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452. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « La comtesse d’Albany par M. Saint-René Taillandier (suite et fin.) »

Reçue et traitée par les Anglais avec cette parfaite convenance et ce médiocre enthousiasme, Mme d’Albany le leur rendait par une observation également modérée et raisonnable. […] Comme tout paye, les fenêtres sont taxées aussi ; par conséquent, on n’a que deux ou trois fenêtres sur la rue, ce qui rend la maison étroite et incommode, et comme le terrain est extrêmement cher, on bâtit sa maison tout en hauteur. […] Le peuple sent sa liberté, mais rend ce qui est dû à chacun. […] Elle ne rend pas du tout justice, il est vrai, à l’éloquence de Mme de Staël, mais elle ne se trompe pas trop sur les défauts d’obscurité et de subtilité qu’elle reproche à son ouvrage. […] Aimez donc votre sujet, épousez-le, embrassez-le, biographe ou peintre ; et, s’il y a doute et conflit, prenez parti pour, plaidez pour : ne rendez pas les armes dès le premier moment.

453. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite et fin.) »

Rien n’est cependant plus du sien, et Sa Majesté est persuadée qu’il convient tout à fait à son service, de faire entrer son armée en Piémont la campagne prochaine… Vous devez avoir reçu une lettre de Sa Majesté par laquelle elle vous marque que, voulant absolument que son armée entre en Piémont la campagne prochaine, elle ne vous rendra en aucune façon responsable des événements de la campagne, et c’est ce qu’elle m’a encore ordonné de vous confirmer… Comme je crois que vous voulez bien me compter au nombre de vos amis, j’ai cru ne pouvoir vous donner une plus grande marque que j’en suis que de vous avertir pour vous seul, s’il vous plaît, que Sa Majesté est persuadée que, si votre goût n’était point aheurté à une guerre défensive, il ne se trouverait peut-être pas tant de difficultés à en faire une offensive cette année : ainsi, quoique je ne sois pas capable de vous donner des conseils, cependant je crois devoir vous donner celui de renouveler de soins et d’attentions pour essayer de rendre facile, par l’avancement de la voiture (du voiturage) des farines, une chose que le roi désire aussi ardemment. » Catinat répondait en remerciant Barbezieux de cet avis amical, et il protestait que la défensive n’était point chez lui un parti pris et que son goût n’était point aheurté à ce genre de guerre ; qu’elle lui tenait, au contraire, l’esprit dans une continuelle inquiétude dont il aimerait mieux se décharger en agissant ; il ajoutait : « Le roi me demande des mémoires sur les dispositions de l’offensive : je ne puis que me donner l’honneur de les lui envoyer aussi détaillés qu’il m’est possible avec les difficultés qui se rencontrent dans leur exécution, afin qu’il lui plaise de donner ses ordres pour les surmonter. » Louis XIV se rendait en dernier ressort aux raisons et démonstrations de Catinat ; mais il se formait de lui peu à peu une idée qui n’était plus aussi avantageuse qu’auparavant, ni aussi brillante. […] L’adversaire était le prince Eugène, généralisme des troupes de l’Empereur, que sa campagne contre les Turcs venait de rendre célèbre et qui marchait à pas rapides dans la grande carrière. […] Je me recueillerai et me soutiendrai de toutes mes forces pour rendre mes services utiles dans les opérations de guerre auxquelles on se prépare, et je n’oublierai rien pour effacer la mauvaise satisfaction que Sa Majesté a témoignée de mes services pendant cette campagne. […] Nous ne finirions jamais si la vigueur de l’esprit et du corps était égale dans tous les âges : joignez à cela que j’ai une infirmité qui ne laisse pas de me rendre dures et pénibles les grandes fatigues à cheval. » Il continua donc de servir, en évitant tout air de plainte. […] Rendons-nous compte cependant.

454. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

Ce qu’il faut reconnaître, c’est qu’il fit de son mieux pour servir le gouvernement et le monarque qui lui avaient remis leurs intérêts, et pour rendre à la France dignité et influence dans les conseils de l’Europe. […] Il ne se pressa point d’ailleurs de rejoindre Louis XVIII, ni d’aller faire du zèle et de l’émigration à Gand ; il ne se rendit en Belgique qu’à la dernière heure, et quand le canon de Waterloo avait prononcé. […] M. de Talleyrand rendit le plus grand service au nouveau gouvernement en acceptant le poste d’ambassadeur à Londres. […] Maubreuil échappant à la surveillance s’était rendu le 20 janvier à Saint-Denis pendant la célébration de l’anniversaire, et là, en pleine solennité, il avait frappé M. de Talleyrand au visage et l’avait renversé par terre. Il fut traduit pour ce fait en police correctionnelle, et la cour royale confirma le 15 juin les jugements précédemment rendus.

455. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

On lui reconnaissait dans le débit « une vérité d’inflexion qui rendait sa pensée transparente et les endroits comiques très saillants ». […] Mais de ces anecdotes une au moins me paraît utile à rappeler, c’est le compte rendu de la façon outrageuse dont on accueillit en 1822 les acteurs anglais qui essayaient, pour la première fois, de nous montrer Shakspeare. […] que sont devenues ces mille bonnes qualités qu’on lui reconnaissait, et qui me rendaient fière d’être de la paroisse Saint-Eustache ? […] Valmore, qui devait à tout jamais léguer un nom, que la Poésie a rendu glorieux, à cette respectable famille d’artistes. […] Lorsque j’ai rendu cette réponse très adoucie à Garat, il a dit : “On peut voir à présent que ce n’est pas moi qui suis l’hyène…” » — Et le 6 août 1822 : « Garat traîne sa vie ; il va tous les jours à Feydeau, mais soutenu par deux personnes.

456. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — Note »

Le lendemain j’avais précisément rendez-vous le soir chez George Sand pour lui lire quelques chapitres du roman que je faisais alors (Volupté) : elle devait elle-même me lire des pages de Lélia qu’elle écrivait dans le même temps. […] Rien ne s’opposera à ce que vous me rendiez ce service, n’est-ce pas ? […] Je ne promets pas de me rendre aveuglément à toutes vos critiques (quoique vous en soyez trop avare avec moi) : nous avons tous une partie de nous-même en jeu dans nos œuvres, et nous tenons souvent autant à nos défauts qu’à nos qualités ; mais un lecteur éclairé voit mieux que nous, quand nous rendons bien ou mal nos idées les plus personnelles, et nous empêche de donner une mauvaise forme à nos sentiments. […] Il fallait que je vous aimasse bien sincèrement pour solliciter de vous des explications et pour vous en donner comme je l’ai fait : je ne m’en repens certes pas, puisque vous m’avez rendu votre confiance et que rien, j’espère, ne la troublera plus ; mais avec personne au monde je ne voudrais recommencer. […] Moi, je ne vous rendrai jamais la pareille en avis judicieux et en critiques sages, mais au moins j’aurai la même affection et le même dévouement à votre service.

457. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série «  Paul Bourget  »

Bourget est très nettement de ceux qui sont moins préoccupés du monde extérieur que du monde de l’âme, moins sensibles au plaisir de voir et de rendre la forme des choses ou les divers aspects de la mêlée humaine qu’à celui de décomposer des sentiments et des idées en leurs éléments primitifs et de remonter d’un phénomène moral à un autre, jusqu’à tant qu’il s’en trouve un qui soit irréductible. […] Son style même a comme un timbre auquel on ne se trompe pas : il rend un son plaintif, gémissant, éploré… Sans doute l’absence de croyance positive et l’esprit d’analyse peuvent, chez quelques-uns, se tourner en nonchalance (voyez Montaigne), mais non pas chez ceux dont la sensibilité au bien et au mal moral est exceptionnellement développée. […] Sais-je ce que je ferais si d’aventure je découvrais qu’au temps où j’étais enfant un fort galant homme a fait tuer mon père   étant donné que le meurtier, aimé de ma mère et follement épris d’elle, l’a épousée et rendue parfaitement heureuse, et qu’il va du reste mourir sous peu d’une maladie de foie ? […] Bourget s’est étudié à rendre Claudius le moins odieux qu’il se pouvait et, d’autre part, à accumuler autour d’Hamlet toutes les circonstances propres à le paralyser et à ne lui rendre l’action possible que par un miracle d’énergie… Pour toutes ces raisons, André Cornélis ne m’intéresse guère que comme une belle composition de « psychologie appliquée » sur un sujet donné. […] Paul Bourget tout à fait part, ce qui vivifie ses analyses, ce qui, là où elles sont profondes, les rend tragiques par surcroît, c’est le sentiment que nous avons déjà trouvé au fond de ses Essais : le souci de la vie morale.

458. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de Mlle de Lespinasse. » pp. 121-142

Quand il partit de Paris, la passion de Mlle de Lespinasse et celle qu’il lui rendait n’avaient jamais été plus vives. […] Des personnes scrupuleuses, tout en lisant et goûtant ces Lettres, ont fort blâmé M. de Guibert de ne les avoir pas détruites, de ne les avoir pas rendues à Mlle de Lespinasse, qui les lui redemande souvent. […] Il lui en rend quelquefois ; mais il s’en trouve alors dans le nombre qui ne sont pas d’elle. […] Pourtant, je ne vois pas pourquoi on le rendrait responsable et coupable aujourd’hui du plaisir que nous font ces lettres. Il en a sans doute beaucoup rendu ; il y en a eu beaucoup de détruites.

459. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Histoire des travaux et des idées de Buffon, par M. Flourens. (Hachette. — 1850.) » pp. 347-368

Flourens, qui a rendu un nouveau service à toutes les classes de lecteurs par cet excellent écrit. […] Dès six heures du matin, il s’y rendait chaque jour. […] Hume a rendu l’impression que Buffon fit sur lui en disant que pour le port et la démarche, il répondait plutôt à l’idée d’un maréchal de France qu’à celle d’un homme de lettres. […] En faisant lire tout haut à son secrétaire ses manuscrits, au moindre arrêt, à la moindre hésitation, il mettait une croix, et corrigeait ensuite le passage jusqu’à ce qu’il l’eût rendu lumineux et coulant. […] Richardson, en vérité, ne sait pas mieux l’intérieur de la famille Harlowe que Buffon ne paraît savoir ces époques à jamais inconnues et évanouies qu’il rend présentes, cet intérieur de l’univers auquel il nous fait assister.

460. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Notice historique sur M. Raynouard, par M. Walckenaer. » pp. 1-22

Il n’avait, au lieu de cela, qu’à dire, ce qui est très vrai, que le grand maître avait eu la faiblesse de faire des aveux, soit par crainte, soit par l’espoir de sauver son ordre, et nous le représenter ensuite rendu au sentiment de l’honneur, par un retour heureux de courage et de vertu, et rétractant ses premiers aveux à l’aspect même du bûcher qui l’attend. […] Mais un moment de réflexion fait apercevoir que, si dans ce cas le nombre des Templiers ajoute à l’idée qu’on peut prendre de leur croyance et de leur foi, puisque sur ce grand nombre pas un seul ne fut infidèle à son Dieu, ce même chiffre diminue beaucoup de l’idée de leur bravoure, puisqu’il ne les a pas empêchés de se rendre. L’hémistiche tant applaudi est pour le moins autant une épigramme contre les trois mille qui se rendirent, qu’un éloge pour ces mêmes trois mille qui n’abjurèrent pas. […] » etc., etc.) ; quand on s’est bien convaincu que cet auteur n’a pas relu Villehardouin avant de faire parler ses chevaliers, il faut saluer et applaudir avec le parterre quelques beaux vers qui redoublent d’effet en situation, cinq ou six hémistiches qui rendent quelque écho du sublime de Corneille, un cri d’innocence qui s’élève des dernières scènes, et le très beau récit final du supplice. […] Tel qu’il était, il a rendu de grands services et a exercé une influence utile.

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