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322. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Lundberg » pp. 169-170

Lorsque le jeune Perronneau parut La Tour en fut inquiet, il craignit que le public ne pût sentir autrement que par une comparaison directe l’intervalle qui les séparait. […] Peut-être n’apperçut-il dans cette espièglerie que la mortification du public, et non celle d’un confrère trop habile pour ne pas sentir son infériorité, et trop franc pour ne pas la reconnaître. […] Ne pouvais-tu être content à moins que le public ne le dît aussi ?

323. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — I. » pp. 204-223

En voyant ce que deviennent chez les hommes célèbres les qualités qui existaient déjà chez leurs parents, et qui y sont demeurées obscurément utiles, il me semble qu’ils en sont souvent les dissipateurs et les prodigues encore plus que les économes publics et les dispensateurs généreux. […] Un jour que Boindin, très raisonnable dans le tête-à-tête, mais paradoxal en public, en était venu, dans je ne sais quelle discussion, à soutenir comme vraisemblable la pluralité des dieux, Duclos tout d’un coup se mit à rire, et comme Boindin, lancé en pleine éloquence, lui en demandait la raison, Duclos pour toute réponse lui dit que c’était qu’en soutenant cette pluralité des dieux, il lui avait rappelé l’avare qui est plus prodigue qu’un autre quand une fois il se met en frais : « Il n’est chère que de vilain ». […] Ce qu’il y a de mieux et de plus piquant est l’Épître au public qui sert de préface, épître impertinente où le public parisien est traité à peu près comme le vieillard Démos dans la comédie athénienne : Un auteur instruit de ses devoirs doit vous rendre compte de son travail ; je vais donc y satisfaire. […] Je n’étais embarrassé que sur le choix… (Et après l’exposé de son idée d’imaginer une histoire sur les estampes :) Je ne sais, mon cher public, si vous approuvez mon dessein ; cependant il m’a paru assez ridicule pour mériter votre suffrage ; car, à vous parler en ami, vous ne réunissez tous les âges que pour en avoir tous les travers : vous êtes enfant pour courir après la bagatelle ; jeune, les passions vous gouvernent ; dans un âge plus mûr, vous vous croyez plus sage parce que votre folie devient triste ; et vous n’êtes vieux que pour radoter… Duclos n’avait pas tout à fait l’ironie de Platon : la sienne est rude et presque brutale. Desfontaines et Fréron répondirent assez sensément au nom du public.

324. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — I » pp. 93-111

Le marquis d’Argenson est à bon droit un nom des plus estimés parmi ceux des politiques du dernier siècle et des hommes qui se sont occupés des matières d’intérêt public. […] Ceux de ses écrits qui ont été publiés après sa mort n’ont pu que confirmer cette idée ; les Considérations sur le gouvernement de la France, qui parurent en 1764 dans, une édition très fautive, et dont on refit en 1784 une édition qui passe pour meilleure, justifièrent aux yeux du public les éloges de Rousseau et de Voltaire, et montrèrent M. d’Argenson comme le partisan éclairé et prudent d’une réforme au sein de la monarchie et par la monarchie, d’une réforme sans révolution. […] Barbier, le volumineux recueil des manuscrits de d’Argenson, et en ayant étudié avec soin une partie, j’ai pu m’assurer que les ouvrages qui sont imprimés ne nous le présentent que d’une manière très incomplète ; qu’il n’existe aucune édition exacte et fidèle de l’ouvrage qu’on a intitulé : Considérations, et que l’auteur désignait lui-même sous un autre titre ; que les autres morceaux plus littéraires ou personnels qu’on a donnés au public ont été remaniés, arrangés, affaiblis toujours, soit par M. de Paulmy, soit par M.  […] Celui-ci opposait qu’il n’était point harangueur, qu’il n’avait jamais prononcé d’arrêt en public, et d’autres raisons encore ; puis il ajoutait pour lui : « Sans doute que nos deux premiers ministres (car c’est de la sorte qu’il qualifiait alors M. de Chauvelin conjointement avec le cardinal de Fleury) ne m’ayant encore connu principalement que touchant les démêlés parlementaires dont je raisonne avec application, le temps présent ne nous offrant meilleur champ, ils s’imaginent que c’est là le fort de ma capacité, et se trompent. » D’Argenson n’eut même d’abord la perspective de quelques fonctions diplomatiques et de quelque ambassade (bien avant celle de Portugal où il n’alla jamais) que dans cette vue éloignée de la première présidence du Parlement : « Si l’on vous employait en quelques négociations étrangères, et de peu d’années, lui disait M. de Chauvelin, au sortir de cela vous seriez bien enhardi. » Depuis la clôture de l’Entre-sol, d’Argenson avait toujours l’idée de renouer et de continuer ailleurs avec quelques amis, parlementaires pour la plupart, des conférences sur le droit public, sur les matières politiques : c’était son goût dominant. […] Il avait ce qu’on appelle l’esprit travailleur ; j’ai des preuves de ses travaux, des remarques sur des lectures, dissertations dans le grand et politiques, extraits historiques, études du droit public et particulier ; j’ai des volumes de pareils travaux.

325. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « M. de Féletz, et de la critique littéraire sous l’Empire. » pp. 371-391

La bonne critique elle-même n’a son action que de concert avec le public et presque en collaboration avec lui. J’oserai dire que le critique n’est que le secrétaire du public, mais un secrétaire qui n’attend pas qu’on lui dicte, et qui devine, qui démêle et rédige chaque matin la pensée de tout le monde. […] En 1800, on était à l’une de ces époques où l’esprit public tend à se reformer. […] Le public des honnêtes gens (entendez ce mot aussi largement que vous voudrez) est disposé à lui prêter main-forte. […] [NdA] M. de Falloux, ministre de l’Instruction publique et ancien légitimiste, auteur de l’Histoire de saint Pie V, conservait à la tête de la division des lettres M. 

326. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Mémoires d’outre-tombe, par M. de Chateaubriand. » pp. 432-452

Quoique la publication des dernières parties continue encore en feuilletons, on peut dire que ces Mémoires sont jugés sous cette première forme, et que l’impression du public est faite ; mais, comme ouvrage, ils ne sont pas encore jugés définitivement. […] On en avait tant parlé à l’avance, on en avait tellement célébré les parties charmantes, tellement voilé les faiblesses ou les rudesses disgracieuses, que le public savait les unes et n’a été que plus vivement choqué des autres. […] Mais c’est l’impression morale qui, dans le jugement public, l’a emporté de beaucoup sur l’effet du style. […] Nous autres littérateurs, en entendant d’abord ces lectures, séduits par les beaux morceaux, nous n’avions pas été assez sensibles à ce défaut capital ; mais le public, moins attentif à la main-d’œuvre et aux détails, il ne s’y est pas trompé, et il n’a pas agréé l’homme à travers l’écrivain. […] Mais le public n’a pas donné dans ces vues artificielles.

327. (1892) L’anarchie littéraire pp. 5-32

« Mais il écrit ainsi pour épater, pour ahurir le public. […] Par l’organe du Figaro, de La Vogue et de La Revue, ils ont annoncé au public que la littérature serait ésotérique, que dédaignant l’extériorité des êtres elle n’aurait à connaître que des modalités du moi. […]   Je n’ai cité les Instrumentistes, au cours de cette étude, qu’à cause de leur singularité et parce que dans mon désir de renseigner exactement, consciencieusement le public, je ne veux omettre aucun détail, si infime soit-il. […] Comme il n’était pas accoutumé à ces témoignages d’admiration de la part de ses contemporains, il conclut à une contrefaçon et s’empressa de prévenir le public de la fumisterie dans Le XIXe Siècle. » Je n’ai rien à changer à ces lignes. […] Autrefois des pleurnichards comme Malfilâtre, Gilbert, Hégésippe Moreau, se croyaient déshonorés, perdus en entrant dans un établissement de l’Assistance publique ; ils y rimaient des jérémiades que les journaux communiquaient pieusement au public.

328. (1855) Louis David, son école et son temps. Souvenirs pp. -447

Alors, dans le public, ce goût ne faisait que commencer à se répandre. […] Les arts doivent donc puissamment contribuer à l’instruction publique. […] David était déjà membre du comité d’instruction publique et du comité de sûreté générale. […] La liste en a été imprimée et le public a été à même de les juger. […] Aucune circonstance remarquable n’accompagna les derniers soins qu’il donna à cet ouvrage si longtemps attendu par les artistes et le public, et l’on ne s’en préoccupa de nouveau que quand il fut offert au jugement du public.

329. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Eugène Gandar »

Qu’il est difficile de parler devant un public ; et quel public qu’un maître et des concurrents qui vous jugent, l’un avec une raison sévère, les autres avec une bienveillance équivoque ! […] C’est son exemple qui m’a fait préférer à l’existence précaire du journalisme la carrière honorable, sérieuse, utile de l’enseignement public. […] Ils ont un esprit sérieux et des idées larges ; nés également pour la vie intérieure et la vie publique, ils seront bons pères de famille et bons citoyens. […] Shakespeare faisait des concessions volontaires ou involontaires à son public, et quel public ! […] L’abbé Maury, avec son coup d’œil d’orateur, les avait hautement signalés à l’admiration publique.

330. (1856) Le réalisme : discussions esthétiques pp. 3-105

Je n’ai jamais eu d’autres maîtres en peinture que la nature et la tradition, que le public et le travail. […] Je laisse au public le soin de le décider ; non pas seulement à la majorité du public, mais à la totalité de ceux qui, comme vous et moi, par curiosité ou par devoir, ont été visiter le fameux bazar de l’avenue Montaigne. […] Courbet et de sa doctrine par-devant le public. […] Le public fut ahuri. […] Ce qui n’a pas encore lieu pour la généralité du public, se réalise déjà tout au moins pour les gens du métier.

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