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721. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Balzac » pp. 17-61

L’auteur commençait alors ses travaux de colosse et ces longues luttes, si fécondes pour sa gloire et pour son génie ; et, comme tous ceux qui ont besoin de se faire un public, il ne choisissait pas beaucoup ses intermédiaires, et il mettait le plus cher trésor de sa pensée sur le premier flot venu de cette mer de la publicité quotidienne, qui, comme l’autre mer, efface si vite de son sein la trace de tous les sillages ! […] Il a voulu replacer sous les yeux du public un livre dont le public indifférent s’était détourné quand il parut, et tenter de nouveau, en faveur d’un chef-d’œuvre de sentiment et de langage, cette fortune des livres, incompréhensible comme toutes les fortunes. […] … Attiré par les Illustrations dont ce livre est orné, et qui sont dues à un talent d’une fougueuse et étrange fantaisie, le public reviendra-t-il à ces récits où l’art le plus raffiné se mêle à l’archaïsme le plus savant, et où l’imagination la plus féconde crée pour son compte sous les formes les plus admirablement imitées ? […] Ceci dépaysa le public deux fois, et fit presque du succès une gageure contre l’impossible. […] Et, de fait, Balzac n’a pas dû écrire beaucoup en dehors de ce que j’appelle les productions publiques de sa pensée : livres, articles, mémoires.

722. (1888) Impressions de théâtre. Deuxième série

Le public est pris, cela devient tout à fait intéressant. […] Et le public sévère a trouvé qu’elle s’y jetait trop tôt. […] Ce style suffit évidemment pour plaire au public contemporain. […] Cependant, le public envahit les banquettes en plein vent. […] C’est le goût du public.

723. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite et fin.) »

Je sais que de fermer boutique à temps est ce qu’il y a de plus difficile pour l’homme dont la réputation est à la merci du public ; son orgueil bouche ses oreilles. […] La multitude au jugement de laquelle on en a appelé conserve plus longtemps que les coteries la reconnaissance qu’elle vous doit pour le soin que vous avez mis à lui plaire… » Horace était d’avis qu’un peintre doit exposer, que c’est un devoir surtout pour un artiste aimé et accepté du public. Depuis plusieurs années, des artistes de réputation (Ingres, Delaroche) n’exposaient plus : « Moi, Horace Vernet, je suis heureux d’avoir osé présenter ma poitrine en remplissant un devoir et en payant une dette de reconnaissance au public… Tant que ce même public voudra de moi, je serai sur la brèche. […] Quant à nous, mon cher Delaroche, je ne vous offre pas notre secours… Depuis longtemps je déplore qu’un autre ordre de choses n’ait pu s’établir entre nous, et je vous jure que je n’éprouve aucun sentiment de jalousie pour ceux qui, plus heureux que nous, seront à même de vous donner des marques de dévouement ; tout en enviant leur sort, dites-leur que nous les bénissons, que nous les bénirons, s’ils aiment nos enfants comme les leurs… » Nous, public, qui ne nous trouvons introduit que par accident et par faveur dans ces discussions si particulières et qui, sous une forme ou sous une autre, se rencontrent dans presque toutes les familles, notre rôle n’est pas, on le pense bien, d’avoir le moindre avis sur le fond ; faisons la part de ce qu’il peut y avoir d’exagération naturelle dans l’expression d’Horace, dans cette émulation et cette rivalité de tendresse, et disons-nous que, si nous entendions Delaroche, il aurait sans doute, pour répondre, son éloquence à lui, et il en avait beaucoup. […] Les qualités morales d’Horace Vernet pourraient gagner à être observées à ce demi-jour des dernières années et du déclin ; mais le public, en général, demande moins à l’artiste des vertus que des preuves de talent, et l’instant est venu d’ailleurs de nous séparer de lui.

724. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre cinquième »

Ils ont marqué, si même ils ne l’ont pas provoqué, un retour de goût dans le public français ; ils ont rendu plus facile la tâche de Malherbe, qui devait apprendre d’eux à faire mieux qu’eux. De même que dans l’histoire politique il y a des hommes de second ordre, sans lesquels certaines choses nécessaires et qui subsistent pouvaient ou ne pas s’accomplir sitôt, ou ne pas s’accomplir du tout ; de même, dans l’histoire de la littérature, il y a tels écrivains qui, pour n’avoir pas eu le don du génie, ont néanmoins senti les premiers, à certaines époques, le progrès qui se préparait, et ont en quelque sorte dégrossi le public pour les hommes de génie. […] Desyveteaux exprime ce qu’avait senti le public qui s’occupait de poésie. […] Que si le soin public lui laissoit du loisir, Il ne l’employoit point en un plus doux plaisir Qu’en celui que le fruit d’une étude si sainte Fait savourer aux cœurs où Dieu grave sa crainte. […] Mais il importait, pour assurer cette direction de la poésie, de rendre ces grandes vues familières par une critique de détail qui exerçât le goût du public, et qui formât des lecteurs pour les chefs-d’œuvre que l’esprit français allait enfanter.

725. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre III. Le théâtre est l’Église du diable » pp. 113-135

. — On rirait bien, de nos jours, de cette précaution dramatique des Séleucides, et comme on se moquerait de cette loi du drame antique qui exigeait que l’on fît grâce au spectateur de certaines actions des honnêtes ou criminelles, également offensantes à la conscience et à l’honnêteté publiques. […] Plus vous avez la main légère et plus le public vous en saura bon gré. Le public a en horreur les personnalités, les gros mots, les offenses, les injures, les violences de tout genre. […] Veut-on que tout un public s’abuse sur ces sortes de choses, et que chacun ne soit pas juge du plaisir qu’il y prend ?  […] Et quelle merveilleuse habileté de ce poète, qui allait frapper ce grand coup du Misanthrope, d’essayer en même temps et ses comédiens et son public !

726. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « II. M. Capefigue » pp. 9-45

Quelles que soient les différences profondes de talent et de principes de ces deux historiens, ils n’en représentent pas moins, l’un et l’autre, ce que nous méprisons le plus, l’individualisme dans l’histoire, c’est-à-dire l’historien sans mandat supérieur, sans charge publique, sans fonction ! […] « Anachorètes de bals publics, s’écrie M.  […] C’est ainsi, par exemple, qu’il nous parle, à deux reprises, de ce projet qu’on eut dans les dernières années du règne de Louis XV de faire cesser par un mariage le scandale public que le roi donnait à ses peuples. […] Capefigue, sur cette réhabilitation historique osée et manquée à la fois, — en même temps poltronne et audacieuse, car l’auteur a peur de son audace ou plutôt de l’effet de son audace sur le public scandalisé. […] En effet, quand on a été la maîtresse publique d’un roi de France et qu’on a vécu plusieurs années de son état, nul historien n’est capable de vous refaire une innocence avec des calomnies de journalistes ou des insultes de bourreaux.

727. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Du docteur Pusey et de son influence en Angleterre »

Aussi, en Allemagne, quand Luther commença d’y répandre sa doctrine de contradiction et d’erreur, il émut autour de lui quelque chose qui ressemblait à un sentiment public. […] Dans la Grande-Bretagne, au contraire, Henri VIII, insurgé contre l’Église, ne s’adressa point à l’intelligence, et ce ne fut point un sentiment public, mais l’abaissement public qui lui répondit. […] Même dans ce pays, si grandement politique, qui a cru compléter l’unité de son esprit public par l’acceptation et le maintien d’une religion nationale, on a vu des partis s’élever et déchirer cette unité désirée, qui, sans les principes de l’Église romaine, sera toujours la chimère de l’esprit humain. […] En effet, depuis quelque temps, les livres, les journaux, toutes les expressions de la pensée publique étaient entrés plus ou moins dans la lutte religieuse entre l’organisation anglicane et les idées anglo-catholiques, développées, creusées par le Dr Pusey et ses amis. […] Quand on le lit, on prend une idée assez juste de la solidité et de la résistance que doit opposer pour un temps à la réaction catholique, cette religion anglicane, ruinée dans la conscience publique, mais debout encore dans le gouvernement du pays.

728. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre I. Les origines du dix-huitième siècle — Chapitre I. Vue générale »

Le roi dispensant les hautes classes de travailler au bien public, ce loisir développe les relations sociales, et donne un éclat intense à la vie de société. Les salons, où règnent les femmes, prennent autorité sur la littérature, à qui ils fournissent un public : ils l’obligent à se clarifier en s’étrécissant peut-être. […] La société du xviiie  siècle est trop désintéressée de la chose publique, pour conserver le patriotisme ; elle tient les malheurs de l’État pour indifférents.

729. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — C — Coppée, François (1842-1908) »

Il spécule avec infiniment d’adresse sur les faibles du public. […] Émile Zola Je rappellerai la pièce de vers qui ameuta les Parnassiens et même une partie du public. […] Aussi son public est-il très étendu.

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