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883. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XVI. Des sophistes grecs ; du genre de leur éloquence et de leurs éloges ; panégyriques depuis Trajan jusqu’à Dioclétien. »

Le plus célèbre d’entre eux fut Hérode Atticus ; il descendait de Miltiade, avait eu un de ses ancêtres consul à Rome, fut lui-même consul, devint le maître de Marc-Aurèle, et posséda des richesses immenses ; mais il préférait à tous ces titres la gloire de parler sur-le-champ d’une manière éloquente : il reçut des leçons d’un fameux orateur de Smyrne, et pour premier essai prononça sur-le-champ l’éloge de son père.

884. (1889) Derniers essais de critique et d’histoire

Y a-t-il là de grands motifs de sécurité, et, quand un palais possède quatre fusils, peut-on le blâmer de voir avec défiance, aux fenêtres du palais qui lui fait face, douze fusils braqués contre lui ? […] Un Anglais, un Américain bien élevé les possède ; nous ne les possédons pas, et c’est pour cela que nous nous abstenons ou nous décidons en aveugles. […] Il possédait six langues, avec leur littérature et leur histoire, l’italien, le grec, le latin, l’anglais, l’espagnol et le russe ; je crois qu’en outre il lisait l’allemand. […] Lorsque j’ai quitté Lyon, j’étais un boute-en-train en comparaison de ce que je suis maintenant. » Quelques mois plus tard, il ajoutait : « J’ai reconnu le néant de toutes choses, sans en avoir possédé aucune. […] La plupart des artistes très féconds et très puissants ont possédé ce moule : la nature l’avait préparé en eux ; ils l’avaient eux-mêmes dégagé par degrés ; cela fait, ils ne tâtonnaient plus.

885. (1826) Mélanges littéraires pp. 1-457

Quoi qu’il en soit, le Français et le Sauvage ont la même bravoure, la même indifférence pour la vie, la même imprévoyance du lendemain, la même haine du travail, la même facilité à se dégoûter des biens qu’ils possèdent, la même constance en amitié, la même légèreté en amour, le même goût pour la danse et pour la guerre, pour les fatigues de la chasse et les loisirs du festin. […] Heureux les états qui possèdent encore des citoyens comme M. de Bonald ; hommes que les injustices de la fortune ne peuvent décourager, qui combattent pour le seul amour du bien, lors même qu’ils n’ont pas l’espérance de vaincre ! […] Pour faire un portrait aussi fidèle, il ne suffisait pas d’avoir le modèle sous les yeux ; il fallait encore posséder, dans un degré éminent, le talent du peintre. […] Dans ce cas nous serions moins étonnés de l’amour du beau, de l’ordre et de la vertu qui règne dans les Essais, nous ne ferions plus un mérite à l’auteur de posséder un avantage héréditaire ; nous ne louerions que son talent. […] Non seulement ils ont pris Rome, mais ils ont ravagé la Grèce, occupé Byzance, campé sur les ruines de Troie, possédé le royaume de Mithridate, et vaincu au-delà du Taurus ces Scythes qui n’avaient été vaincus par personne.

886. (1903) La pensée et le mouvant

Kant avait établi, disait-on, que notre pensée s’exerce sur une matière éparpillée par avance dans l’Espace et le Temps, et préparée ainsi spécialement pour l’homme : la « chose en soi » nous échappe ; il faudrait, pour l’atteindre, une faculté intuitive que nous ne possédons pas. […] Une idée neuve peut être claire parce qu’elle nous présente, simplement arrangées dans un nouvel ordre, des idées élémentaires que nous possédions déjà. […] L’homme est organisé pour la cité comme la fourmi pour la fourmilière, avec cette différence pourtant que la fourmi possède les moyens tout faits d’atteindre le but, tandis que nous apportons ce qu’il faut pour les réinventer et par conséquent pour en varier la forme. […] Et ce que j’éprouverai ne dépendra ni du point de vue que je pourrais adopter sur l’objet, puisque je serai dans l’objet lui-même, ni des symboles par lesquels je pourrais le traduire, puisque j’aurai renoncé à toute traduction pour posséder l’original. […] Replacée dans l’objet métaphysique qui la possède, une propriété coïncide avec lui, se moule au moins sur lui, adopte les mêmes contours.

887. (1892) La vie littéraire. Quatrième série pp. -362

Calmann Lévy possédait ces qualités. […] Antoine n’en possédait pas moins certaines belles parties de l’homme de guerre. […] Il faut enfin avoir ce don de sympathie qui est rare et que Tellier possédait si pleinement. […] Maurice Barrès possède l’arme dangereuse et pénétrante : le style. […] Ces ignorants possédaient, il est vrai, de petits livres exquis.

888. (1866) Dante et Goethe. Dialogues

Dante, comme la plupart des Florentins de son temps, était possédé tout ensemble d’un grand désir de savoir et d’un grand besoin d’agir. […] À mesure que notre domaine intellectuel s’étend, il nous devient moins facile de le posséder et de le fertiliser. […] À sept ans, tout possédé qu’il est du besoin d’adorer, il invente une religion, il s’institue pontife. […] Il rassemble sur un pupitre à musique de forme pyramidale des exemplaires choisis d’une collection d’histoire naturelle que possédait son père, en prenant soin de les ranger dans un ordre agréable aux yeux, selon le rang qu’ils occupent dans la hiérarchie des êtres. […] » il faut qu’il parte ; il le sent, il le dit ; il faut qu’il voie, il faut qu’il possède l’Italie, ou bien il est perdu.

889. (1927) André Gide pp. 8-126

C’est lorsqu’Emmanuèle est morte qu’il la possède enfin, puisqu’elle ne vit %12 %que dans sa pensée à lui et que lui ne vit que par l’amour de la bien-aimée. […] Du donjuanisme intellectuel : « Choisir, c’est renoncer pour toujours, pour jamais, à tout le reste. » Aversion pour les foyers, les familles, les fidélités, pour n’importe quelle possession par peur de ne plus posséder que cela : chaque nouveauté doit nous trouver toujours disponibles. […] Si je possédais quelque première édition d’une pièce de Racine ou de Molière, je m’en séparerais également ; je préfère un livre de classe. […] Mais si je ne le crois pas possédé du démon, en dépit de sa prédilection pour la magie noire du manichéen et apocalyptique William Blake, je conviens qu’il me paraît quelquefois un peu méphistophélique ; Je ne puis lui reconnaître, comme le fait M. 

890. (1904) Zangwill pp. 7-90

Rigoureusement parlant, l’homme dans la vie duquel règne l’égoïsme fait un acte de cannibale en mangeant de la chair ; seul l’homme qui travaille en sa mesure au bien ou au vrai possède ce droit. […] On m’a dit que vous possédez même un biais pour rendre concevable l’immortalité des individus. » Nous ne pouvons pas laisser, même pour aujourd’hui, cette immortalité des individus ; car ce dogme de l’immortalité individuelle fait le point critique de presque toutes les doctrines ; c’est là que le critique attend le métaphysicien ; car c’est là que se révèlent les arrière-plans de l’espérance ; particulièrement ici le dogme de l’immortalité individuelle fera le point critique de la doctrine ; c’est à ce dogme en effet que nous allons reconnaître comment, dans les rêves de ce Théoctiste, l’humanité ou la surhumanité Dieu obtient sa mémoire totale ; nous y voyons dès les premiers mots qu’elle ne l’obtient point par une réelle résurrection des individus réels, qu’elle ne l’obtient point proprement par ce que nous nommons tous la résurrection des morts, mais que la surhumanité Dieu, dans les rêves de ce Théoctiste, obtient la totalisation de sa mémoire par une reconstitution historique, par une totalisation de l’histoire, par la résurrection des historiens, par le règne et par l’éternité de l’Historien. […] L’artiste seul prend cette promenade pour domaine, la prend tout entière, et se trouve muni, pour la reproduire, d’instruments que nul ne possède ; en sorte que sa copie est la plus fidèle, en même temps qu’elle est la plus complète. […] Mais, si on l’ouvre pour examiner l’arrangement intérieur de ses organes, on y trouve un ordre aussi compliqué que dans les vastes chênes qui la couvrent de leur ombre ; on la décompose plus aisément ; on la met mieux en expérience ; et l’on peut découvrir en elle les lois générales, selon lesquelles toute plante végète et se soutient. » Je me garderai de mettre un commentaire de détail à ce texte ; il faudrait écrire un volume ; il faudrait mettre, à chacun des mots, plusieurs pages de commentaires, tant le texte est plein et fort ; et encore on serait à cent lieues d’en avoir épuisé la force et la plénitude ; et je ne peux pas tomber moi-même dans une infinité du détail ; d’ailleurs nous retrouverons tous ces textes, et souvent ; c’était l’honneur et la grandeur de ces textes pleins et graves qu’ils débordaient, qu’ils inondaient le commentaire ; c’est l’honneur et la force de ces textes braves et pleins qu’ils bravent le commentaire ; et si nul commentaire n’épuise un texte de Renan, nul commentaire aussi n’assied un texte de Taine ; aujourd’hui, et de cette conclusion, je ne veux indiquer, et en bref, que le sens et la portée, pour l’ensemble et sans entrer dans aucun détail ; à peine ai-je besoin de dire que ce sens, dans Taine, est beaucoup plus grave, étant beaucoup plus net, que n’étaient les anticipations de Renan ; ne nous laissons pas tromper à la modestie professorale ; ne nous laissons d’ailleurs pas soulever à toutes les indignations qui nous montent ; je sais qu’il n’v a pas un mot dans tout ce Taine qui aujourd’hui ne nous soulève d’indignation ; attribuer, limiter Racine au seul dix-septième siècle, enfermer Racine dans le siècle de Louis XIV, quand aujourd’hui, ayant pris toute la reculée nécessaire, nous savons qu’il estime des colonnes de l’humanité éternelle, quelle inintelligence et quelle hérésie, quelle grossièreté, quelle présomption, au fond quelle ignorance ; mais ni naïveté, ni indignation ; il ne s’agit point ici de savoir ce que vaut Taine ; il ne s’agit point ici de son inintelligence et de son hérésie, de sa grossièreté, de son ignorance ; il s’agit de sa présomption ;  il s’agit de savoir ce qu’il veut, ce qu’il pense avoir fait, enfin ce que nous voyons qu’il a fait, peut-être sans y penser ; il s’agit de savoir, ou de chercher, quel est, au fond, le sens et la portée de sa méthode, le sens et la portée des résultats qu’il prétend avoir obtenus ; ce qui ressort de tout le livre de Taine, et particulièrement de sa conclusion, c’est cette idée singulière, singulièrement avantageuse, que l’historien, j’entends l’historien moderne, possède le secret du génie.

891. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1863 » pp. 77-169

Le propriétaire possède des chevaux, des voitures, des terres. […] Et Mme de Sévigné, donc… Et la grande parole de Gautier enterrant les objections de tous, il continuait : « Oui, peut-être avaient-ils assez des mots qu’ils possédaient, en ce temps-là, je vous l’accorde. […] Il possède une telle influence ! […] Du reste, les philosophes, ainsi qu’on le verra dans la suite de ce journal, me semblent posséder la spécialité des prophéties qui ne se réalisent pas.

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