Et c’est précisément le défaut général de tous les penseurs du temps, de ne point assurer suffisamment les principes de leurs raisonnements, d’ignorer, de mépriser, de mal voir les faits, de supposer constamment la réalité adéquate à leur idée. […] Les jugements sont des équations, et les termes qu’on assemble sont des objets abstraits, idéaux : nulle part on n’aperçoit mieux que chez Condillac pourquoi l’esprit français au xviiie siècle élimine de sa pensée toute réalité concrète, les formes par conséquent de la vie et la matière de l’art, et pourquoi la poésie ne peut plus être qu’un jeu intellectuel, réglé par des conventions arbitraires.
La vision des plus grises réalités est impitoyablement nette ; la force graphique du style en fait saillir aux yeux les ternes linéaments, — et à cette évidence se joint un sentiment du mystérieux, du spectral et de l’hallucinatoire, qui par un merveilleux alliage, infuse, au vrai, tout le noir effroi du rêve. […] Car le romancier russe ne tend pas non plus au but puéril de terrifier et de maintenir douloureusement suspendue la curiosité d’une foule ; quand on relit ses œuvres, le fantastique qui surprenait d’abord perd toute importance et sans doute Dostoïewski devait ignorer quelle singulière et théâtrale déformation il fait subir à la réalité.
sa petite illusion d’antiquaire, si enfin la réalité historique pèche un peu dans l’œuvre de Babou (car c’est une œuvre que ces six nouvelles), du moins l’effet d’art n’en a point souffert. […] Si, un jour qui n’est pas très éloigné dans sa vie littéraire, il y eut pour Hippolyte Babou des Païens innocents, — dans le pays des romans, il est vrai, qui ne peuvent jamais (c’est sa théorie) être trop romanesques, — il n’y a pas à ses yeux de sots innocents sur le terrain de la réalité.
Sans doute, l’écrivain aura le choix de son milieu, de ses personnages, de l’intrigue et du dénouement de son drame, mais toujours son récit devra donner quelque figure de la réalité, en produire l’illusion. Or, la réalité est mêlée de bien et de mal, et la proportion du mal dépasse celle du bien.
Il suffit de rappeler cette monodie de Shirley, dans son Ajax furieux : « Les gloires de notre vie mortelle sont des ombres, non des réalités ; il n’y a pas d’armure à l’épreuve du destin. […] Ce chant fini, il se précipite du sommet de la montagne, et disparaît englouti par la rivière qui coule à ses pieds. » « Dans la réalité, dit le critique, ce plan était plus beau ; mais le poëte n’a pu le remplir, parce que les exemples d’élévation et de liberté dont il aurait eu besoin lui manquaient.
Mais la pensée d’où il est éclos a un tel caractère de beauté morale, et en même temps les circonstances extérieures où il se déroule ont un tel air de réalité, qu’on est tenté de se demander : Pourquoi pas ?
Ce sera, selon nous, rattacher la genèse des idées aux lois les plus fondamentales de la réalité que de l’expliquer par les lois mêmes du désir.
Non seulement le public n’est rien de bon, mais il n’est pas ; si pernicieux qu’il soit, si funeste à nos imaginations qu’il obsède, il n’est qu’une ombre et qu’un fantôme : ce qu’il paraît avoir de réalité et de substance fond tout entier, quand on le serre de près, et s’évanouit à l’analyse. […] J’ai consciencieusement exposé les raisons de croire à la réalité d’un esprit public plus puissant que tous les individus, et j’en reconnais la force ; cependant je n’arrive point à concevoir clairement cet esprit. […] Il est la seule raison d’être de certains ouvrages de l’esprit dont l’utilité est nulle, dont la substance même est d’une réalité douteuse. […] Elle consiste à ne plus voir, dans toute la réalité, quelle qu’elle soit, qu’un vaste thème de littérature. […] Ils s’attardent à la forme par inaptitude à pénétrer jusqu’à la réalité… Oui, le temps viendra où, pour l’humanité plus intelligente, les œuvres vaudront indépendamment du style et dureront sans lui.
Il s’y efforce vers les réalités substantielles et concises de M. de Maupassant et il y atteint, mais soufflant et suant. […] Serrer la réalité au plus près, les deux écoles y prétendent également ; c’est sur l’explication de la formule qu’elles diffèrent. […] Vous entendez bien qu’il n’y a point de réalité, pour M. […] Si l’on appelle idéalisme la négation de la vie, la substitution d’un rêve sans consistance à la réalité logique, va pour idéalisme. […] Ils n’admettent pas que l’écrivain puisse pétrir à son gré la réalité, inventer des caractères, interpréter la nature et l’embellir.