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810. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Paul Féval » pp. 107-174

Comme Balzac lui-même, Paul Féval s’est courbé sous cette tyrannie littéraire d’un temps qui ne reconnaît plus en tout que Sa Majesté la Foule, et où tout le monde écrit pour elle. […] Dans ce monde constipé de cœur et bourrelé de vanité discrète, n’attendez pas que le moindre quinquet littéraire allumé par Brucker reconnaisse lui devoir l’étincelle tombée sur sa mèche ! […] Il y a bien encore çà et là, à quelques touches (dans la Madeleine, la gouvernante de Jean, par exemple), du Paul Féval d’autrefois, de cet esprit charmant que j’ai tant loué dans Le Chevalier de Kéramour ; mais la Grâce l’a pris et a trempé le rieur aux sources de ces larmes qui rendent si heureux ceux qui les répandent que, dit-on, à cette marque on reconnaît les Saints. […] Mais le catholicisme a cela de beau qu’il peut, sans ingratitude, se décharger sur Dieu du soin de payer les services qu’on lui rend : Dieu reconnaîtra les siens ! […] Un journal catholique, qu’il n’est pas besoin de nommer pour que tout le monde le reconnaisse, saluant, justement à propos de ces Merveilles du Mont Saint-Michel, la bienvenue du grand romancier dans l’histoire, par la plume sans autorité d’un de ces rédacteurs impersonnels qui ne sont pas plus que des soldats dans le rang et qui n’en sortent jamais, faisait, sous des formes impertinemment protectrices, une petite leçon rogue au nouveau converti, tout en le félicitant d’un livre qui — celui-là ! 

811. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIIIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou Le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (1re partie) » pp. 305-364

ajoutai-je en concluant, vous reconnaissez donc qu’il n’y a qu’un seul socialisme pratique : c’est la fraternité volontaire et active de tous envers chacun, c’est une religion de la misère, c’est le cœur obligatoire du pays rédigé en lois d’assistance. […] Je parvins à peu près au milieu sans avoir le malheur d’être reconnu, et j’allais entrer dans les rues à droite pour m’évader par les rues vides parallèles aux boulevards, lorsqu’un froissement de la foule fît glisser mon manteau de mes épaules ; je me baissais pour le ramasser dans la boue, quand je fus reconnu par un artiste alors très célèbre, Cellarius, le musicien de la danse, suivi de quelques-uns de ses élèves et de ses amis. […] « Peuples, vous ignorez le Dieu qui vous fit naître ; « Et pourtant vos regards le peuvent reconnaître « Dans vos biens, dans vos maux, à toute heure, en tout lieu !

812. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIVe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 257-320

Mais peut-on admettre, d’ailleurs, que le poète qui a pu faire les vers de Childe Harold soit en même temps assez absurde et assez aveugle à toute évidence pour ne pas rendre une éminente justice à ce que tout le monde entier reconnaît et admire ? […] Après avoir dîné deux jours à sa table, dans son palais de Parme, elle reconnut en moi en ami de la maison des Bourbons, et elle me conduisit elle-même dans les chambres hautes de son palais pour m’y faire voir, avec une visible indifférence, les reliques de sa grandeur impériale données par la ville de Paris à l’époque de son mariage et de ses couches. […] Le père soupira ; la jeune sposa ne dit rien, mais elle se leva de table et inclina involontairement la tête hors de la porte, comme si elle avait pu reconnaître, de l’oreille, les pas de son amant dans la nuit ; puis elle rentra tristement, sourit à son enfant, lui fit couler deux ou trois gouttes de lait sur les lèvres, et revint s’asseoir à côté de la vieille aïeule. […] Il avait fait bien chaud cette année-là ; nous l’attendions tous les soirs du jour où les moissonneurs et les zampognari rentrent dans les villages de la montagne avec leur bourse de cuir, pleine de leur salaire, à leur ceinture ; un moine quêteur, qui avait passé le matin en remontant au couvent de San Stephano, nous avait dit qu’il l’avait rencontré et reconnu de loin, assis au bord d’une fontaine, sur la route de Lucques à Bel-Sguardo.

813. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre quatrième »

Prenant en outre les patois de l’ancienne France pour des dialectes, il conseilla d’y faire des emprunts des mots les plus significatifs, « sans se soucier, disait-il si les vocables sont gascons, poitevins, normands, manceaux, lyonnais, ou d’autres pays pourvu qu’ils signifient ce que l’on veut dire96. » Et toutefois, par une contradiction honorable, il reconnaissait le principe de l’unité du langage : « Aujourd’huy, disait-il, pour ce que nostre France n’obéist qu’à un seul roy, nous sommes contraints, si nous voulons parvenir à quelque honneur, de parler son langage97. » Ronsard ne suivit pas cette vue, qui était juste. […] Je reconnaîtrais là la marque de la médiocrité. […] Là, dans une ode à Calliope, il reconnaît qu’elle l’avait prédestiné pour la gloire de la poésie : Certainement, avant que né je fusse Pour te chanter tu m’avois ordonné Le ciel voulut que ceste gloire j’eusse, Estre ton chantre avant que d’estre né105. […] Mais, moins heureux que Rabelais, qui, de temps en temps, secoue les liens de l’érudition, se rendant libre de sa mémoire, où étaient entassées et où fermentaient tant de langues et de sciences diverses, et nous donne comme les premières épreuves d’une image parfaite de l’esprit français cultivé par l’antiquité, Ronsard ne s’égara pas d’un pas, comme il s’en vante, des vers repliés de Pindare ; il ne sut pas marcher seul ; et dans tout cet amas de vers où brillent de vives étincelles, il n’y a pas une seule pièce d’un style franc et libre, où la poésie française puisse reconnaître son point de perfection.

814. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 février 1886. »

Et pendant que la vieille gaîté française s’épanouit déridée, les esthéticiens austères décident du sort de Lohengrin : ils reconnaissent l’œuvre admirable, les oppositions ridicules ; mais ils engagent M.  […] Veuillez donc me dire si je puis me tranquilliser là-dessus, et si vous, cher ami, le régisseur et le chef d’orchestre, reconnaissez la grande difficulté de la tâche et si vous êtes décidé à la mener à bonne fin. […] L’éternel désaccord entre l’idéal et la vie, la recherche toujours inassouvie de visées vaguement pressenties mais jamais reconnues, ont précocement mis un terme à la vie de cet artiste qui par une force irrésistible fut poussé à communiquer son idéal à ses contemporains. […] Quoique il ne fût jamais satisfait et cherchât toujours, tout le monde reconnaît pourtant que Platen a été comme aucun poète allemand, maître de la forme poétique, de la métrique et de la construction des vers.

815. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — CHAPITRE VI »

Avant de rendre l’âme, il a voulu reconnaître le dévouement de Navarette en l’épousant in extremis. […] Je reconnais ce qu’a d’honorable pour lui ce zèle de son œuvre et ce souci du perfectionnement. […] Hippolyte, ayant arrêté ses coursiers qui ont fini par reconnaître que le Monstre était en carton, viendrait galamment comprend la vertu de Phèdre. […] Je ne saurais non plus comprendre que Navarette et lui espèrent obtenir un succès quelconque avec cette comédie pitoyable, il faut qu’ils aient perdu toute notion sociale pour croire que le monde va reconnaître leur mariage et leur ouvrir ses salons, sur l’exhibition du contrat. — « A notre retour, — dit Navarette, — vertueuse Galeotti, j’entrerai dans le monde à votre bras… que vous n’oserez pas me refuser. » L’infatuation est par trop violente.

816. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1855 » pp. 77-117

— on reconnaît le verbe de Gavarni, — quand voilà qu’on me présente un monsieur avec des cheveux longs de savantasse, des gants de filoselle… Ward enfin ! […] Il nous regarda longtemps, cherchant qui nous pouvions être, puis s’écria : « Nom de D… je ne vous reconnaissais pas, oui, je deviens aveugle !  […] » Il reconnaît et avoue tristement la dépendance dans laquelle l’art est placé auprès du gouvernement : « Il faut vivre, dit-il, les convictions courbent la tête pour manger…. […] Pourrat m’avait joliment fait de la barbe avec du papier brûlé, si bien que je parlais à Edmond, sans qu’il me reconnût.

817. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Romans et nouvelles » pp. 3-80

Tous ces défauts, je suis le premier à les reconnaître, mais aussi que de manières de voir, de systèmes, d’idées en faveur, à l’heure présente, auprès de l’attention publique, commencent à prendre voix, à balbutier dans ce méchant petit volume. […] Il faut retourner à l’hôpital, rentrer dans cette salle d’admission, où, sur le fauteuil contre le guichet, il me semble revoir le spectre de la maigre créature que j’y ai assise, il n’y a pas huit jours. « Voulez-vous reconnaître le corps ?  […] Le public n’estime et ne reconnaît à la longue que ceux qui l’ont scandalisé tout d’abord, les apporteurs de neuf, les révolutionnaires du livre et du tableau, — les messieurs enfin, qui, dans la marche et le renouvellement incessants et universels des choses du monde, osent contrarier l’immuabilité paresseuse de ses opinions toutes faites. […] Tout à coup brusquement mon frère s’arrêta, et me dit : « Ça ne fait rien, vois-tu, on nous niera tant qu’on voudra… il faudra bien reconnaître un jour que nous avons fait Germinie Lacerteux… et que “Germinie Lacerteux” est le livre-type qui a servi de modèle à tout ce qui a été fabriqué depuis nous, sous le nom de réalisme, naturalisme, etc.

818. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — La déformation  »

Après et malgré toutes mes objections, il m’est très facile de reconnaître l’intérêt du livre de M.  […] Il reconnaît cependant lui-même que les langues se modifient sans cesse ; mais il ajoute : « Ce n’est pas toujours en bien. » Rien de plus juste, mais comment reconnaîtrons-nous le bien et le mal ? […] Trois cents déformations populaires ; voilà un répertoire curieux et qui va peut-être nous permettre de reconnaître quelques-unes des tendances auxquelles obéissent les déformateurs.

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