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1199. (1907) Propos littéraires. Quatrième série

La statistique en prend le soin. […] C’est le plaisir que l’on prend à faire souffrir pour faire souffrir. […] Mais prenez donc garde, la Vie n’est pas l’Univers ! […] Il y en a de vraiment jolis, tout parti étant pris de l’exagération caricaturale. […] Bien lui a pris devenir en France à onze ans.

1200. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1892 » pp. 3-94

Voici quatre semaines, que je n’ai pris l’air extérieur. […] Or ces paupières sanglantes prirent racine, à la place où elles étaient tombées sur la terre, et un arbrisseau poussa, donnant des feuilles, que les habitants cueillent, et dont ils font une infusion parfumée, qui chasse le sommeil. […] Et me promenant dans la demeure de ce grand passé, il me prend une tristesse, en pensant à la petitesse du présent. […] Tout gamin, il s’était pris d’une passionnette pour la fille de Gautier, pour Judith Mendès, qui venait aux bains de mer de Fécamp, et comme elle peignait alors, il lui portait son chevalet, lui rendant mille petits services. […] C’est la mise en train de la cuisine pour prendre avec le magnésium des photographies des principales scènes de la pièce.

1201. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — III. (Fin.) » pp. 246-261

Lorsque d’Alembert fut reçu à l’Académie française en 1754, son élection fut très combattue et traversée de beaucoup d’obstacles, « et même il passe pour constant, rapporte La Harpe, qu’il y avait un nombre de boules noires plus que suffisant pour l’exclure, si Duclos, qui ne perdait pas la tête et qui était en tout hardi et décidé, n’eût pris sur lui de les brouiller dans le scrutin, en disant très haut qu’il y avait autant de boules blanches qu’il en fallait ». […] Dans son testament, Duclos a pris soin de mettre cet article épigrammatique : « Je donne à l’Académie mon buste du roi en bronze, et je la prie de me donner pour successeur un homme de lettres. » Personne, du reste, n’a joui plus agréablement que lui dans ses voyages, et en toute occasion, de l’avantage social qu’il y avait alors à être le confrère des gouverneurs de provinces, des archevêques et des ambassadeurs. […] Mme Guizot (Pauline de Meulan) a touché ce point comme il convient, avec discrétion et sagacité63 : il est à la rigueur possible, pense-t-elle, que dans cette grande comédie que jouèrent habituellement les uns envers les autres, et quelquefois envers eux-mêmes, la plupart des personnages du xviiie  siècle, Duclos ait pris pour son rôle celui d’un bourru redouté, emporté au-dehors, habile et assez modéré en dedans. […] La campagne seule, quand on est assez heureux pour en prendre le goût, dédommage de notre grande capitale. […] À côté de parties désintéressées, il avait des coins d’avarice, comme on l’a remarqué pour Mézeray : Il n’a jamais vécu chez lui, dit Sénac de Meilhan, et, comme son bien était en argent comptant, la crainte d’être volé lui faisait prendre des précautions pour qu’on ne sût pas qu’il avait chez lui de grosses sommes : c’est par cette raison que, peu de temps avant de mourir, il emprunta vingt-cinq louis à l’un de ses amis.

1202. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le président Jeannin. — I. » pp. 131-146

On lit même dans l’historien littéraire de la Bourgogne, Papillon, une anecdote presque gaillarde que je donne pour ce qu’elle vaut, mais qui concorde pour le fond avec le témoignage de Saumaise : Jeannin (selon un recueil manuscrit cité par Papillon) étant revenu à Bourges pour la seconde fois et étant allé avec ses anciens camarades voir le sieur Cujas incognito, Cujas ne laissa pas de le reconnaître, quelque soin qu’il prît de se déguiser, et, s’étant jeté à son cou, il commença à lui dire : « Est-ce toi, Romorantin ?  […] Tous deux affirmaient qu’ils avaient charge de faire faire à Dijon, et dans toute la Bourgogne, ce qui venait d’être fait à Paris : Je fus appelé, dit le président Jeannin, à la délibération du conseil qui fut pris là-dessus, avec le sieur de Ruffé, frère dudit sieur de Comarin, les sieurs de Vintimille et deux autres, entre lesquels opinant le premier comme le plus jeune et le moins qualifié (car je n’étais lors qu’avocat au Parlement), mon avis fut qu’il fallait mander ces deux seigneurs qui avaient apporté cette créance, et savoir d’eux séparément, et l’un après l’autre, s’ils la voudraient donner par écrit et signer. […] Cela fut cause que je demeurai, à sa très instante prière, près de lui ; car, encore qu’il sût bien mon inclination à la paix et que j’étais obligé à servir le roi, il ne laissa pourtant de prendre cette assurance de ma franchise que je ne servirais pas d’un espion près de lui pour le tromper. […] Philippe II, en envoyant des secours et en intervenant dans la Ligue par son or et par ses capitaines, le faisait-il pour la cause commune ou pour son profit direct, et pour prendre le trône de France soit en son propre nom, soit en celui de l’infante ? […] Mais que j’ai hâte, malgré les preuves d’énergie et d’habileté qu’il y donne, d’être sorti bientôt avec lui de ces époques pénibles de désordre et de confusion, où le patriotisme ne sait le plus souvent à quoi se prendre, où les routes du devoir sont douteuses et obscures, où il faut se cacher et user de ruse pour faire le moindre mal dans l’impuissance du bien, où les forces de l’État se consument dans des luttes intestines, et où les âmes généreuses seraient capables, à la longue, de s’aigrir et de s’altérer !

1203. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — II. (Suite.) » pp. 463-478

Déjà renommé à Paris pour sa traduction des Lettres de Coxe, accueilli par le meilleur monde, devenu le guide de toute cette belle société qui se prenait d’amour pour la nature de Suisse et pour les glaciers, il attira nécessairement l’attention du cardinal prince de Rohan, évêque de Strasbourg, qui fut flatté de trouver dans un jeune Alsacien de si grands talents, et qui se fit un honneur de l’attacher à sa personne. […] Un jour Cagliostro lui envoya demander comme à son préparateur (car il en faisait quelquefois l’office) je ne sais quelle poudre nécessaire pour une opération : Ramond se contenta de prendre une prise de tabac et la mélangea de cendre, de manière à donner au tout l’apparence de la poudre demandée, et la poudre ensuite opéra comme si elle avait été la vraie. […] Ainsi, en montant le pic du Midi, le voyageur arrivé à une certaine élévation se trouve avoir atteint à un beau réservoir d’eau appelé le lac d’Oncet, et où la nature commence à prendre un grand caractère ; il en fait voir en peu de mots l’encadrement, et en quoi ce nouveau genre de beauté consiste : C’est un beau désert que ce lieu : les montagnes s’enchaînent bien, les rochers sont d’une grande forme ; les contours sont fiers, les sommets hérissés, les précipices profonds ; et quiconque n’a pas la force de chercher dans le centre des montagnes une nature plus sublime et des solitudes plus étranges prendra ici, à peu de frais, une idée suffisante des aspects que présentent les monts du premier ordre. […] À un certain endroit un pont, d’une seule arche se présente, jeté sur le gave, à quatre-vingt-dix pieds environ au-dessus du torrent : « Ce pont lui-même, antique et dégradé, revêtu de lierre qui pend de sa voûte en rustiques festons, a pris en quelque sorte l’uniforme de la nature, et a cessé d’être dans ce sauvage tableau un objet étranger. » L’uniforme de la nature est un de ces traits maniérés ou affectés qui se rencontrent quelquefois chez Ramond, mais qui ne sauraient compromettre le juste effet des ensembles. […] Ramond avouait, c’est qu’il prit rang au nombre des plus intimes du grand magicien, et qu’il devint dépositaire d’une partie de ses recettes, et témoin de plusieurs de ses miracles.

1204. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) «  Œuvres et correspondance inédites de M. de Tocqueville — II » pp. 107-121

Mais vous n’avez pu croire que je prisse assez peu au sérieux le métier que je fais pour désirer de vous voir arriver sous l’un des drapeaux de nos adversaires. […] Lisant plus tard les Mémoires de Marmont, il l’appelle « un de ces aventuriers (fort bien élevés d’ailleurs), que la Révolution française a fait percer ». — « Je m’étonne toujours, dit-il, qu’on ait pris part à de si grandes choses, touché à de si grandes affaires et vécu en telle compagnie, et qu’on n’ait que cela à dire ? […] Que ferais-je si j’apercevais que j’ai pris des inspirations vagues pour des idées précises, des notions vraies mais communes pour des pensées originales et neuves ? […] M. de Tocqueville, favorable à l’auteur et au livre, en prit occasion d’exposer ses idées sur les beaux-arts et sur leur fonction dans la société : l’idée de moralité dominait sa pensée, le nom de Poussin y prêtait. […] Biot, Je prends très haut, comme on voit, mon point d’opposition.

1205. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mélanges religieux, historiques, politiques et littéraires. par M. Louis Veuillot. » pp. 44-63

On eut bientôt besoin de plumes et de défenseurs ; on en prit jusque parmi les enfants. […] On a vu, depuis, la République prendre ses défenseurs, à son tour, jusque parmi les enfants et organiser les mobiles. […] Il avait publié auparavant ses impressions de voyageà Rome et en Italie, sous le titre de Rome et Lorette(il ya de belles choses), et, plus anciennement encore, unvoyage en Suisse (1839), ou plutôt les Pèlerinages de Suisse ; car tout prend un caractère religieux sous laplume de M.  […] Ils sont tous pris au daguerréotype ou photographiés, comme on dit aujourd’hui, avec un relief puissant. […] Mais dans la première partie de ce roman, où le sermon prendra trop tôt sa revanche, que de jolis chapitres pourtant, gais et fins, bien enlevés et dignes d’un Charles de Bernard, avec le trait plus accusé !

1206. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Térence. Son théâtre complet traduit par M. le marquis de Belloy »

Dans ces passe-temps et ces aménités oisives de plus d’une après-midi, je n’ai pas été sans reconnaître qu’il y avait bien quelques avantages, pour une culture perfectionnée de l’esprit, à ce régime des traductions en vers : un de ces avantages, c’était de remettre sans cesse la traduction elle-même en question, de comparer et de confronter les textes, la copie avec l’original, et, s’il y avait plusieurs traductions rivales, comme c’était le cas pour Virgile, de mettre aux prises ces traductions entre elles. […] Enfin, il en faut prendre son parti. […] Tout ce qu’il dit, il le dit avec une douceur, avec un agrément qui n’est qu’à lui. » Prenons-le dans quelques passages faciles, ouverts, et où il n’y ait qu’à l’aborder de plain-pied, pour ainsi dire, sans grand effort d’analyse ni débrouillement d’intrigue, — dans quelqu’une de ses expositions, par exemple. […] s’écrie Sosie, je crains fort que cette Andrienne ne nous apporte quelque malencontre. » — Pourtant tout se passe encore à merveille ; la femme, il est vrai, pressée par le besoin, se lasse bientôt de gagner sa vie à filer et à tisser ; elle prend un amant, puis un autre, puis plusieurs, et se fait payer. […] Le père enchanté s’empresse d’accepter ; parole est donnée ; on prend jour pour les noces. — « Mais alors, demande le bon Sosie, dont la curiosité est éveillée au plus haut degré, qu’est-ce qui empêche donc que ce ne soient de vraies noces ? 

1207. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VII. De l’esprit de parti. »

L’orgueil, l’émulation, la vengeance, la crainte, prennent le masque de l’esprit de parti, mais cette passion à elle seule est plus ardente ; elle est du fanatisme et de la foi, à quelque objet qu’elle s’applique. […] L’ambition sait se plier à chacune des circonstances pour profiter de toutes, la vengeance même peut retarder, ou détourner sa marche ; mais l’esprit de parti est comme les forces aveugles de la nature, qui vont toujours dans la même direction : cette impulsion une fois donnée à la pensée, elle prend un caractère de roideur qui lui ôte, pour ainsi dire, ses attributs intellectuels ; on croit se heurter contre quelque chose de physique, lorsqu’on parle à des hommes qui se précipitent dans la ligne de leur opinion. […] Il faut de l’esprit de parti pour lutter efficacement contre un autre esprit de parti contraire, et tout ce que la raison trouve absurde est précisément ce qui doit réussir contre un ennemi qui prendra aussi des mesures absurdes : ce qui est au dernier terme de l’exagération, transporte sur le terrain où il faut combattre, et donne des armes égales à celles de ses adversaires ; mais ce n’est point par calcul que l’esprit de parti prend ainsi des moyens extrêmes, et leur succès n’est point une preuve des lumières de ceux qui les emploient ; il faut que les chefs, comme les soldats, marchent en aveugles pour arriver ; et celui qui raisonnerait l’extravagance, n’aurait jamais à cet égard l’avantage d’un véritable fou. […] C’est sans doute à l’instinct secret de l’empire que doit avoir le vrai sur les événements définitifs, du pouvoir que doit prendre la raison dans les temps calmes, c’est à cet instinct qu’est dû l’horreur des combattants pour les partisans des opinions modérées : les deux factions opposées les considèrent comme leurs plus grands ennemis, comme ceux qui doivent recueillir les avantages de la lutte sans s’être mêlés du combat ; comme ceux, enfin, qui ne peuvent acquérir que des succès durables, alors qu’ils commencent à en obtenir. […] Tout homme extrême dans son parti n’est jamais propre à gouverner, les affaires de ce parti, lorsqu’il cesse d’être en guerre ; et la haine que les opposants portaient à la cause, prend la forme du mépris pour ses plus criminels défenseurs.

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