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18. (1911) Jugements de valeur et jugements de réalité

C’est que l’idéal n’est pas au service du réel ; il est là pour lui-même ; ce ne sont donc pas les intérêts de la réalité qui peuvent lui servir de mesure. […] Si l’idéal ne dépend pas du réel, il ne saurait y avoir dans le réel les causes et les conditions qui le rendent intelligible. Mais, en dehors du réel, où trouver la matière nécessaire à une explication quelconque ? […] Voilà comment il se fait que l’idéal peut s’incorporer au réel : c’est qu’il en vient tout en le dépassant. […] Et sans doute, cet aspect est réel, lui aussi, mais à un autre titre et d’une autre manière que les propriétés inhérentes à l’objet.

19. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre II : M. Royer-Collard »

Que le genre humain se trompe ou non, que la matière soit une chose réelle, ou une apparence illusoire, il n’y met point de différence. […] L’objet imaginaire10 paraît réel ; la forêt intérieure devient extérieure. […] Les objets rêvés vous sembleront aussi réels et aussi consistants que vous-même. […] À l’occasion d’une sensation naît une idée représentative, ou, en d’autres termes, un simulacre que nous prenons pour l’objet, qui, comme l’objet, nous paraît extérieur et réel, dont la naissance coïncide avec la présence d’un objet réel et extérieur. […] Donc, en tous les cas, il y a un objet apparent, c’est-à-dire un simulacre qui paraît être l’objet réel et ne l’est pas. — La perception extérieure, selon M. 

20. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre cinquième. Le réalisme. — Le trivialisme et les moyens d’y échapper. »

L’idéal ne vaut même, dans l’art, qu’autant qu’il est déjà réel, qu’il devient et se fait : le possible n’est que le réel en travail ; or il n’y a pas d’idéal en dehors du possible. […] Et le réel est loin d’être toujours entendu, contenu, exprimé surtout, dans un réalisme exagéré. […] La qualité a son rôle dans le réel. […] Certains puissants artistes savent évoquer en nous des images assez fortes pour produire, elles aussi, la conviction, et pour paraître réelles malgré leurs dissemblances avec toutes les images réelles jusqu’alors connues de nous. […] Mais le pittoresque sans la vision nette du réel est vide de sens.

21. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Remarque finale. Le Temps de la Relativité restreinte et l’Espace de la Relativité généralisée »

Elle confirmerait la distinction radicale de nature que nous établissions jadis entre le Temps réel et l’Espace pur, indûment considérés comme analogues par la philosophie traditionnelle. […] Les Temps dilatés et disloqués sont donc des Temps auxiliaires, intercalés par la pensée du physicien entre le point de départ du calcul, qui est le Temps réel, et le point d’arrivée, qui est ce même Temps réel encore. […] Leur pluralité, loin d’exclure l’unité du Temps réel, la présuppose. […] Descartes ramenait la matière — considérée dans l’instant — à l’étendue : la physique, à ses yeux, atteignait le réel dans la mesure où elle était géométrique.

22. (1903) La pensée et le mouvant

De la durée réelle on s’est détourné systématiquement. […] Contentons-nous du réel, matière et esprit. […] Il faut en prendre son parti : c’est le réel qui se fait possible, et non pas le possible qui devient réel. […] Et pourtant la durée réelle est là. […] Mais le progrès fut plus apparent que réel.

23. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Chapitre V. Observations philosophiques devant servir à la découverte du véritable Homère » pp. 268-273

Quand la barbarie de l’antiquité reparut au moyen âge, les poètes latins de cette époque, les Gunterius, les Guillaume de Pouille, ne chantèrent que des faits réels. […] C’est par l’effet de ce défaut de réflexion, qui rend les barbares incapables de feindre, que Dante, tout profond qu’il était dans la sagesse philosophique, a représenté dans sa Divine Comédie, des personnages réels et des faits historiques. Il a donné à son poème le titre de comédie, dans le sens de l’ancienne comédie des Grecs, qui prenait pour sujet des personnages réels. […] Pétrarque, avec toute sa science, a pourtant chanté dans un poème latin la seconde guerre punique ; et dans ses poésies italiennes, les Triomphes, où il prend le ton héroïque, ne sont autre chose qu’un recueil d’histoires. — Une preuve frappante que les premières fables furent des histoires, c’est que la satire attaquait non-seulement des personnes réelles, mais les personnes les plus connues ; que la tragédie prenait pour sujets des personnages de l’histoire poétique ; que l’ancienne comédie jouait sur la scène des hommes célèbres encore vivants. […] La mémoire rappelle les objets, l’imagination en imite et en altère la forme réelle, le génie ou faculté d’inventer leur donne un tour nouveau, et en forme des assemblages, des compositions nouvelles.

24. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre quatrième. La connaissance des choses générales — Chapitre III. Le lien des caractères généraux ou la raison explicative des choses » pp. 387-464

En effet, la combinaison que nous avons fabriquée est purement mentale ; elle n’est point tenue de correspondre à une combinaison réelle. Elle diffère en cela des autres combinaisons mentales par lesquelles nous concevons les objets réels ; elle ne court pas chance, comme celles-ci, de présenter des lacunes, de laisser de côté quelque caractère important inclus dans l’objet réel, d’omettre l’intermédiaire explicatif qui attache à l’objet réel la propriété énoncée ; affranchie de cette obligation, elle est exempte de ce risque. […] Dans notre cas, cet intermédiaire est une propriété des molécules élémentaires dont le cristal blanc de carbone est la somme réelle. […] À cause de cela, nous étudions le composé mental avant le composé réel, et la connaissance du premier nous conduit à la connaissance du second. […] Pareillement encore, il ne pose aucune donnée comme réelle ; il n’établit qu’un cadre auquel pourront s’adapter les données réelles.

25. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre sixième. La volonté — Chapitre troisième. La volonté libre »

La liberté sera réelle et étendue dans la proportion où sera réelle et où s’étendra la causalité appartenant à la volonté dans sa poursuite de la finalité : plus la volonté raisonnable trouvera en elle-même les réelles conditions requises pour causer tel effet et pour atteindre telle fin, plus elle se jugera indépendante et libre ; le maximum de puissance indépendante et consciente attribuable au moi dans la poursuite de ses fins constitue donc bien la liberté. […] Il a sa première origine dans la réelle activité du désir, qui n’est point un état passif ni reposant en soi, mais un effort vers l’avenir. […] Que, là encore, il n’y ait point ambiguïté absolue ni arbitraire, cela est certain ; encore y a-t-il action réelle. […] En résulte-t-il qu’il y ait dans la conscience une réelle indétermination ? […] Jusqu’à quel point, pour la science psychologique, cette indépendance est-elle possible et réelle ?

26. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Introduction. Le problème des idées-forces comme fondamental en psychologie. »

L’espoir déçu n’est plus la réelle condition du chagrin ; le passage à une conclusion n’est plus déterminé par la conception des prémisses. […] Le réel du son, c’est le processus concret et complet, qui est à la fois, indivisiblement, un son senti et une sensation de son, quelque chose d’original et de spécifique, le phénomène se prenant lui-même sur le fait, réel et conscient de sa réalité. […] Ici encore on confond les antécédents avec les éléments constitutifs du phénomène réel et concret, qui ne peut se faire sentir qu’en se sentant lui-même. […] Ce dernier n’est pas un moyen terme interposé entre le réel du son et une modification purement psychique qui serait parallèle à cette réalité. […] Nous avons donc le droit de conclure que la psychologie des idées-forces roule sur le réel, et même sur le réel par excellence.

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