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444. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [III] »

Jomini, selon sa mission, expose à l’Empereur comment le maréchal avait dû croire à l’utilité de se rapprocher du roi Joseph pour lui venir en aide contre Wellesley (Wellington), au cas où ce général, qui avait pris pied en Portugal, se porterait de la vallée du Tage sur Madrid. […] Au moment de céder et de partir pour Paris, Jomini exhalait sa plainte ; il voyait bien qu’on ne lui permettrait pas de donner sa démission et d’aller porter ailleurs sa connaissance des choses de guerre et ses idées : «  Hélas ! […] si l’Empereur voulait, il me ferait porter les chaînes d’Armide ! […] Le général n’y était désigné que par une initiale J… Au lieu de ces mots « s’il dort et s’il pleure », il avait mis : « si l’on dort et si l’on pleure. » La table des matières, à l’article Jomini, ne portait point l’indication de cet endroit désobligeant.

445. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — Note »

Il m’a recommandé de me distraire, d’éloigner toute cause de chagrin, d’éviter toute contrariété, de prendre l’air, de tâcher d’avoir de l’appétit, enfin de faire tous mes efforts pour me bien porter[…] C’est une bonne et rude leçon, et l’on en profite ; mais il est bien des malheureux qui ont longtemps porté leur joug avec courage, et qui un jour se sont enfin soustraits à ce joug de plomb : ceux-là, on les plaint et on les oublie, et c’est encore bien ; mais je suis sûre que, si l’on eût pu recueillir les dernières plaintes de leur agonie, on eût entendu sur leurs lèvres d’amers et justes reproches pour leurs amis.  […] Portez-vous donc bien, et donnez-nous donc bientôt ce beau livre dont le commencement m’a charmée.  […] Des années s’écoulèrent : notre amitié subit dans l’intervalle bien des interruptions, des silences, des intermittences, sans que jamais aucun tort réel d’un côté ou de l’autre y vînt porter une sérieuse atteinte.

446. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME ROLAND — II. » pp. 195-213

Alors vraiment nous portons en nous le héros de Plutarque, notre Alexandre, si jamais nous le portons. […] On raconte que l’amour et le dévouement ont fait porter ce déguisement à quelques femmes… Ah ! […] Allons, il ne me fâche pas trop de ne pas porter une couronne de reine, quoiqu’il me manque bien des moyens… Mais je babille à tort et à travers : je t’aime de même, comme Henri IV faisait Crillon.

447. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre II. De l’expression »

Il cite les proverbes du village : Camarade épongier ……     Portait, comme on dit, les bouteilles. […] Quand on commence à embellir sa phrase, à chercher des alliances de mots, à mettre dans un sujet plus d’esprit, d’imagination et d’éloquence qu’il n’en peut porter, le mauvais goût arrive, et la littérature va déchoir. […]     Il dit que du labeur des ans Pour nous seuls il portait les soins les plus pesants Parcourant, sans cesser, ce long cercle de peines Qui, revenant sur soi, ramenait dans les plaines, Ce que Cérès nous donne et vend aux animaux :     Que cette suite de travaux Pour récompense avait de tous tant que nous sommes. […] « Il dit qu’il portait pour nous seuls les fruits les plus pesants du labeur des années ; parcourant sans s’arrêter de long cercle de peines qui ramène dans nos champs, en revenant sur soi, ce que Cérès nous donne et ce qu’elle vend aux animaux ; que cette suite de fatigues avait, de tous tant que nous sommes, pour récompense force coups, peu de gré ; puis que, quand il était vieux, on croyait l’honorer toutes les fois que les hommes achetaient l’indulgence des cieux au prix de son sang. » Il fallait faire ainsi « le peseur de syllabes et le regratteur » de consonnes, et se hasarder jusqu’à la critique de Batteux et de Denys d’Halicarnasse, pour montrer que l’instinct d’un poète, même bonhomme, est aussi savant que la réflexion d’un philosophe.

448. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Victor Duruy » pp. 67-94

Il passe son baccalauréat le 27 juillet 1830, première journée des « trois glorieuses », devant un jury qui portait des rubans tricolores à la boutonnière. […] Puis il s’agit d’une de ces entreprises qui ont besoin du temps pour être consommées et pour porter leurs vrais fruits. […] Il dit quelque part que les Grecs de la décadence « manquaient de ces fermes assises si nécessaires pour porter honorablement la vie ». Ces assises séculaires, il les eut en lui profondes ; et vous savez si, en effet, il porta la vie honorablement.

449. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Les Mémoires de Saint-Simon. » pp. 270-292

I, p. 285), s’est porté pour adversaire de Saint-Simon, et a articulé contre lui des accusations et imputations qu’il m’est impossible d’admettre dans la généralité où il les pose. […] Mais si c’est un jugement impartial, désintéressé et historique, que M. de Noailles a prétendu porter, comme cela était si digne de son esprit, je me permets de croire qu’il n’a pas rendu à Saint-Simon l’éclatante justice que ce grand observateur et peintre mérite à tant d’égards, et particulièrement pour la bonne foi, pour la probité, pour l’amour de la vérité qui se fait jour jusque dans ses erreurs et ses haines, et pour un certain courage d’honnête homme dont on ne voit pas que, jusqu’en ses excès, il ait manqué jamais. […] Elle ne peut suffire à porter toute sa joie et toute sa fougue. […] Si Saint-Simon n’a pu faire rendre si tard à la noblesse française une influence politique et aristocratique qui n’était point sans doute dans les conditions de notre génie national et dans nos destinées, il a fait pour elle tout ce qu’il y a de mieux après l’action, il lui a donné, en sa propre personne, le plus grand écrivain qu’elle ait jamais porté, la plume la plus fière, la plus libre, la plus honnête, la plus vigoureusement trempée et la plus éblouissante, et ce duc et pair dont on souriait alors se trouve être aujourd’hui, entre Molière et Bossuet (un peu au-dessous, je le sais, mais entre les deux certainement), une des premières gloires de la France27.

450. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Saint-Évremond et Ninon. » pp. 170-191

Ninon devait vers ce temps partir, dit-on, pour Cayenne, où se portait un grand nombre d’émigrants de toutes les classes. […] C’est par toutes ces qualités aimables et brillantes, portées sur un grand fonds de solidité et de sûreté dans l’amitié, qu’elle conquit les suffrages de tous ceux qui la virent, qu’elle fit oublier aux uns qu’elle vieillissait, et aux autres qu’elle avait été bien jeune sans cesser encore de l’être. […] Jamais on n’a porté si loin le bonheur de votre sexe : il y a peu de princesses dans le monde à qui vous ne fassiez sentir la dureté de leur condition par jalousie de la vôtre ; il n’y a point de saintes dans les couvents qui n’eussent voulu changer la tranquillité de leur esprit contre les troubles agréables de votre âme. […] Mais la santé de Mme de La Fayette, et son humeur qui la portait à ses aises, ne lui permirent pas de faire longtemps ce rôle.

451. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Jasmin. (Troisième volume de ses Poésies.) (1851.) » pp. 309-329

quel délicieux poème vous auriez été, si la nature prodigue qui vous a conçu avait été capable de vous porter avec cette patience, de vous élever et de vous mener à bien avec cette sollicitude maternelle ! […] Elle vend sa maison, et, légère, elle court porter au curé la somme complète : « Monsieur le curé, lui dit Marthe à genoux, je vous porte tout ce que j’ai ; maintenant vous pourrez écrire ; achetez sa liberté, puisque vous m’êtes si bon ; ne dites pas qui le sauve ; oh ! […] Nul poète n’a reçu autant d’éloges que lui, et nul ne se gêne moins à paraître les aimer, mais il a cela de particulier que ces éloges ne lui ont fait faire aucune folie : il a porté son ivresse de poète avec un rare bon sens : « Je ne sais aucun faux pas de lui », me disait quelqu’un qui le connaît bien. Avant la révolution de Février, en avril 1847, dans la pièce intitulée Riche et pauvre, ou les Prophètes menteurs, il montrait la bienfaisance des uns désarmant la colère et l’envie des autres, et faisant mentir les sinistres prédictions ; il montrait aux plus pauvres la charité mieux comprise que jamais, se déployant partout, donnant d’une main et quêtant de l’autre ; et aux riches il disait : « N’oubliez pas un seul moment que des pauvres la grande couvée se réveille toujours avec le rire à la bouche, quand elle s’endort sans avoir faim. » Dans son poème Ville et campagne, composé pour la fête du comice agricole de Villeneuve-sur-Lot (septembre 1849), il montrait les avantages qu’il y a à ne pas déserter son sol natal pour les glorioles et les ambitions des villes ; il faisait porter une santé par le plus sage et le plus vieux, « non à l’esprit nouveau, plein de venin, mais à l’aîné de l’esprit, au bon sens ».

452. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — II. (Fin.) » pp. 63-82

Ces suicides des Caton, des Brutus, lui inspirent des réflexions où il entre peut-être quelque idolâtrie classique et quelque prestige : « Il est certain, s’écrie-t-il, que les hommes sont devenus moins libres, moins courageux, moins portés aux grandes entreprises qu’ils n’étaient lorsque, par cette puissance qu’on prenait sur soi-même, on pouvait, à tous les instants, échapper à toute autre puissance. » Il le redira jusque dans L’Esprit des lois, à propos de ce qu’on appelait vertu chez les anciens : « Lorsqu’elle y était dans sa force, on y faisait des choses que nous ne voyons plus aujourd’hui, et qui étonnent nos petites âmes. » Montesquieu a deviné bien des choses antiques ou modernes, et de celles même qu’il avait le moins vues de son temps, soit pour les gouvernements libres, soit pour les guerres civiles, soit pour les gouvernements d’empire ; on ferait un extrait piquant de ces sortes de prédictions ou d’allusions prises de ses œuvres. […] Les hommes, selon lui, ne font le bien que quand ils ne peuvent faire autrement : « Mais, dès qu’ils ont le choix et la liberté de commettre le mal avec impunité, ils ne manquent jamais de porter partout la confusion et le désordre. » Machiavel est très persuadé que les hommes ont beau avoir l’air de changer pendant des jurées de régime, qu’au fond ils ne changent pas, et que, certaines occasions se reproduisant, on les retrouve absolument les mêmes. […] Ce qu’il y a de beau chez Montesquieu, c’est l’homme derrière le livre, Il ne faut pas demander à ce livre plus de méthode, plus de suite, plus de précis et de positif dans le détail, plus de sobriété dans l’érudition et dans l’imagination, plus de conseils pratiques qu’il n’y en a en réalité ; il faut y voir le caractère de modération, de patriotisme et d’humanité que l’auteur a porté dans toutes les belles parties, et qu’il a revêtu de mainte parole magnanime. […] L’Esprit des lois est un livre qui n’a plus guère d’autre usage que ce noble usage perpétuel de porter l’esprit dans la haute sphère historique et de faire naître une foule de belles discussions.

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