Un jour que Bernis sortait de chez Mme de Pompadour, emportant sous son bras une toile de perse qu’elle lui avait donnée pour meubler son nouvel appartement, le roi le rencontra dans l’escalier, et voulut absolument savoir ce qu’il portait ; il fallut le montrer et expliquer le pourquoi : « Eh bien, dit Louis XV en lui mettant dans la main un rouleau de louis, elle vous a donné la tapisserie, voilà pour les clous. » Pourtant l’impatience vint à Bernis, et, suivant la spirituelle remarque de Duclos, voyant qu’il avait tant de peine à faire une petite fortune, il résolut d’en tenter une grande : cela lui fut plus facile. […] Il sentait bien que ses amis de Versailles ne l’y laisseraient pas éternellement ; il avait l’espérance vague, mais certaine, d’un futur retour : « Ma plus grande peine n’est donc que d’aspirer à être utile, d’en ouvrir modestement les voies, et d’être toujours renvoyé à l’inaction et à l’inutilité : voilà pour le moral. » Au physique, sa santé s’altérait faute d’exercice ; son embonpoint augmentait, la goutte se portait aux genoux. […] Ses vues se tournèrent toutes du côté de la paix, pour terminer, d’une part, une guerre dont il ne prévoyait que des désavantages, et d’une autre, pour tirer sa nation d’une alliance contraire et forcée dont la France portait le fardeau, et dont la maison d’Autriche devait seule retirer tout le fruit et tout l’avantage. […] Pendant cette année si occupée, durant laquelle il met la main aux grandes affaires et qui précède son entrée au ministère (1756-1757), il n’est plus cet homme maladif et languissant de Venise qui a la goutte au genou, et dont la vie se traîne de fluxion en fluxion : il veille, il se prodigue dans le monde, il passe une partie des nuits à jouer, faisant semblant de s’y plaire, pour mieux cacher son autre jeu ; car il n’est pas ministre encore ; la négociation secrète qu’il mène se conduit en dehors du cabinet, et ceux qui sont en place le surveillent : au milieu de tous ces soins, il ne s’est jamais mieux porté.
Tout annonçait en lui un élève vigoureux de son siècle, et qui se portait sur tous les points avec ardeur et indépendance. […] Lorsque la Révolution de 89 éclata, Roederer avait trente-cinq ans ; sa vie antérieure était déjà pleine de services, et surtout d’études et de travaux en tout genre, il nous représente bien à sa date, et dans sa province, ce que pouvait être un homme éclairé de cette génération qui portait en elle l’idée et les principes d’un ordre nouveau. […] Cependant son besoin d’écrire et d’occuper son activité le porta presque aussitôt à rendre compte dans le Journal de Paris des séances de la Convention commençante. […] [NdA] J’ai peine à m’expliquer comment Étienne Dumont de Genève, en ses Souvenirs, parlant de Roederer qu’il rencontrait dans le groupe des Girondins, a pu dire de lui : « Roederer, homme d’esprit, mais fort ignorant, avait un fonds de légèreté dans le caractère qui lui donnait un rôle subalterne, quoique par sa capacité il l’emportât sur presque tous. » Quand on a eu sous les yeux les extraits en masse des lectures de Roederer dès sa première jeunesse, et quand on a vu l’ensemble de ses travaux sous la Constituante, on ne saurait admettre que cette ignorance dont parle Dumont, et dont les plus instruits eux-mêmes ne sont pas exempts sur les points étrangers à leurs études, ait porté le moins du monde sur la science politique et économique qui était l’essentiel ici.
Il y a des doctrines et des convictions qui soutiennent et qui portent dans tout ce qui est de la parole publique ; il y en a qui font faute et qui délaissent. […] Il en portait la peine. […] Mon destin veut que je coure sous le harnois que je suis obligé de porter, et je dois m’y soumettre. (23 décembre 1778.) […] [NdA] On peut voir au tome vii des Mémoires de Napoléon (édition de 1830, pages 323-324) le jugement définitif porté sur le prince Henri comme général et sur ses opérations militaires durant la guerre de Sept Ans : La campagne de Saxe du prince Henri a été beaucoup trop vantée, dit Napoléon ; la bataille de Freyberg n’est rien, parce qu’il y a remporté la victoire sur de très mauvaises troupes ; il n’y a pas déployé de vrais talents militaires… Dans cette campagne (celle de 1762) ce prince a constamment violé le principe que les camps d’une même armée doivent être placés de manière à pouvoir se soutenir… La campagne de 1761 est celle où ce prince a vraiment montré des talents supérieurs.
C’était le théâtre auquel il aspirait le plus et où son ambition allait trouver tout son emploi ; car c’est là que se portaient les grands coups et que se jouait le sort du royaume. […] Pour parer aux mouvements de l’ennemi qui décidément en voulait à Mons, Villars, rassemblant son armée, la porta par-delà Valenciennes, dans ces plaines boisées que le nom de Malplaquet a rendues tristement célèbres. […] Villars, après avoir étudié le terrain, suivant son principe « que, quand on doit jouer une furieuse partie de paume, il faut au moins connaître le tripot », vit bien que d’attaquer Eugène dans ses lignes commencées de Landrecies était chose téméraire, et il se décida à porter son effort contre le camp de Denain, qu’il savait plus abordable, et dont le maréchal de Montesquiou (d’Artagnan) lui avait le premier parlé11. […] Il retourna sur Landrecies, comptant bien encore en pousser le siège ; mais Villars, profitant de son succès, se porta sur Marchiennes qu’il prit en quatre jours (30 juillet), et s’y empara de toutes les munitions et des approvisionnements d’Eugène ; la chance avait tourné.
Je me promenais seul, quelques moments avant le coucher du soleil ; le temps était très beau ; la fraîcheur des objets, le charme qu’offre leur ensemble dans cette brillante époque du printemps qui se fait si bien sentir à l’âme, mais qu’on affaiblit toujours en cherchant à la décrire ; tout ce qui frappait mes sens portait à mon cœur je ne sais quoi de doux et de triste ; les larmes étaient au bord de mes paupières. […] Tel nous apparaît Maine de Biran dans ce volume, au point de départ ; quinze et vingt ans après, et par le seul mouvement continu de sa pensée, il en était venu à déplacer totalement son point de vue, à le porter, en quelque sorte, de la circonférence au centre, à tout rendre (et même au-delà) à la force intime et à la volonté : L’art de vivre, écrivait-il en 1816, consisterait à affaiblir sans cesse l’empire ou l’influence des impressions spontanées par lesquelles nous sommes immédiatement heureux ou malheureux, à n’en rien attendre, et à placer nos jouissances dans l’exercice des facultés qui dépendent de nous, ou dans les résultats de cet exercice. […] Il donne l’idée que la première condition pour être psychologue est d’être infirme, ce qui ne se doit dire d’aucune science vraie : « Quand on a peu de vie, dit-il, ou un faible sentiment de vie, on est plus porté à observer les phénomènes intérieurs. […] Parce qu’il a été vers la fin un adversaire du gouvernement impérial, on aurait tort de le prendre pour un grand partisan du régime constitutionnel ou parlementaire ; selon lui, le seul bon gouvernement est celui sous lequel l’homme trouve le plus de moyens de perfectionner sa nature intellectuelle et morale et de remplir le mieux sa destination sur la terre : or, sûrement, ajoute-t-il, ce n’est pas celui où chacun est occupé sans cesse à défendre ce qu’il croit être ses droits ; où les hommes sont tous portés à s’observer comme des rivaux plutôt qu’à s’aimer et s’entr’aider en frères ; où chaque individu est dominé par l’orgueil ou la vanité de paraître, et cherche son bonheur dans l’opinion, dans la part d’influence qu’il exerce sur ses pareils.
Officier lui-même de la garde bourgeoise, et bientôt porté par les élections aux premières magistratures de sa ville natale, il fut envoyé à Paris en députation, afin de solliciter du gouvernement les fusils nécessaires à l’armement de la garde nationale. […] Son excès d’ardeur, comme une fièvre qui veut sortir, a besoin de se porter à la frontière : c’est là que son exaltation est à sa place, qu’elle trouve son aliment. et son emploi, qu’elle est honorable et civique, non sauvage et désastreuse. […] L’aile de droite était occupée par le religieux qui portait le titre de courrier, spécialement chargé de l’administration des forêts, de la vente des bois et de la rentrée des fonds dans la caisse du procureur. […] Chaque chartreux avait devant lui un pot d’étain, d’une pinte, rempli de bière, un autre de même dimension, rempli de vin de Champagne ordinaire, et une bouteille cachetée de vin vieux ; et ce qu’il ne buvait pas était porté par les frères lais dans le tour placé à côté de la porte de la cellule ; on servait à chacun une tranche d’esturgeon d’une livre, du poisson de rivière en pareille quantité, une omelette de six œufs, du pain frais à volonté, du fromage et les plus beaux fruits.
Horace Walpole, dans la description des fêtes qu’il donna à sa résidence de Strawberry-Hill en l’honneur de Mme de Boufflers, nous la montre fort agréable, mais arrivant fatiguée, excédée de tout ce qu’elle avait eu à voir et à faire la veille : « Elle est arrivée ici aujourd’hui (17 mai 1763) à un grand déjeuner que j’offrais pour elle, avec les yeux enfoncés d’un pied dans la tête, les bras ballants, et ayant à peine la force de porter son sac à ouvrage. » En fait de Français, Duclos était de la fête, lui « plus brusque que vif, plus impétueux qu’agréable », et M. et Mme d’Usson, cette dernière solidement bâtie à la hollandaise et ayant les muscles plus à l’épreuve des plaisirs que Mme de Boufflers, mais ne sachant pas un mot d’anglais. […] … » Dutens, enfin, qui seul ne serait peut-être pas une autorité suffisante en matière de grâce et de goût, mais qui en est une en fait de sérieux, nous dit : « De toutes les femmes de la Cour les plus distinguées par l’esprit et les agréments, Mme la comtesse de Boufflers était certainement la plus remarquable : aucune n’avait plus d’amis et n’avait eu moins d’ennemis, parce qu’elle unissait à tous les dons de la nature et à la culture de l’esprit une simplicité aimable, des grâces charmantes, une bonté et une sensibilité qui la portaient à s’oublier sans cesse, pour ne s’occuper que des biens ou des maux de tous ceux qui l’entouraient. […] Elle avait porté quelque chose d’elle-même et de son genre d’esprit dans les embellissements qu’elle avait faits, autour d’elle. […] Quand on a eu une vraie distinction, on ne meurt jamais entièrement au sein de la société et du régime dont on a été, qui vous a produit et qui vous survit, et où se transmettent tant bien que mal les souvenirs ; mais là où on court le risque à peu-près certain de périr et d’être abîmé tout entier, c’est quand le déluge fatal qui survient tôt ou tard, le tremblement ou le déplacement des idées et des conditions humaines envahit et emporte l’ordre de choses même et tout le quartier de société et de culture qui vous a porté.
Il n’était pas même haï des Jansénistes les plus sensés : il avait su parer adroitement des coups que l’on voulait leur porter. […] M. de Harlay, serviteur zélé du monarque, portait plus qu’aucun prélat de ce temps le poids et la responsabilité de la Déclaration du Clergé ; les critiques qu’elle souleva au premier moment lui attirèrent des injures personnelles, des libelles sans nombre. […] Il s’y sentait porté de race, étant fils d’un père qui avait traduit Tacite. […] … Ce sont des réflexions que notre sujet nous présente… réflexions salutaires quand nous savons nous les appliquer, mais téméraires quand nous les portons hors de nous-mêmes ; car alors nous jugeons ce que nous ne connaissons pas, au lieu que nous devrions être uniquement attentifs à juger ce que nous connaissons… Ce sont ces vagues et inutiles discours que Job reprochait à ceux qui voulaient raisonner sur le malheur de son sort.
Il paraît bien que le manque de munitions, de vivres, de mulets, était porté sur cette frontière à un degré qu’on a peine à se figurer. […] Vers l’automne de 1695, le roi voyant que le duc de Savoie le lanternait toujours et qu’or, ne concluait pas, voulut décidément être en mesure d’agir la campagne suivante ; et Tessé, qu’il fit interroger sur cet article et sur le point précis où gisait la difficulté, répondait avec sa finesse habituelle, et à la fois avec tout le respect qu’il devait et qu’il portait en effet à Catinat ; — c’est un dernier jour ouvert, et selon moi définitif, sur l’esprit et le moral du très brave, mais très prudent maréchal : « Je vais parler franchement, écrivait donc Tessé (16 septembre 1695), puisque le roi l’ordonne. […] Catinat y porta le même esprit de réserve et de circonspection qui avait fini par ressembler à de l’abstention pure. […] Ce serait M. de Catinat s’il se portait bien ; mais ce n’est ni M. de Villars, ni la plupart des autres que nous connaissons. » Voilà l’idée vraie et juste de Catinat, qui nous est donnée par les plus fins connaisseurs en mérite et en vertu.