Il s’était créé un style à part qui devait lui aliéner le commun des lecteurs, une langue qui s’adressait à tous les sens, pleine d’onomatopées, d’artifices typographiques, où les adverbes, des majuscules imprévues, se mettaient à chevaucher follement la phrase, où des incidentes répétées revenaient avec l’obsession du leitmotiv ; une langue musicale et orchestrée.
On sent que la phrase a précédé.
Ici Sainte-Beuve revient à son ambiguïté du début, et dit tout d’une haleine : « Chaque ouvrage d’un auteur, vu, examiné de la sorte, à son point, après qu’on l’a replacé dans son cadre, et entouré de toutes les circonstances qui font vu naître, acquiert tout son sens, son sens historique, son sens littéraire… Être en histoire littéraire et en critique, un disciple de Bacon, me paraît le besoin du temps et une excellente condition première pour juger et goûter ensuite avec plus de sûreté. » Sainte-Beuve développe plus loin l’idée exprimée dans ce second membre de phrase, et conseille, pour apprécier un auteur, de le comparer à ses antagonistes et à ses disciples, de distinguer les diverses manières de son talent, de déterminer ses opinions sur certains sujets d’ordre général, enfin de résumer sa nature morale dans une formule exacte et concise.
Car les mots et les phrases, représentatifs de pensée, de sentiment et d’émotion, sont des valeurs, et ces valeurs sont des fonctions, attendu que les variations de l’une entraînent les variations de l’autre.
Quand on connoît quelle étoit la délicatesse des grecs en matiere d’éloquence, et sur-tout à quel point ils étoient choquez par une mauvaise prononciation, on n’a point de peine à concevoir que quelques-unes de leurs villes, n’aïent été assez jalouses de la reputation de n’avoir en toutes choses que des manieres élegantes et polies, pour ne vouloir pas laisser au crieur public chargé de promulguer les loix, la liberté de les reciter à sa mode, au hazard que souvent il donnât aux phrases, aux mots mêmes qu’il prononceroit, un ton capable de faire rire des hommes nez mocqueurs.
Mais Beaumont-Vassy, dont la forme élégante a la pâleur diplomatique, n’a pas littérairement beaucoup plus de style que cette foule d’écrivains qui, au xixe siècle, savent jeter une phrase dans le moule banal où tout le monde peut aller faire fondre son morceau de plomb… Évidemment, pour que des livres pareils soient lus avec avidité, il faut qu’il y ait absence complète d’œuvres historiques sur la Russie, et, de fait, il n’y en a pas.
Mais la Madelène, qui est de son temps, et de plus écrivain, n’a pu s’empêcher de découvrir ce petit côté de poésie et de phrase que le xixe siècle aime à choyer dans les plus mâles et les plus réels d’entre nous.
Ce n’est ni la brûlante Visionnaire de la Vie, la pluie de larmes qui coula toujours, ni l’Extatique torturée, l’ardente poétesse d’après la Communion qui nous a laissé ce livre des Exclamations où les phrases ne sont plus que des cris, et ce n’est pas non plus la sainte Térèse du livre des Fondations.
Et de fait, quand on s’attaque à cette race molle et têtue d’intelligences qui ont la patience de la répétition sous le démenti et qui se recouchent éternellement dans l’ornière d’où on les a chassés, besoin est, pour innocenter la Ligue, cette grande audacieuse, qui paraît presqu’une grande coupable aux honnêtes esprits que l’audace a toujours troublés, oui, besoin est de quelque chose de plus que de cette phrase dont la vérité trop banale ne saurait entamer la carapace de préjugés sous laquelle l’opinion traîne sa vie.