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246. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre II. Boileau Despréaux »

Ainsi la nature fournit à la poésie un objet universellement et immédiatement connu pour vrai, par la représentation duquel la poésie fournit un plaisir raisonnable, c’est-à-dire universellement et constamment perceptible à tous les esprits : voilà la première idée fondamentale de l’Art poétique. […] Seulement, l’art ayant pour objet un plaisir, la ressemblance doit aller jusqu’où le plaisir cesse ; l’imitation d’une réalité hideuse ou horrible doit être agréable. […] C’est une chose curieuse que cet art du xviie  siècle qu’on accuse de n’avoir connu que la froide raison, est celui qui fait le plus une loi d’adapter la nature à l’esprit, et qui pose nettement le plaisir comme sa fin suprême, comme la condition nécessaire et presque suffisante de la perfection. […] Cette méthode n’est pas sans danger, elle peut mener à humaniser la nature à l’excès ; mais le génie consistera à trouver des agréments dans la vérité, et à faire que le plaisir du public soit attaché aux mêmes choses où consiste la fidélité de l’imitation. […] Mais il se pourrait que son naturalisme, dans lequel un rationalisme positiviste se combine avec la recherche d’une forme esthétique, et qui pose ces trois termes comme identiques ou inséparables, plaisir, beauté, vérité : il se pourrait que ce fut en somme la doctrine littéraire la plus appropriée aux qualités et aux besoins permanents de notre esprit371.

247. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame de Lambert et madame Necker. » pp. 217-239

Ce Bachaumont était le compagnon même de Chapelle dans son fameux Voyage, un homme de plaisir et de beaucoup d’esprit. […] Fontenelle nous dit que, dès ce temps-là, elle se dérobait souvent aux plaisirs de son âge, pour aller lire en son particulier, et qu’elle s’accoutuma de son propre mouvement à faire de petits extraits de ce qui la frappait le plus. […] Elle dira en définissant toujours l’amitié, et les qualités qu’elle exige, et les vices de cœur qu’elle exclut : « Les avares ne connaissent point un si noble sentiment ; la véritable amitié est opulente. » Elle dira encore, en recommandant à son fils de se méfier des plaisirs : « Se livrer à la volupté, c’est se dégrader. […] Elle répondait fièrement : « Je n’ai jamais eu besoin d’en faire. » On ajoutait qu’elle avait trahi par là une âme tendre et sensible : « Je ne m’en défends pas, répondait-elle ; il n’est plus question que de savoir l’usage que j’en ai su faire. » Cet usage est assez indiqué par ces conseils mêmes, si finement démêlés et si fermement définis : elle éleva son cœur, elle prémunit sa raison, elle évita les occasions et les périls ; elle ménagea ses goûts, et prit sur sa sensibilité pour la rendre durable et aussi longue que la plus longue vie : Quand nous avons le cœur sain, pensait-elle, nous tirons parti de tout, et tout se tourne en plaisirs… On se gâte le goût par les divertissements ; on s’accoutume tellement aux plaisirs ardents qu’on ne peut se rabattre sur les simples. […] Elle montre que, depuis qu’on les a raillées sur cette prétention à l’esprit, les femmes ont mis la débauche à la place du savoir : « Lorsqu’elles se sont vues attaquées sur des amusements innocents, elles ont compris que, honte pour honte, il fallait choisir celle qui leur rendait davantage, et elles se sont livrées au plaisir. » Ce petit écrit de Mme de Lambert ; où plus d’une idée serait à discuter, ne doit point se séparer des circonstances qui l’inspirèrent : il fut composé pour venger et revendiquer dans son sexe l’honnête et solide emploi de l’esprit en présence des orgies de la Régence.

248. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — II. (Suite.) » pp. 220-241

Beaumarchais, en l’imprimant plus tard, se donna le plaisir de mettre au titre : Le Barbier de Séville, comédie en quatre actes, représentée et tombée sur le théâtre de la Comédie-Française, etc. […] monsieur, les hommes n’ayant guère à choisir qu’entre la sottise et la folie, où je ne vois point de profit je veux au moins du plaisir ; et vive la joie ! […] J’ai donné ma pièce au public pour l’amuser et non pour l’instruire, non pour offrir à des bégueules mitigées le plaisir d’en aller penser du bien en petite loge, à condition d’en dire du mal en société. Les plaisirs du vice et les honneurs de la vertu, telle est la pruderie du siècle. […] Je me suis joint à eux avec plaisir, et je ne doute pas, monsieur, que vous n’en fassiez autant.

249. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Mémoires de Daniel de Cosnac, archevêque d’Aix. (2 vol. in 8º. — 1852.) » pp. 283-304

Cosnac causait beaucoup et bien, et trop ; il racontait son passé avec plaisir, avec délices, avec variantes, et il s’en était formé de son vivant comme une légende que lui-même entretenait. […] Il est d’une conversation charmante, d’une inquiétude qui fait plaisir à ceux qui ne font que l’observer et qui n’ont point affaire à lui. » Maintenant, voici les Mémoires mêmes qui sortent de l’oubli où ils étaient tombés. […] En rentrant de cette revue et obligé par fatigue de se mettre au lit, « ce prince était tellement plein de cette armée qu’il ne nous parla, dit Cosnac, que du plaisir qu’il y avait de commander des troupes auxquelles rien ne manquait, et qui pouvaient vous attirer de la gloire à bon marché ». […] Tout spirituel qu’il est, le prince de Conti hésite, et il faut que l’abbé de Cosnac, qui prend très peu de part et d’intérêt à ces plaisirs de la comédie, insiste, par pur esprit de justice et d’exactitude, pour faire accorder à Molière et à sa troupe une suite de représentations promises et qui préludent avec une sorte d’éclat à ses débuts de Paris. […] M. d’Aubijoux est un homme de plaisir qui lance le prince dans une suite de régals, festins, ballets, comédies.

250. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Études sur Blaise Pascal par M. A. Vinet. »

Cependant, monsieur, je ferais tort à la vérité, si je ne disais pas que j’ai éprouvé, au milieu de ma confusion, un vif plaisir, et je me ferais tort à moi-même si je dissimulais ma reconnaissance, qui a été plus vive encore, et qui a fait la meilleure partie de mon plaisir. […] Je ferais plaisir peut-être à votre esprit de délicate observation, si je vous disais le secret historique de certains défauts de mon style et même de certaines erreurs de mon jugement.

251. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XVIII. Pourquoi la nation française était-elle la nation de l’Europe qui avait le plus de grâce, de goût et de gaieté » pp. 366-378

Dans les républiques, de quelque manière qu’elles fussent constituées, il était trop nécessaire aux hommes de se défendre ou de se servir les uns des autres pour établir entre eux des rapports d’agréments et de plaisir. […] La gaieté piquante, plus encore même que la grâce polie, effaçait toutes les distances sans en détruire aucune ; elle faisait rêver l’égalité aux grands avec les rois, aux poètes avec les nobles, et donnait même à l’homme d’un rang supérieur un sentiment plus raffiné de ses avantages ; un instant d’oubli les lui faisait retrouver ensuite avec un nouveau plaisir ; et la plus grande perfection du goût et de la gaieté devait naître de ce désir de plaire universel. […] Ce n’était ni par le travail, ni par l’étude qu’on parvenait au pouvoir en France : un bon mot, une certaine grâce, étaient souvent la cause de l’avancement le plus rapide ; et ces fréquents exemples inspiraient une sorte de philosophie insouciante, de confiance dans la fortune, de mépris pour les efforts studieux, qui poussait tous les esprits vers l’agrément et le plaisir.

252. (1904) En lisant Nietzsche pp. 1-362

Elle a des dangers en proportion de ses plaisirs. […] Je prends grand plaisir aussi aux pauvres d’esprit : ils accélèrent le sommeil. […] Dans l’axiome chrétien ora et labora, l’ora remplace le plaisir. […] Ce n’est pas du tout un peu plus de plaisir ou un peu plus de bien-être. […] Car, dans les deux cas, on ne fixe pas d’autre sens final que les phénomènes de plaisir ou de déplaisir.

253. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Sismondi. Fragments de son journal et correspondance. »

Ce n’est pas qu’elle portât une bien grande chaleur dans les divers sujets et dans les idées qui l’occupaient, ni aucune vue ou espérance d’avenir ; elle avait fait dès longtemps sa retraite dans la lecture et dans la pensée, n’y cherchant que le plaisir d’une réflexion solitaire. […] Je souffre donc au dedans de moi, sans même songer à mes amis (à ses amis de France), de la seule pensée que les Français n’auront leurs propres lois, une liberté, un gouvernement à eux, que sous le bon plaisir des étrangers ; ou que leur défaite est un anéantissement total, qui les laisse, à la merci de leurs ennemis, quelque généreux qu’ils soient. […] Napoléon, recevant Sismondi dans le jardin de l’Élysée et s’y promenant avec lui, commença par l’assurer du plaisir qu’il avait trouvé à la lecture de ses ouvrages, « lus tous et dès longtemps avec beaucoup d’intérêt. » Sismondi, en répondant, insista sur la conviction qui avait dicté son dernier écrit (l’Examen de la Constitution française, publié dans le Moniteur), et se montra affligé de l’opposition violente avec laquelle cette Constitution avait été accueillie. […] Du reste, je n’avais eu qu’à paraître ; maître absolu de la ville, j’y pouvais faire pendre cent personnes si c’eût été mon bon plaisir. » Durant cet entretien, suivi tout en marchant, Napoléon s’était échauffé. […] Mais l’analyse de tous les sentiments du cœur humain est si admirable, il y a tant de vérité dans la faiblesse du héros, tant d’esprit dans les observations, de pureté et de vigueur dans le style, que le livre se fait lire avec un plaisir infini.

254. (1824) Observations sur la tragédie romantique pp. 5-40

Ils savent par cœur Racine, Corneille et Voltaire, ils accourent au théâtre pour y retrouver éternellement les mêmes jouissances ; et cependant, déjà si restreint par le bon plaisir des comédiens, le répertoire l’est bien plus encore par une autre autorité. […] ce n’est point Aristote qui prohibe des plaisirs si purs, une instruction en apparence si nécessaire. […] Non, il n’est pas tout à fait vrai que ce qui charme le peuple de Londres, satisfasse autant les gentlemen lettrés ; et même il arrive, quand le plaisir est commun, qu’il se rattache à des affections très diverses. […] il s’agit de nos plaisirs, non de la plus grande commodité de celui qui aspire à nous les donner ; et ces plaisirs sont fondés sur une illusion qu’il doit craindre d’affaiblir, et dont il ne restera rien du tout, s’il prétend nous transporter à sa guise sur tous les points du globe, ou nous faire vivre, ainsi que ses personnages, plusieurs mois ou plusieurs années en deux ou trois heures. […] Ce n’en est pas moins un travers plus inexcusable, de ne rien omettre et de ne rien voiler ; d’amener devant nous des filles de joie pour découvrir des complots, de nous introduire en un mauvais lieu, où un ambassadeur, dans l’ivresse des plus honteux plaisirs, trahira les secrets du roi son maître.

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