Une femme cependant regarde toujours un homme comme un homme ; et réciproquement un homme regarde une femme comme une femme. […] Elle en réserve la perfection et l’exquise délicatesse pour les femmes qui ont su rester fidèles aux vertus de leur sexe, et pour les hommes qui savent le leur pardonner, mais qui, près d’elles et avec les années, y retrouvent leur compte : « Quand elles n’ont point usé leur cœur par les passions, leur amitié est tendre et touchante ; car il faut convenir, à la gloire ou à la honte des femmes, qu’il n’y a qu’elles qui savent tirer d’un sentiment tout ce qu’elles en tirent. » J’insiste sur cette espèce et cette qualité d’amitié que Montaigne a oubliée et qu’il semble avoir regardée d’avance comme impossible ; elle est le produit d’une culture sociale très perfectionnée.
J’éprouvai alors une sensation vive et universelle dans tout mon être que j’ai regardée depuis comme l’introduction à toutes les initiations qui m’attendaient. […] M. de Choiseul était loin de se douter qu’il faisait cette belle action en y plaçant Saint-Martin ; mais celui-ci a toujours regardé le ministre comme le premier instrument de son bonheur. […] Mais le vrai est que lorsque je me suis regardé dans un miroir, sans me trouver laid j’étais bien loin de me trouver tel que je semblais être pour les autres, et je me suis persuadé que leur imagination faisait la moitié des frais.
D’ailleurs il ne vous laisse pas toujours le temps d’y regarder : il vous entraîne, il garde si bien tous les passages que vous ne pouvez vous échapper de lui. […] J’ai traversé en outre trois fois presque tout le royaume pendant ces temps de trouble, et la paix s’est trouvée partout où j’étais (excepté l’aventure du Champ-de-Mars de l’été de 1791, pendant laquelle j’étais à Paris) ; tout cela me fait croire que, sans oser me regarder comme un préservatif pour mon pays, il sera cependant garanti de grands maux et de désastres absolus tant que je l’habiterai ; non pas, comme je viens de le dire, que je me croie un préservatif, mais c’est parce que je crois que l’on me préserve moi-même, attendu que l’on sait combien la paix m’est chère, et combien je désire l’avancement du règne de mon Dieu… Vous croyez peut-être que la suite des événements va le détromper : pas le moins du monde. […] Je les regarde au contraire comme des postillons qui ont fait leur poste ; mais ils ne sont que des postillons de province, il en faudra d’autres pour nous faire arriver au but du voyage, qui est de nous faire entrer dans la Capitale de la Vérité. » (Mars 1801.)
Il y avait des buveurs d’eau dans les prés au-dessous, qui nous regardaient comme si nous étions des chèvres. […] Cela nous a fait de la peine, et nous regardions avec plaisir le vieux chêne échappé à cette cruelle éducation. […] Penser pour soi et pour ses amis, sans prétention à s’afficher ; vouloir se former des opinions justes sur les choses essentielles, sans aspirer à les produire ; étudier, vivre, regarder, oser sentir et dire, est une marque de distinction dans une nature.
» Horace reste Français de cœur à l’étranger ; ce n’est pas un mal, puisque cela ne l’empêche ni de bien regarder ni de juger. […] Joins au tableau les rugissements des furieux, les accents pitoyables d’un amoureux, et les deux yeux fixes d’un nègre silencieux qui vous regarde comme un oiseau de nuit ; et tu ne te feras encore qu’une faible idée de ce que nous avons vu. […] Autrement ils écoutent, ne répondent qu’après avoir jugé et regardent attentivement leur interlocuteur ou ce qui se passe sous leurs yeux.
Tout ce qui a passé et défilé sous nos yeux depuis trente-cinq ans en fait de mœurs, de costumes, de formes galantes, de figures élégantes, de plaisirs, de folies et de repentirs, tous les masques et les dessous démasqués, les carnavals et leur lendemain, les théâtres et leurs coulisses, les amours et leurs revers, toutes les malices d’enfants petits ou grands, les diableries féminines et parisiennes, comme on les a vues et comme on les regrette, toujours renaissantes et renouvelées, et toujours semblables, il a tout dit, tout montré, et d’une façon si légère, si piquante, si parlante, que ceux même qui ne sont d’aucun métier ni d’aucun art, qui n’ont que la curiosité du passant, rien que pour s’être arrêtés à regarder aux vitres, ou sur le marbre d’une table de café, quelques-unes de ces milliers d’images qu’il laissait s’envoler chaque jour, en ont emporté en eux le trait et retenu à jamais la spirituelle et mordante légende. […] Prenez la plus innocente de ces fourberies, celle de la jeune fille au bras de son papa qui la devine. — « Comment saviez-vous, papa, que j’aimais mosieu Léon f » — « Parce que tu me parlais toujours de mosieu Paul. » Allez à la plus calme, à la mieux établie et la mieux réglée de ces fourberies conjugales : un jeune homme dans un salon est assis bien à l’aise, installé dans un fauteuil, lisant comme chez lui, le chapeau sur la tête ; avec lui une jeune femme près de la fenêtre, debout, tient à la main son ouvrage et regarde en même temps dans la rue ; et, pour toute légende, ces mots : « Le v’là ! […] Supposez que, du premier ou du second étage, vous regardiez dans la cour deux personnes qui causent : vous voyez leurs gestes, leur jeu de physionomie, et vous n’entendez qu’imparfaitement leurs paroles ; elles ne vous arrivent qu’en bruit confus.
Le lendemain, lorsqu’elle vit pour la première fois le dauphin, venu avec le roi à sa rencontre entre Nangis et Corbeil, elle avait maîtrisé cette impression : elle fut gaie, naturelle, et Louis XV, dit-on, « s’amusa des agaceries qu’elle fit au dauphin pour l’obliger à desserrer les dents et à ne plus la regarder fixement comme il avait fait d’abord, sans prendre part à la conversation ». […] Les victoires sont belles à considérer de loin et dans le raccourci de la perspective ; mais, à y regarder de près, elles sont pénibles et souvent achetées bien cher. […] Que le maréchal de Saxe ait aimé plus ou moins les plaisirs, cela ne regarderait que lui, s’il n’en avait trop usé pour abréger une existence glorieuse et utile au pays.
Le premier paragraphe rétrograde sur les maux, les excès de la révolution, rembrunit tout à coup les figures ; on se dresse, on se regarde, on s’indigne ; mais on s’attend à des retours aux bienfaits, aux grands résultats de régénération sociale. […] Le roi, au contraire, aimait mes opinions politiques, il les partageait ; mais dans leur application il me trouvait trop tranchant, trop pressé de prendre un parti décisif ; il voulait user la démocratie ; il regardait le républicanisme comme une chimère qui ne pouvait durer ; la reine et Madame Élisabath pensaient de même ; tous les rapports qui leur arrivaient des provinces annonçaient une amélioration sensible dans l’opinion publique ! […] Comment un homme qui a vécu si longtemps chez les Anglais, et à qui je dois supposer des relations très étendues dans ce pays, au lieu de reconnaître tous les bienfaits dont je l’ai comblé, de prendre leçon de tout ce qu’il a vu depuis trente ans, au lieu de marcher droit, se mêle-t-il de pratiques et de menées qui ne le regardent pas ?
Regarde-toi au milieu de ces secrètes et intérieures insinuations qui stimulent si souvent ton âme, au milieu de toutes les pensées pures et lumineuses qui dardent si souvent sur ton esprit, au milieu de tous les faits et de tous les tableaux des êtres pensants, visibles et invisibles, au milieu de tous les merveilleux phénomènes de la nature physique, au milieu de tes propres œuvres et de tes propres productions ; regarde-toi comme au milieu d’autant de religions ou au milieu d’autant d’objets qui tendent à se rallier à l’immuable vérité. […] Bien des fois sans doute, bercé nonchalamment, il regardait le ciel, et sa pensée planait dans l’abîme d’azur ; mais on avait là toujours à deux pas la terre, les fleurs, le bosquet du rivage, le phare allumé de l’amante.