Alors on se demande par quel miracle ces trois mots, enlevés comme trois brins de fil à la robe admirable d’un poème, ont pu se conserver pendant des siècles dans le musée de la mémoire ? […] Hors de l’art, c’est-à-dire dans les œuvres qui n’ont plus pour but la transposition de la vie en écritures, en formes, en sonorités ; dans les œuvres abstraites ou dans celles où l’auteur doit s’astreindre à l’exactitude historique221, le style se passe de cette nouveauté sans laquelle un poème, par exemple, est inexcusable : un poème, un roman ou toute fiction, car en littérature il n’y a que des poèmes. […] Sans images abstraites, la littérature, identique à la vie, serait, comme la vie, incompréhensible ; elles représentent les points lumineux d’un poème, d’un paysage ou d’une figure .
Le Cid enfin est l’un des plus beaux poèmes que l’on puisse faire ; et l’une des meilleurs critiques qui aient été faites sur aucun sujet est celle du Cid. […] L’Opéra jusques à ce jour n’est pas un poème, ce sont des vers ; ni un spectacle, depuis que les machines ont disparu par le bon ménage d’ Amphion et de sa race ; c’est un concert, ou ce sont des voix soutenues par des instruments : c’est prendre le change, et cultiver un mauvais goût, que de dire, comme l’on fait, que la machine n’est qu’un amusement d’enfants, et qui ne convient qu’aux Marionnettes ; elle augmente et embellit la fiction, soutient dans les spectateurs cette douce illusion qui est tout le plaisir du théâtre, où elle jette encore le merveilleux. […] Les connaisseurs ou ceux qui se croient tels, se donnent voix délibérative et décisive sur les spectacles, se cantonnent aussi, et se divisent en des partis contraires, dont chacun, poussé par un tout autre intérêt que par celui du public ou de l’équité, admire un certain poème ou une certaine musique, et siffle tout autre. […] Le poème tragique vous serre le cœur dès son commencement, vous laisse à peine dans tout son progrès la liberté de respirer et le temps de vous remettre, ou s’il vous donne quelque relâche, c’est pour vous replonger dans de nouveaux abîmes et dans de nouvelles alarmes. […] Ce qu’il y a eu en lui de plus éminent, c’est l’esprit, qu’il avait sublime, auquel il a été redevable de certains vers, les plus heureux qu’on ait jamais lus ailleurs, de la conduite de son théâtre, qu’il a quelquefois hasardée contre les règles des anciens, et enfin de ses dénouements ; car il ne s’est pas toujours assujetti au goût des Grecs et à leur grande simplicité ; il a aimé au contraire à charger la scène d’événements dont il est presque toujours sorti avec succès : admirable surtout par l’extrême variété et le peu de rapport qui se trouve pour le dessein entre un si grand nombre de poèmes qu’il a composés.
Les Moralités légendaires sont un livre, et les Poèmes ne sont, par son vœu, que des confidences murmurées un peu haut. […] Mais partout, et dans les plus cursives piécettes, se révèlent les qualités qu’ils contiennent ; et je crois que le vrai souvenir à donner à ce volume premier serait d’en garder dans sa mémoire quelques strophes qui sont des commencements de poèmes infinis, des débuts de sensations immortelles.
Joignez-y l’indigence et ces infortunes de l’âme dont la religion est le seul remède, et vous aurez tout le sujet du poème. […] On reconnaît encore le chrétien dans ces préceptes de résignation à la volonté de Dieu, d’obéissance à ses parents, de charité envers les pauvres ; en un mot, dans cette douce théologie que respire le poème de Bernardin de Saint-Pierre.
En traduisant, en vers anglais, ce splendide poème, M. […] Et certainement, le Kalévala, tel que nous le possédons, est un des grands poèmes du monde. […] Il lui manque l’unité centrale du vrai poème épique dans le sens que nous donnons à ce mot. […] Ils ne sont pas d’une très haute valeur littéraire, ces poèmes qui ont été si adroitement mis en musique. […] Venetia Victrix est un beau poème à plus d’un point de vue.
» Boccace, de retour à Florence, envoya à Pétrarque le poème de Dante, copié tout entier de sa main. Le poète virgilien de Vaucluse ne possédait pas le poème de Dante dans sa bibliothèque ! Ce poème, objet d’une sorte de superstition peu raisonnée en Italie et en France, choquait le goût délicat et le type antique de la poésie homérique ou virgilienne de Pétrarque. […] On m’a beaucoup insulté en Italie et en France, l’année dernière, pour avoir osé dire que la Divine Comédie du Dante ressemblait plus à une apocalypse qu’à un poème épique. […] Bien que toutes les œuvres de ce beau génie soient presque parfaites et dignes de l’antiquité, comme de la postérité, sans les sonnets, qui est-ce qui se souviendrait des poèmes, des négociations, des discours, des poèmes épiques latins du poète de Vaucluse ?
Mais, d’un poème a l’autre, pendant quatre cents ans, des premières Chansons de geste aux dernières versions en prose de la Bibliothèque bleue, cette matière épique a flotté comme à l’état diffus, sans qu’aucun de nos vieux trouvères, ni l’auteur de Roland, ni celui d’Aliscans, réussît à lui imposer une forme qui la fixât, comme on dit, sous l’aspect de l’éternité. […] Et la poésie lyrique, empêchée dans son essor par les circonstances, n’a pas eu plus tôt ouvert ses ailes qu’elle a dû les replier, et en emprisonnant dans des poèmes d’une impersonnalité convenue la liberté de son inspiration, se rabattre aux lieux communs de la poésie « courtoise ». […] Renaud de Montauban], dont les héros sont les barons en révolte contre une royauté qui ne remplit plus son office. — Coïncidence notable des chansons de ce dernier cycle avec le recul de l’Islam. — Le même temps doit être aussi celui des chansons qui nous montrent les nationalités intérieures en lutte les unes contre les autres [Ex. la Chanson de Garin le Loherain] ; — et celui des poèmes généalogiques [Ex. Les Enfances Guillaume], qui ont pour objet est de donner aux héros une origine et des débuts dont les merveilles s’accordent avec la grandeur de leurs exploits. — Comparaison des poèmes de ce genre avec les poèmes cycliques de la poésie grecque ; — et avec les « généalogies » sémitiques. — Que nos dernières Chansons de geste sont déjà, dans le vrai sens du mot, des épopées littéraires ; — non moins artificielles qu’en d’autres temps une Henriade ou une Pétréide ; — mais que l’inspiration vraiment sincère se retrouve, en même temps que la cause reparaît, dans les chansons qui forment le Cycle de la Croisade [Ex. la Chanson du Chevalier au Cygne]. […] Paris et Ulrich, dans la collection de la Société des anciens textes français, Paris, 1886 ; — et Tristan, recueil de ce qui reste de poèmes relatifs à ses aventures, édition Fr.
Le roman frise parfois le poème ; si nous avions affaire à un vrai poème, et que tout cela fût en beaux vers, en belle musique, nous n’aurions trop rien à dire : on est moins sévère pour le sens, quand on peut se rattraper à chaque instant sur l’exécution. […] Serait-ce un poème qu’il a voulu faire, une œuvre d’imagination, de mélodie, de description, de peinture harmonieuse, de féerie à demi chrétienne, un chant imité de Spencer ou de Tennyson ? […] Mais c’est donc alors un poème que vous vouliez faire ?
Quelque admirée que la Franciade ait été à son apparition, elle fut sans influence : ce qui compte, ce ne sont pas les chants imprimés en 1572, c’est le dessein annoncé bien des années auparavant par Ronsard de tenter l’épopée, c’est la confiance unanime des poètes et du public qui, avec Du Bellay, le désignaient pour le souverain effort du poème héroïque, c’était l’admiration grave, le respectueux enthousiasme dont pendant tant d’années on entoura celui qui marchait dans les voies d’Homère et de Virgile. […] Cependant tout, ici, n’est pas à condamner : qu’on prenne la plus fameuse des odes pindariques, l’Ode à Michel de l’Hôpital, énorme machine de vingt-quatre strophes, antistrophes et épodes, et de huit cent seize vers : on y trouve, pour la première fois, un long poème d’une structure achevée, un rude effort de composition ; on y trouve du mouvement, et de ce mouvement lyrique qui tient à l’organisation rythmique, de l’éloquence aussi, une éloquence qui tient à la hauteur, au sérieux, à la sincérité de la pensée. […] Mais dans les odes non pindariques, ainsi que dans les hymnes, élégies et poèmes divers qui font partie des œuvres, une certaine incohérence, un manque d’équilibre et d’harmonie éclatent. […] Œuvres (Amours, Odes, Poèmes, Hymnes), 4 vol. in-16, Paris, P.