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219. (1920) Enquête : Pourquoi aucun des grands poètes de langue française n’est-il du Midi ? (Les Marges)

Or la langue de Ronsard et de Racine n’est pas naturellement poétique, comme l’italien ou le provençal. […] La clarté, la précision étant l’essence même de notre facteur poétique, il n’est pas extraordinaire que des esprits enclins aux images brillantes mais floues éprouvent une certaine répugnance à les ordonner. […] Il faut donc voir dans la vie plus fiévreuse, plus incertaine, plus dangereuse, que connaissent les hommes du Nord, la source merveilleuse du flot poétique. […] L’unité française réalisée ou sur le point de l’être, les gloires poétiques se sont développées, à de très rares exceptions près, dans l’atmosphère de serre chaude de la cour et le rayonnement du roi. […] La vocation poétique fleurit donc dans le Midi, comme dans le nord de la France.

220. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre V. Transition vers la littérature classique — Chapitre I. La littérature sous Henri IV »

Comment ce gentil poète des dames de Caen, cet artiste faiseur de tragédies poétiques, ce bretteur qui se fit chef de bandes huguenotes et fut tué d’un coup de pistolet sur l’escalier d’une auberge, comment cet aventureux et incohérent personnage fit-il un traité d’économie, science pacifique ? […] La forme du livre est un peu confuse, mais vivante, avec son style éclatant parfois de verve rabelaisienne, souvent illuminé de grâce poétique, abondant même en chaude et vigoureuse éloquence. […] Œuvres poétiques, éd. […] Il commença son Art poétique en 1574 ; Henri III l’invita à y travailler ; cet ouvrage n’était pas achevé en 1589, et ne parut qu’en 1605. Éditions : Diverses Poésies, 1605, Caen, gr. in-8 ; Caen, 1869, 2 vol. i n-8 ; l’Art poétique, Paris, Garnier, 1885, in-12. — A consulter : A.

221. (1921) Esquisses critiques. Première série

Son art poétique exige le heurt et le trébuchement. […] Personne ne songerait à contester la qualité poétique des drames de Victor Hugo ou de ceux de Vigny. […] Bataille n’est poétique. […] Sa veine poétique — avons-nous, jusqu’ici, dit expressément que M.  […] Toulet en poétiques d’une part, et morales de l’autre.

222. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Béranger — Béranger, 1833. Chansons nouvelles et dernières »

Mais, jusqu’à nos jours, l’esprit national, en ce qu’il a de plus vif et de plus essentiellement poétique, n’avait pas fait irruption encore dans la littérature que j’appellerai d’étude et d’art, ou, si l’on veut, cette littérature, sur le point essentiel et le plus saillant, n’était pas descendue à lui ; elle n’avait pas atteint juste à l’endroit le plus sonore ; la disposition chantante, l’humeur chansonnière n’avait jamais été grandement ni délicatement mise en jeu ; on l’avait laissée fredonner au hasard, courir par les goguettes ou sous le balcon du Mazarin, et s’abandonner, satirique ou bachique, à une irrégularité et à une bassesse qui, littérairement, semblaient sans conséquence. […] Ce qui caractérise Béranger entre ceux de nos poëtes contemporains les plus justement célèbres, c’est d’avoir tous les traits purs du génie poétique français, de reproduire en plein ce génie dans tous les sens, d’y atteindre naturellement par tous les bouts : bon sens, esprit, âme, il réunit en lui ces qualités éminentes dans une mesure complète, auparavant inconnue, mais qui ne pouvait se rencontrer que chez nous. […] Pour achever le contraste, tandis que les génies poétiques de ce temps trahissent, presque tous, en leurs vers une allure plus ou moins aristocratique, soit par culte de l’art, soit par prédilection du passé féodal, soit par mystérieuse chasteté d’idéal dans les sentiments du cœur, Béranger est le seul poëte qui, indépendamment même du choix des sujets, ait gardé la rondeur bourgeoise, l’accent familier, la tournure d’idées ouverte et plébéienne ; par où encore il semble descendre en droite ligne de cette forte lignée à tempérament républicain, qu’on suit, sans hésiter, dans les trois derniers siècles, et de laquelle étaient Étienne de La Boëtie, les auteurs de la Ménippèe, Gassendi, Guy Patin, Alceste un peu je le crois, et beaucoup d’autres. […] Quelques-unes de ces pièces, telles que le Juif errant, sont purement poétiques, artistiques ; l’inspiration de cette admirable ballade, en effet, c’est la perpétuité de la course maudite, la folle rage du tourbillon : la moralité n’y vient que d’une façon détournée et secondaire ; on n’a pas le temps de l’entendre.

223. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XV. De l’imagination des Anglais dans leurs poésies et leurs romans » pp. 307-323

Ce qu’il me reste à examiner maintenant, c’est le caractère particulier à l’imagination poétique des Anglais. […] Les Anglais séparés du continent, semotos orbe Britannos , s’associèrent peu, de tout temps, à l’histoire et aux mœurs des peuples voisins : ils ont un caractère à eux dans chaque genre ; leur poésie n’est semblable qu’à celle des Français, ni même à celle des Allemands : mais ils n’ont pas atteint à cette invention des fables et des faits poétiques, qui est la principale gloire de la littérature grecque et de la littérature italienne. […] Ce n’est pas l’invention poétique qui fait le mérite de cet ouvrage ; le sujet est presque entièrement tiré de la Genèse ; ce que l’auteur y a ajouté d’allégorique en quelques endroits, est réprouvé par le goût. […] Où peut-on trouver plus d’enthousiasme poétique que dans l’Ode à la Musique, de Dryden ?

224. (1860) Ceci n’est pas un livre « Le maître au lapin » pp. 5-30

La reproduction matérielle de la nature, si exacte que soit cette reproduction, est par elle-même impuissante à éveiller en nous l’émotion poétique qui doit naître de la contemplation d’une œuvre d’art. […] La nature contient un élément poétique, puisque l’âme est remuée, puisque notre cœur se trouble, puisque notre esprit devient songeur aux spectacles qu’elle nous offre. Mais cet élément poétique — ceci est de toute évidence — ne peut être saisi par les quelques morceaux de bois et de cuivre qui s’appellent un instrument photographique ; partant, l’instrument ne le reproduira point. Et cependant, pour que la nature nous apparaisse dans son entière vérité, son élément poétique doit nécessairement être reproduit.

225. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Alexandre de Humboldt »

En réalité, je n’affirmerais pas qu’il le fût avec la sécurité que j’ai, par exemple, quand j’affirme que Bonaparte est le premier, lui, dans l’ordre politique et militaire, et Byron dans l’ordre poétique ; mais il ne s’agit pas ici de réalité, il s’agit de l’opinion et de l’empire qu’un nom a sur elle. […] Seulement, en supposant que l’ensemble, pour être bien vu, n’y soit pas regardé de trop haut et par cela même y devienne vague, en supposant qu’on puisse être tout à la fois exact et poétique, la grandeur et la beauté de l’exactitude ne sont pas un si étonnant tour de force quand il s’agit de la Nature, qui a cela de particulièrement tout-puissant que ceux qui disent faux en en parlant sont encore poétiques, et qu’elle communique de sa grandeur jusqu’à ceux-là qui mentent sur elle ! […] — telles qu’elles sont, ces lettres, elles ont un mordant et un naturel que les autres écrits d’Alexandre de Humboldt n’ont jamais, drapés qu’ils sont et mouchetés de fleurs poétiques, par respectueuse coquetterie pour les Académies, l’Univers et la Postérité !

226. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXIV. Alexandre de Humboldt »

En réalité, je n’affirmerais pas qu’il le fût avec la sécurité que j’ai, par exemple, quand j’affirme que Bonaparte est le premier, lui, dans l’ordre politique et militaire, et Byron dans l’ordre poétique, mais il ne s’agit pas ici de réalité, il s’agit de l’opinion et de l’empire qu’un nom a sur elle. […] Seulement, en supposant que l’ensemble, pour être bien vu, n’y soit pas regardé de trop haut, et par cela même y devienne vague, en supposant qu’on puisse être tout à la fois exact et poétique, la grandeur et la beauté de l’exactitude ne sont pas un si étonnant tour de force, quand il s’agit de la Nature, qui a cela de particulièrement tout-puissant, que ceux qui disent faux, en en parlant, sont encore poétiques, et qu’elle communique de sa grandeur jusqu’à ceux-là qui mentent sur elle ! […] — telles qu’elles sont, ces lettres, elles ont un mordant et un naturel que les autres écrits d’Alexandre de Humboldt n’ont jamais, drapés qu’ils sont et mouchetés de fleurs poétiques, par respectueuse coquetterie pour les Académies, l’Univers et la Postérité !

227. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Edgar Quinet. L’Enchanteur Merlin »

Ahasverus voulait être une épopée en prose, comme Merlin l’Enchanteur ; tirée des légendes, comme Merlin, et sous la forme légendaire et poétique, cachant, comme Merlin, une philosophie, laquelle est encore celle de Merlin ! […] Ça et là, on reconnaît en lui des moitiés de puissance poétique. […] Quinet fait les siennes, dans une prose poétique qui est au vers ce que le bois des Vosges est au marbre, et qui se console des vers qui lui sont impossibles, en regardant la prose de Rabelais ou celle de Chateaubriand (dans Les Martyrs). […] Non content de cette promenade à travers le monde, il le fait promener même en dehors de ce monde, comme le Dante, et de cette promenade éternelle, le but est de nous dérouler toute l’histoire, légendaire et poétique, du passé comme de l’avenir, car l’enchanteur Merlin, qui entre aux limbes, comme il entre partout, par la vertu de sa petite baguette de coudrier, n’a pas beaucoup de peine ni de mérite à nous prophétiser ce qui est de l’avenir pour lui, du temps du roi Arthur, et ce qui est du passé pour nous, Charlemagne, Hugues Capet, la Saint-Barthélemy, Louis XIV, la Révolution française, la tête coupée de Louis XVI, Robespierre et Napoléon.

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