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504. (1874) Premiers lundis. Tome II « Mémoires de Casanova de Seingalt. Écrits par lui-même. »

Ses premiers aveux, qui ne lui coûtent pas plus que le reste, sont d’une belle naïveté ; je me figure que les filles d’Otaïti se seraient confessées de la sorte peu après l’arrivée de M. de Bougainville, ou les jeunes Zélandaises, le soir du départ de l’Astrolabe. […] Aussi le bon Casanova, quand il rencontre sur le chemin de son récit toutes ces tendres aventures, s’y repose comme au premier jour, les développe avec un nouveau bonheur, et sur un ton de Boccace ou d’Arioste, en style de Pétrone et d’Apulée, sans ironie ni amertume de vieillard ; et, bien qu’il prétende en un endroit, épicurien qu’il est, que l’homme vieux a pour ennemi la nature entière, il n’a pas l’air de trop maudire sa vie ni d’en rien rejeter depuis le jour où son père, comme il dit, l’engendra dans une Vénitienne. […] je suis ton premier amour ! […] A cette vue, Casanova convient qu’il eut peur, et que son premier mouvement fut d’éloigner son amie ; mais elle, qui, d’ordinaire, avait peur de la moindre couleuvre, ne craignant rien à cette heure et en ce moment, continuait : « Son aspect me ravit, te dis-je, et je suis sûre que cette idole n’a de serpent que la forme, ou plutôt que l’apparence. » Et elle redoublait de bonheur et d’oubli. […] De toutes les beautés dont Casanova nous entretient dans ces premiers volumes, celle qui est reine évidemment, celle qui lui a laissé la plus profonde empreinte, et pour laquelle il démentirait le plus volontiers sa définition un peu outrageuse de l’amour que, ce n’est qu’une curiosité plus ou moins vive, jointe au penchant que la nature a mis en nous de veiller à la conservation de l’espèce ; cette femme mystérieuse, appelée Henriette, qu’il rencontre la première fois en habit d’officier, et qui se trouve être une noble personne française, ne diffère pas notablement, par le caractère, de dona Lucrezia, ni de tous ces cœurs d’amantes voluptueux, passionnés, non jaloux et capables de séparation.

505. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Leconte de Lisle, Charles-Marie (1818-1894) »

Eschyle et il en a traduit ou imité les deux premières parties : L’Agamemnon et les Choéphores ; il a laissé de côté les Euménides qui étaient le couronnement de cette tragédie. […] Théodore de Banville L’auteur des Érinyes ne manque pas au premier devoir du poète, qui est d’être beau. […] Mais c’est le mal du siècle tombé dans une nature intellectuelle, et c’est une poésie dont le tissu premier est une trame d’idées. […] Ses premiers poèmes, publiés à Rennes (où il étudiait le droit) aux environs de l’année 1840, dans une revue littéraire aujourd’hui introuvable, s’intitulaient, exotiquement, Issa ben Marianna, et étaient dédiés à Lamennais… Le recueil publié par lui en 1853 et intitulé : Poèmes et poésies, contient un chant très beau et vraiment chrétien : La Passion. […] Les Poèmes barbares ont paru en 1862 ; les deux premiers volumes de la Légende des siècles ont paru en 1859. — En outre, remarquez que les Burgraves, où est visible, par la conception et le verbe, tout le génie épique de Hugo, datent de 1843.

506. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 34, que la réputation d’un systême de philosophie peut être détruite, que celle d’un poëme ne sçauroit l’être » pp. 489-511

Ceux qui l’ont adoptée l’ont reçuë sans l’examiner, ou s’ils l’ont examinée, leurs efforts n’auront peut-être pas été aussi heureux que pourront l’être un jour les efforts de ceux qui feront le même examen dans la suite, et qui profiteront des nouvelles découvertes, et même des fautes des premiers. […] D’ailleurs, il est facile de prouver historiquement et par les faits que Virgile et les autres poëtes excellens de l’antiquité ne doivent point aux colleges ni aux préjugez leurs premiers admirateurs. […] Il étoit admiré avant que d’avoir eu besoin d’être traduit, et c’est aussi au succès de ses vers qu’il doit ses premiers commentateurs. […] Theodoric premier roi des visigots établis dans les Gaules, et contemporain de l’empereur Valentinien III avoit voulu que son fils Theodoric II s’appliquât à l’étude de Virgile. […] Ils ont composé dans la langue vulgaire de leur païs, et leurs premiers approbateurs ont donné un suffrage qui n’étoit pas sujet à erreur.

507. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Fustel de Coulanges » pp. 15-32

Fustel de Coulanges, ce robuste, nous frappe deux ou trois livres avec cette force qu’il a montrée dans son premier, il faudra bien que la Critique et l’opinion littéraire s’occupent de ce premier livre, où une méthode nouvelle et un talent neuf se révèlent. […] Ceci remonte à César et aux Gaulois, ces premiers Barbares dans la longue chaîne de Barbares qui devait suivre ; les premiers dans le temps, mais aussi les premiers par leurs grandes qualités de peuple, par la supériorité de leur race. […] En ce premier volume, l’auteur n’est encore qu’à la porte de son sujet. […] Et je dis contemporains, car, dans une époque confisquée par l’esprit moderne, il n’a pensé à prendre son histoire que dans les écrivains des six premiers siècles.

508. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’architecture nouvelle »

Dans une troisième catégorie je fais entrer tous les édifices qui ne se rattachent pas directement aux deux premières, tous ceux qui témoignent d’une certaine personnalité, d’une recherche de faire neuf, d’un souci d’échapper à la banalité courante, d’une ébauche de compréhension des nécessités nouvelles de l’art. […] Ce qui frappe, au premier contact avec l’une des œuvres de Horta, c’est sa puissante originalité. […] Originalité, beauté, également puissantes, tels sont les deux caractères dont la révélation vous saisit à première vue. En poursuivant l’examen, en abordant la structure de l’œuvre, les divers éléments apparaissent successivement, complétant et renforçant l’impression première. […] Une des principales raisons qui me font considérer Horta comme un artiste de premier ordre, c’est qu’il conçoit lui-même en même temps que l’édifice, tout ce qui en dépend : décoration, ameublement, vitraux, étoiles, objets d’art, etc.

509. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre VII. »

Solon, poëte si élevé et si pur, dans le petit nombre de vers conservés comme des dates principales de sa vie, était contemporain de Thespis et n’assista qu’au premier réveil poétique d’Athènes. […] Lorsque, tombant au premier rang, il a perdu la vie, il comble de gloire la ville, ses concitoyens et son père ; car, à travers la poitrine, le bouclier et la cuirasse, il est percé de coups par devant. […] « Il est beau de mourir78 tombant au premier rang, en homme de courage qui combat pour la patrie. […] C’est une honte, en effet, que, tombé au premier rang, un vieillard soit gisant à terre, en avant des jeunes, avec une tête blanchie, une barbe grise, exhalant sur la poussière son âme courageuse, couvrant de ses mains les blessures sanglantes, hideuses, de son corps à nu : mais aux jeunes tout sied bien, tant qu’ils ont la fleur brillante du bel âge. Alors, le guerrier est beau à voir vivant ; il est aimé des femmes ; et il est encore beau tombé au premier rang.

510. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — I » pp. 143-149

  L’abbé de Pons, né en 1683, avait pour père le sieur de Pons d’Annonville, d’une noble famille de Champagne et chevalier d’honneur du présidial de Chaumont (sur Marne) ; il naquit à Marly, chez son oncle qui en était alors seigneur, et de qui le roi ne tarda pas à l’acquérir, « fit ses premières études au collège des jésuites à Chaumont, puis vint à Paris et entra au séminaire de Saint-Magloire, d’où il suivit l’école de Sorbonne : « Il était bon humaniste, nous dit-on ; il possédait les principes de la théologie ; mais surtout il était grand métaphysicien, dans le sens le plus étendu qu’on donne à présent (1738) à ce terme. […] C’était l’époque des cafés et de leur première vogue ; ils étaient hantés par ce qu’il y avait de mieux parmi les gens d’esprit. […] J’y trouvai (c’est Duclos qui parle) Maupertuis, Saurin, Nicole, tous trois de l’Académie des sciences, Melon, auteur du premier traité sur le commerce, et beaucoup d’autres qui cultivaient ou aimaient les lettres. […] Celui-ci lui ayant lu sa pièce du Lot supposé avant la représentation, il l’avait approuvée, et il se croyait comptable devant l’auteur et devant tous de son premier jugement : Il me semble, disait-il, que lorsqu’un ouvrage livré à notre censure nous a semblé bon, nous devons à l’auteur l’hommage public du jugement avantageux que nous en avons porté… Quand il me serait arrivé de trouver bon un ouvrage que le public aurait ensuite jugé mauvais, il n’y aurait pas grand mal à cela, et j’ose assurer que je serais en ce cas moins mécontent de moi, que si, dissimulant lâchement mon estime, je m’étais épargné cette espèce d’humiliation.

511. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Introduction » pp. 3-17

Premier axiome : le poète comique doit disparaître derrière ses personnages. […] Si nous voulons donner un nom à cette première et nombreuse famille de critiques grands théoriciens et bons logiciens, nous l’appellerons tout naturellement l’école dogmatique. […] Vous avez beau remonter à l’origine des choses et des idées ou à l’A B C de la grammaire et de la rhétorique, suivre un à un les pas de la logique ou faire appel au sens commun simplement, mettre en avant la raison ou, ce qui vaut mieux, la nature ; au fond de toutes vos théories littéraires il y a un sentiment, pas autre chose, analogue, non point au sentiment large d’un homme libre de préjugés qui trouve belles toutes les belles fleurs et belles toutes les belles femmes, chacune dans son genre de beauté, mais au sentiment étroit d’un petit propriétaire qui n’a d’yeux que pour les fleurs de ses plates-bandes et de ses pois, ou d’un jeune amoureux prêt à rompre les os au premier qui osera dire que sa maîtresse n’est pas la plus belle femme du monde. […] Saisissons dans leur fleur ces premiers sentiments délicats et fugitifs qui naissent en nous spontanément avant toute réflexion : la critique littéraire n’est que l’analyse des sentiments littéraires.

512. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Note sur les éléments et la formation de l’idée du moi » pp. 465-474

« A partir du premier ou du second jour, il me fut impossible pendant quelques semaines de m’observer et de m’analyser. […] Il faut distinguer cette première et profonde impression de toutes les autres qui vont suivre. » — En effet, dans ce premier stade, les sensations nouvelles étaient trop nouvelles ; elles n’avaient pas été répétées un assez grand nombre de fois pour faire dans la mémoire un groupe distinct, une série cohérente, un second moi ; telle est la chenille dont nous avons parlé, dans le premier quart d’heure qui suit sa métamorphose en papillon ; son nouveau moi n’est pas encore formé, il est en train de se former ; l’ancien, qui n’éprouve que des sensations inconnues, est conduit à dire : Je ne suis plus, je ne suis pas. — « Plus tard et dans une seconde période, dit notre observateur, lorsque par un long usage j’eus appris à me servir de mes sensations nouvelles, j’avais moins d’effroi d’être seul et dans un pays que je ne connaissais pas ; je pouvais, quoique avec difficulté, me conduire ; j’avais reformé un moi ; je me sentais exister, quoique autre. » Il faut du temps pour que la chenille s’habitue à être papillon ; et, si la chenille garde, comme c’était le cas, tous ses souvenirs de chenille, il y a désormais un conflit perpétuel et horriblement pénible entre les deux groupes de notions ou impressions contradictoires, entre l’ancien moi qui est celui de la chenille, et le nouveau moi qui est celui du papillon. — Dans le second stade, au lieu de dire : Je ne suis plus, le malade dit : Je suis un autre. […] « Non seulement, dit ce dernier, il m’a semblé que j’étais un autre ; mais j’étais effectivement un autre » ; un moi différent s’était substitué au premier.

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