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1126. (1907) Jean-Jacques Rousseau pp. 1-357

Je devins hautement son champion, je la vis sensible à mes soins, et ses regards, animés par la reconnaissance qu’elle n’osait exprimer de bouche, n’en devinrent que plus pénétrants. […] Je n’étais plus cet homme timide et plutôt honteux que modeste, qui n’osait ni se présenter, ni parler, qu’un mot badin déconcertait, qu’un regard de femme faisait rougir. […] Mais, dans sa réserve craintive, on voyait de la défiance ; son regard en dessous observait tout avec une ombrageuse attention. […] Je le regardai, je regardai Julie ; tous deux se regardèrent, et me rendirent un regard si touchant que, les embrassant l’un après l’autre, je leur dis avec attendrissement : « Ils me sont aussi chers qu’à vous !  […] Frappé d’un nom si cher, il se réveille en sursaut, et jette un regard avide sur celle qui le porte, etc.

1127. (1905) Propos littéraires. Troisième série

En effet, ce n’est qu’à distance que les choses se groupent assez sous le regard pour que nous puissions reconnaître une période littéraire ordonnée, régulière et constituée. […] Il n’en est que plus en vue et attire les regards, et les retient. […] Malherbe poursuit l’œuvre de Ronsard sur un plan moins vaste, mieux mesuré du regard et plus net. […] Tous deux, du reste, d’une suite, d’une constance, d’une rectitude admirables dans le dessin net et rigide qu’ils s’étaient mis une fois pour toutes sous les yeux et qu’ils ne quittaient pas du regard. […] Un soldat sans gloire, inconscient et frivole, sans aucune valeur intellectuelle, attire et retient quelque temps, on ne sait trop pour quelles causes, les regards et les âmes de la foule ; il monte dans l’espace comme une fusée ; il va devenir le maître à la façon d’un imperator romain.

1128. (1888) La vie littéraire. Première série pp. 1-363

Il feuilletait un livre ; son regard, son sourire, les plis mobiles de son front, ses gestes ouverts, tout parlait en lui avant qu’il eût trouvé à qui parler. […] Elle avait le teint blanc, les cheveux d’un roux magnifique, les pommettes saillantes, le nez court, un regard profond et des lèvres enfantines. […] Le reste ne vaut pas un regard. […] Mais il était éloquent par la force de la pensée, par la sincérité de l’expression et par l’incomparable beauté du regard. […] On y marche à tâtons par des sentiers tortueux, le regard aveuglé de météores.

1129. (1905) Propos de théâtre. Deuxième série

Dirai-je que le premier regard n’est pas pour lui procurer une très grande satisfaction ? […] C’est à ce point de vue, et comme en regard, qu’il faut les considérer pour les bien entendre. […] Il y a, quelque part, une ligne de démarcation peu visible au regard et très ployable au désir. […] Et songez, pour les mettre aussi en regard, à la longue lutte contre Racine, et à la guerre, encore plus longue, contre Hugo. […] Un nuage : un certain Borgia, qui l’a aimée jeune fille, et à qui elle a brûlé la politesse en épousant Concini, réapparaît et croise le regard avec elle.

1130. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre II. Le théâtre. » pp. 2-96

Dans l’enchevêtrement et la complexité infinie des choses, ils saisissent un petit nombre d’idées simples qu’ils assemblent en un petit nombre de façons simples, en sorte que l’énorme végétation embrouillée de la vie s’offre désormais à l’esprit tout élaguée et réduite, et peut être embrassée aisément d’un seul regard. […] Au premier regard, on croit qu’on n’avance point, on ne sent point à chaque phrase qu’on a fait un pas. […] Il veut voir dans le héros, non-seulement le héros, mais l’individu avec sa façon de marcher, de boire, de jurer, de se moucher, avec le timbre de sa voix, avec sa maigreur ou sa graisse59, et plonge ainsi, à chaque regard, jusque dans le dessous des choses comme par une profonde percée de mineur. […] Et quand les autres jeunes dames, —  dans la gaieté folâtre de leur jeune sang, —  content tour à tour des contes joyeux qui remplissent la chambre de rires, —  elle, avec un regard désolé, apporte l’Histoire de la mort silencieuse — de quelque jeune fille abandonnée, avec des paroles si douloureuses — qu’avant la fin elle les renvoie toutes une à une les larmes aux yeux. » Comme un spectre autour d’une tombe, elle erre incessamment autour des restes de son amour détruit, languit, pâlit, s’affaisse, et finit par s’achever elle-même. —  Plus tristes encore sont celles qui, par devoir et soumission, se sont laissé conduire à un autre mariage.

1131. (1835) Critique littéraire pp. 3-118

Un des hommes qui ont le plus lutté contre l’indifférence religieuse du siècle, et ce n’était pas un néophyte, les yeux encore humides des larmes que le regret du monde arrache a ceux qui le quittent ; ce n’était pas un de ces jeunes dévots qui partent pour la croisade, la visière baissée, le visage en feu, le cœur gros de soupirs ; c’était un prêtre, un prêtre énergique ; un homme de pratique austère et inflexible, qui allumait au feu de l’autel la flamme qui animait ses regards et qui étincelait dans sa parole et dans son style ; — eh bien ! […] Un peu plus d’éclaircissement çà et là, un horizon plus agrandi sous nos regards, suffisent pour tout déjouer !  […] Son regard parfaitement bleu, d’un bleu clair et dur, appelait à la fois mon regard et le déjouait ; fixe, immobile par moments, il n’avait jamais de calme ; tourné vers la beauté des campagnes, il ne la réfléchissait pas (cette idée est fort belle).

1132. (1910) Propos littéraires. Cinquième série

Le regard de ceux qui savent et ne doutent point est quelque chose de navrant, qui peut à peine se supporter. […] Autre cause, sur laquelle les sociologues n’avaient guère, ce me semble, porté leurs regards, et sur laquelle M.  […] Cela attire les regards, et à la regarder avec attention on la reconnaît… Ce n’est pas cela. […] Rien n’échappe à votre regard. […] Non, pour moi, Choderlos, fin, avisé, froid, de tête très ferme, de regard net et d’œil vif, est né intrigant.

1133. (1923) Nouvelles études et autres figures

Les paysans sont brûlés du soleil ; mais le plaisir rit dans le regard des femmes. […] Quand il s’exaltait, sa voix douce devenait perçante, et son regard souvent très vague prenait une singulière fixité. […] Chez Bouilhet, l’image précieuse, prolongée, rapetissait l’idée de la nuit ; dans le poème de Booz, dans cette pastorale religieuse, elle jaillit naturellement, et, en vous forçant, pour ainsi dire, de lever la tête et de suivre le regard de Ruth, la moissonneuse, vers le champ des étoiles, elle nous avertît que la grave idylle qui se joue sur la terre a son explication au ciel. […] Le monde extérieur, dont la nouveauté l’a saisi, se modifie sous son regard, et lui paraît plus neuf encore quand l’âme cachée derrière ces apparences finit par les éclairer. […] Il nous donne lui-même dans sa correspondance le vrai nom de son Olivier, de ce jeune blasé, qui s’est épuisé le cœur en vaines passions et en vains plaisirs et « dont l’étrange regard flottait comme une étincelle impossible à fixer ».

1134. (1924) Critiques et romanciers

Bernard et Grangé : « La belle fille sourit du regard, les flammes de la rampe se reflètent dans ses dents blanches ; on applaudit à tout rompre MM.  […] Mais enfin, cette « découverte », si c’en est une, où donc avait-on les regards tournés et par quelles fictions l’esprit voilé ? […] Les inconvénients des philosophes, on les aperçoit : les inconvénients de leurs émules n’ont point échappé à tous les regards. […] Le regard n’interroge pas. […] Les choses, qui ont les regards les plus pénétrants, n’ignorent point les âmes, ce qu’elles n’avouent pas, ce qu’elles dissimulent à elles-mêmes.

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