C’est assez pour son honneur que, dans tout grand tableau de cette époque, dans toute éloquente histoire, telle qu’on a pu voir celle de M. de Ségur, il ait sa place et, si je puis dire, son coin marqué au centre, à côté des Duroc, des Caulaincourt, des meilleurs, des plus sensés et des plus sûrs. […] En prenant pour sujet l’histoire de Venise, il se donnait une ample et neuve matière dans laquelle trouveraient place naturellement toutes les observations de sa vie publique et les fruits de son expérience sur les gouvernements et sur les hommes. […] Sachez, au lieu d’obtenir par des sollicitations un rang dans la société, y prendre votre place de plein droit et honorer ceux qui sont honorables, quoiqu’ils ne possèdent ni titres ni richesses.
Non seulement tout y est dans la place qu’il doit avoir, tout est fait pour la place qu’il occupe ; il présente d’abord ce qui doit être vu d’abord, il met au milieu ce qui doit être au milieu, etc. […] Il place l’enfance du genre humain en Grèce, au temps d’Homère, son adolescence au temps de la florissante Athènes, sa maturité au temps de César et d’Auguste.
À le bien écouter, même en ses homélies, il semble qu’il ait toujours par-devers lui et en secret un autre refuge et comme une place de sûreté dans un certain système de sagesse philosophique. Charron fait consciencieusement son devoir comme controversiste, comme prédicateur ; il amasse ses preuves, il fait servir sa philosophie comme une espèce de machine ou de tour pour battre en brèche la place ennemie : puis, quand il estime que la brèche est suffisante, il ordonne et fait avancer ses preuves directes ; mais tout cela sans feu, sans flamme ; on sent toujours l’homme qui a dit : « Au reste, il faut bien savoir distinguer et séparer nous-mêmes d’avec nos charges publiques : un chacun de nous joue deux rôles et deux personnages, l’un étranger et apparent, l’autre propre et essentiel. […] Et comment voulez-vous que Charron, dans sa controverse chrétienne et dans les discours religieux qu’on a de lui, ait touché au vif la fibre humaine, lorsqu’au fond il a en tel mépris ceux qu’il appelle dogmatises et qui affirment, c’est-à-dire qui n’osent se maintenir dans cet état de balance parfaite où il place le bonheur et la sagesse ?
Il note partout, comme un futur capitaine et politique, l’assiette des places, leurs fortifications, leur commerce, le génie des nations, la forme des gouvernements. […] Son dessein eût été d’agir militairement, de démanteler les petites places qui ne pouvaient tenir, et de fortifier les principales, Nîmes, Montpellier, Uzès ; « Nous avions, dit-il, des hommes assez suffisamment pour faire une gaillarde résistance ; mais l’imprévoyance des peuples et l’intérêt particulier des gouverneurs des places firent rejeter mon avis, dont depuis ils se sont bien repentis. » Dans ses remarques sur les Commentaires de César, admirant l’influence qu’eut Vercingétorix sur les peuples de la Gaule pour leur faire accueillir les meilleurs moyens de défense : Il a eu, dit-il, le pouvoir de faire mettre le feu à plus de vingt villes pour incommoder leurs ennemis, ce qui témoigne son bon sens… Son grand crédit est remarquable ; car, à des peuples libres, au commencement d’une guerre, avant que d’en avoir éprouvé les mauvais succès et dans l’espérance de pouvoir vaincre sans venir à des remèdes si cuisants, il leur persuade de mettre le feu à leurs maisons et à leurs biens, pour la conservation desquels se fait le plus souvent la guerre.
Nous nous soucions peu maintenant de délivrer les princesses des mains des enchanteurs, peu nous importe Dulcinée ; mais nous voulons tous être gouverneurs de Barataria…. » Dans la bouche d’un jeune professeur, tout cela était à sa place, d’une justesse convenable, d’un tour neuf et piquant. […] C’était le temps héroïque des études classiques, messieurs, le temps où Ronsard et son ami Baïf, couchant dans la même chambre, se levaient l’un après l’autre, minuit déjà sonné, et, comme le dit un vieux biographe, Jean Dorât, se passaient la chandelle pour étudier le grec sans laisser refroidir la place. C’est le temps où Agrippa d’Aubigné savait quatre langues et traduisait le Criton de Platon « avant d’avoir vu tomber ses dents de lait. » Aujourd’hui les mœurs scolaires sont plus douces, et vos maîtres s’en applaudissent les premiers ; la place du grand fouetteur Tempête est supprimée dans l’Université, et le délicat Érasme vanterait les bons lits et la bonne chère de la jeunesse moderne.
Au moment où la jeune arrivait, toutes les créatures de don Juan étaient encore en place, et elles essayèrent de s’y maintenir. […] Un secrétaire d’État resté en place et très-habile à profiter des intérim pour pousser son crédit, don Jeronimo d’Eguya, avait concerté ce coup, avec la camarera-mayor. […] Le duc de Medina-Celi, qui avait le titre et la place de premier ministre, et en qui le public avait espéré d’abord, personnage considérable par sa naissance et par ses biens, sept fois Grand d’Espagne, « d’un génie doux et honnête, et naturellement éloigné des grands mouvements, » manquait totalement de vigueur et laissait le mal se faire et s’aggraver autour de lui.
Ta place est au soleil ; moi, la mienne est dans l’ombre. […] Dans une page déchirée des Mémoires d’Outre-Tombe que le vent m’apporte par ma fenêtre entr’ouverte, je trouve un aveu, un refus presque pareil, bien que sur un tout autre ton, une confession où se peint, une fois de plus, cette passionnée et délirante nature de René ; j’y supprime seulement, çà et là, quelques traits, quelques notes trop ardentes et qui ne seraient à leur place que dans le Cantique des Cantiques : « Vois-tu, s’écrie le vieillard poëte s’adressant à la jeune fille qui s’est jetée à sa tête, comme on dit, et qui lui offre son cœur, vois-tu, quand je me laisserais aller à une folie, je ne serais pas sûr de t’aimer demain. […] Calemard de Lafayette, un poëme qui n’est sans doute pas de tout point parfait, mais qui est vrai, naturel, étudié et senti sur place, essentiellement champêtre en un mot, et dont un poëte académicien, et non académique39, m’a dit en m’en recommandant la lecture : « Lisez jusqu’au bout ; le miel n’est pas au bord, mais au fond du vase. » J’ai, en effet, goûté le miel, et j’en veux faire part à tous !
On les jouait dehors et devant, sur la place du parvis, aussi près que possible du saint lieu, mais non plus dedans ; — et voilà enfin le théâtre. […] On comprend très-bien que ce n’est plus ici le drame en langue vulgaire qui essaye d’entrer timidement dans l’église et de s’y faire tolérer en se faufilant tant bien que mal à travers le latin, c’est la liturgie cette fois qui sort du sanctuaire : pour, aller au-devant du drame, pour lui donner comme une première consécration, et bénédiction sur la place publique. […] Le voyage de Satan dans l’espace, hors du chaos, à la découverte, son arrivée aux limites du monde nouvellement créé, son déguisement, son entrée furtive dans le Paradis, le spectacle de bonheur et de délices conjugales dont il est témoin et qui le navre d’envie, ce premier tableau divin et unique du bonheur dans le mariage, tout cela prépare, inquiète, intéresse, ouvre des horizons immenses, crée un fond, une perspective antérieure, donne à la scène tout son sens et toute sa portée, fait de la place à l’action qui va suivre.
Amis de l’ancien régime et partisans du droit divin, qui en étiez venus, en désespoir de cause, à préconiser le suffrage universel ; à qui (j’aime à le croire) la conviction était née à la longue, à force de vous répéter, et qui vous montrez encore tout prêts, dites-vous, mais moyennant, j’imagine, certaine condition secrète, à embrasser presque toutes les modernes libertés ; — partisans fermes et convaincus de la démocratie et des principes républicains, polémistes serrés et ardents, logiciens retors et inflexibles, qui, à l’extrémité de votre aile droite, trouvez moyen cependant de donner la main parfois à quelques-uns des champions les plus aigris de la légitimité ; — amis du régime parlementaire pur, et qui le tenez fort sincèrement, nonobstant tous encombres, pour l’instrument le plus sûr, le plus propre à garantir la stabilité et à procurer l’avancement graduel de la société ; — partisans de la liberté franche et entière, qui ne vous dissimulez aucun des périls, aucune des chances auxquelles elle peut conduire, mais qui virilement préférez l’orage même à la stagnation, la lutte à la possession, et qui, en vertu d’une philosophie méditée de longue main dans sa hardiesse, croyez en tout au triomphe du mieux dans l’humanité ; — amis ordinaires et moins élevés du bon sens et des opinions régnantes dans les classes laborieuses et industrielles du jour, et qui continuez avec vivacité, clarté, souvent avec esprit, les traditions d’un libéralisme, « nullement méprisable, quoique en apparence un peu vulgaire ; — beaux messieurs, écrivains de tour élégant, de parole harmonieuse et un peu vague, dont la prétention est d’embrasser de haut et d’unir dans un souple nœud bien des choses qui, pour être saisies, demanderaient pourtant à être serrées d’un peu plus près ; qui représentez bien plus un ton et une couleur de société, des influences et des opinions comme il faut, qu’un principe ; — vous tous, et j’en omets encore, et nous-mêmes, défenseurs dévoués d’un gouvernement que nous aimons et qui, déjà bon en soi et assez glorieux dans ses résultats, nous paraît compatible avec les perfectionnements désirables ; — nous tous donc, tous tant que nous sommes, il y a, nous pouvons le reconnaître, une place qui resterait encore vide entre nous et qui appellerait, un occupant, si M. […] Cette place, cette fonction, quelle est-elle ? […] On l’a remarqué avec une grande justesse : on peut avoir plus d’une opinion, selon le point de vue où l’on se place, sur l’utilité, sur les effets plus ou moins fructueux et louables de l’entreprise saint-simonienne ; mais en la considérant dans sa visée et son acception la plus étendue, en la dégageant des singularités et des ridicules qui s’y sont finalement mêlés, on n’en saurait méconnaître la valeur et la portée.