certains sentiments et certaines idées dont la langue ne pourrait autrement marquer l’exact degré et la couleur particulière. […] En général, les figures servent à rendre ce qui échappe à la prise brutale et matérielle des mots : on ne s’étonnera donc pas qu’elles servent surtout à traduire ce qui est sentiment ou passion ; les pures idées intellectuelles et les objets du monde réel sont en général directement touchés par les mots et par l’application littérale des lois communes de la grammaire et de la syntaxe. […] Les métaphores n’ont pas besoin d’être préparées, ni annoncées par l’écrivain, mais comprises par le public ; et elles sont suffisamment amenées, dès qu’on les rend claires et justes. […] Et de même dans la fameuse période par où Bossuet commence l’oraison funèbre de la reine d’Angleterre, la périphrase par laquelle il désigne Dieu rend tout croyable de sa puissance, et dispose à voir sa main dans les malheurs des rois.

968. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre V »

La marquise, avertie par son amant de l’indignité de son créancier, lui rapporte, avec mépris, l’argent volé qu’il lui a rendu. […] Henri, qui ne veut pas d’un pareil beau-frère, lui rappelle le procès qui le déshonore ; sur quoi, Vernouilhet tire de sa poche un vieux numéro de la Gazette des Tribunaux qu’il met sous les yeux du jeune puritain ; puis il s’éloigne, et le banquier, survenant un instant après, trouve son fils, la honte au front et les yeux en larmes ; il prend le journal qui le fait rougir… C’est le compte rendu d’un procès pareil à celui de Vernouilhet, subi il y a vingt ans par son père… Tout s’arrange cependant. […] il vient de rendre sa dernière injure. […] On ne saurait mieux rendre l’élan d’une âme honnête mordue par un soupçon outrageant. […] C’en est fait, il faut se rendre.

969. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Mémoires d’outre-tombe, par M. de Chateaubriand. Le Chateaubriand romanesque et amoureux. » pp. 143-162

» Et c’était à l’Alhambra qu’elle lui avait donné rendez-vous au retour, et laissé entrevoir la récompense. Elle s’y était rendue de son côté, et l’on assure que les noms des deux pèlerins se lisaient encore, il y a quelques années, sur les murailles moresques où ils les avaient tracés. […] » La réponse à une telle question pourrait être piquante à débattre ; on pourrait soutenir le pour et le contre ; on pourrait jouer agréablement là-dessus, et, si l’on devenait tout à fait éloquent et sérieux, on pourrait rendre cette réponse peu plaisante pour celui qui la provoque, et même terrible. […] S’il peut s’échapper encore un instant, s’il peut se traîner, un jour de soleil, au Jardin des plantes auprès de celle qui du moins sait l’égayer dans un rayon et lui rendre le sentiment du passé, il s’anime, il renaît, il se reprend au printemps, à la jeunesse ; il se ressouvient de Rome, il s’y revoit comme par le passé : « Voyez-vous toujours ce chemin fleuri qui part de l’Obélisque de Saint-Jean-de-Latran ?  […] De quelque nature qu’il semble, et si mélangé qu’on le suppose, il dut être bien puissant et bien réel pour être ainsi senti et rendu en avril 1847, exactement le même qu’il avait paru cinquante années auparavant à Amélie ou à Céluta.

970. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Étienne Pasquier. (L’Interprétation des Institutes de Justinien, ouvrage inédit, 1847. — Œuvres choisies, 1849.) » pp. 249-269

qui nous rendra l’opinion régnante dans l’Ordre des avocats, alors si entier et comme investi de sa première intégrité, l’esprit général de la magistrature d’alors, si stable, si courageuse et parfois si héroïque ? […] Il n’est femme si belle, pense-t-il, qui ne soit indifférente à l’homme au bout d’un an de possession, ni laideur modérée qui ne se rende tolérable aussi avec le temps : l’essentiel, selon lui, est dans les mœurs, dans leur pureté comme dans leur douceur. […] Il conseille de recourir aux vieux auteurs et de s’en nourrir pour enrichir la langue par art et science, mais sans, pour cela, se rendre antiquaire ; c’est une affectation « qu’il faut fuir, dit-il, comme un banc ou écueil en pleine mer ». […] C’est Ovide qui lui est tombé sous la main, et qu’il a lu en deux ou trois endroits ; et il interprète l’oracle gaiement, concluant de l’un de ces passages qu’il ne faut suivre, en matière de vertu et de maniement de fortune, ni la secte trop dissolue des épicuriens, ni celle, trop rigide et trop nue, des stoïques ou des cyniques, mais se rapporter tant qu’on peut, ici-bas, à la maxime du sage mondain Aristote, qui est de jouir de la vertu en affluence de biens : « Voilà comment, petit père, ajoute-t-il en parlant de lui-même, j’ai commencé à dorloter mon enfant. » Les Lettres de Pasquier, qu’il commença lui-même de publier en dix livres (1586), et qui ont été complétées après lui jusqu’au nombre de vingt-deux livres, sont d’une lecture très instructive, plus attachante à mesure qu’on s’y enfonce, et qui nous le rend tout entier avec son monde et son époque. […] Ce serait ne pas tout rendre à sa mémoire que de ne pas remarquer que cette qualité du judicieux, si essentielle en lui, et qu’il possédait avec tant de plénitude et d’étendue, est celle aussi qui a reparu comme un trait distinctif et comme une ressemblance de famille chez le dernier et le plus illustre de ses descendants.

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