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516. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Discours sur l’histoire de la révolution d’Angleterre, par M. Guizot (1850) » pp. 311-331

Dans cet âge de sophistes où nous sommes, c’est au nom de la philosophie de l’histoire que chaque école (car chaque école a la sienne) vient réclamer impérieusement l’innovation qui, à ses yeux, n’est plus qu’une conclusion rigoureuse et légitime. […] Sa philosophie de l’histoire, pour être plus spécieuse et plus à hauteur d’appui, n’en est pas moins beaucoup trop logique pour être vraie. […] Voilà la seule philosophie pratique de l’histoire : rien d’absolu, une expérience toujours remise en question, et l’imprévu se cachant dans les ressemblances. […] Je pourrais choisir encore quelques autres assertions aussi absolues, aussi gratuites, et qui me font douter de la raison intérieure de cette philosophie imposante.

517. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Vauvenargues. (Collection Lefèvre.) » pp. 123-143

Les esprits pesants, les sophistes ne reconnaissent pas la philosophie lorsque l’éloquence la rend populaire, et qu’elle ose peindre le vrai avec des traits fiers et hardis. Ils traitent de superficielle et de frivole cette splendeur d’expression qui emporte avec elle la preuve des grandes pensées… On n’oserait dire qu’il a lui-même atteint à cette splendeur d’expression, et qu’il en soit venu par l’éloquence à rendre la philosophie populaire ; mais il était en voie d’y arriver, et l’on pouvait espérer de trouver en lui, s’il avait vécu, un Locke concis, élégant et éclatant, et avec des hauteurs d’âme inconnues à l’autre. […] Voltaire, lui écrivant sur une première lecture de son livre, après maint éloge ne peut s’empêcher d’ajouter : « Il y a des choses qui ont affligé ma philosophie ; ne peut-on pas adorer l’Être suprême sans se faire capucin ? […] tout le reste m’enchante ; vous êtes l’homme que je n’osais espérer. » Ces choses qui affligeaient la philosophie de Voltaire sont la Méditation sur la foi et la Prière qui la suit, deux pièces qui avaient sans doute quelques années de date et que Vauvenargues crut devoir insérer néanmoins dans sa première édition.

518. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Histoire du chancelier d’Aguesseau, par M. Boullée. (1848.) » pp. 407-427

D’Aguesseau, grand lecteur de Platon et nourri des antiques lectures, pense qu’il n’est pas besoin d’imputer à la philosophie païenne plus d’imperfections qu’elle n’en a eu en effet : « La véritable religion, dit-il, n’a pas besoin de supposer dans ses adversaires ou dans ses émules des-défauts qui n’y sont pas. » L’Évangile sera toujours assez hors de comparaison : laissons à la morale purement humaine la part légitime qui lui revient. […] Il se reproche en un endroit assez vivement de n’avoir pas étudié, comme il aurait dû, l’histoire ; malgré les emplois importants dont il fut de bonne heure chargé, il aurait certes pu le faire encore : « Mais, d’un côté, les charmes des belles-lettres qui ont été pour moi, dit-il, une espèce de débauche d’esprit, et, de l’autre, le goût de la philosophie et des sciences de raisonnement, ont souvent usurpé chez moi une préférence injuste… » Pourtant, il s’en fallut de peu, nous raconte-t-il agréablement, qu’il ne se ruinât tout à fait dans l’esprit du père Malebranche, qui avait conçu une bonne opinion de lui par quelques entretiens sur la métaphysique ; mais ce père le surprit un jour un Thucydide en main, non sans une espèce de scandale philosophique. […] On peut juger que la philosophie du temps ne trouvait guère son compte avec lui, et qu’elle frémissait souvent d’impatience et de colère de se sentir ainsi contenue. Tandis qu’il favorisait les entreprises de collections purement historiques ou érudites, il refusait, par exemple, un privilège à Voltaire pour les Éléments de la philosophie de Newton : « Ce demi-savant et demi-citoyen d’Aguesseau, écrivait Voltaire à d’Alembert en un jour de rancune, était un tyran : il voulait empêcher la nation de penser. » On assure que le scrupuleux chancelier ne donna jamais de privilège pour l’impression d’aucun roman nouveau, et qu’il n’accordait même de permission tacite que sous des conditions expresses ; qu’il ne donna à l’abbé Prévost la permission d’imprimer les premiers volumes de Cleveland que sous la condition que le héros se ferait catholique à la fin.

519. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 33, que la veneration pour les bons auteurs de l’antiquité durera toujours. S’il est vrai que nous raisonnions mieux que les anciens » pp. 453-488

L’imprimerie, cet art si favorable à l’avancement de toutes les sciences, qui deviennent plus parfaites à mesure que les connoissances s’y multiplient, fut trouvée dans le quinziéme siecle, et près de deux cens ans avant que Monsieur Descartes, qui passe pour le pere de la nouvelle philosophie, eut fait part au public de ses méditations. […] En verité le sens, la pénetration et l’étenduë d’esprit que les anciens montrent dans leurs loix, dans leurs histoires, et même dans les questions de philosophie, où par une foiblesse si naturelle à l’homme qu’on y tombe encore tous les jours, ils n’ont pas donné leurs rêveries pour les veritez dont ils ne pouvoient point avoir connoissance de leur temps, parce que le hazard qui nous les a revelées n’étoit pas encore arrivé, tout cela, dis-je, nous oblige à penser que leur raison étoit capable de faire l’usage que nous avons fait des grandes veritez que l’expérience a manifestées depuis deux siecles. […] N’ont-ils pas dit en termes exprès, que la philosophie étoit la mere des beaux arts. […] Je comprens ici tant de professions differentes sous le nom de philosophie et de sciences, que je n’ose les nommer toutes.

520. (1892) L’anarchie littéraire pp. 5-32

Être décadent, c’est être scientifique, c’est pratiquer dès aujourd’hui cette philosophie du xxe  siècle qui est basée sur l’égoïsme social ; c’est faire table rase de tous les préjugés, en un mot c’est accepter tous les progrès de la civilisation. […] Ils ont cru tenir la clef d’une philosophie ; mais ils ont été les seuls à suivre cette voie : l’élite des penseurs ne les a pas entendus. […] Sous prétexte de philosophie évolutive, ils écrivent une sorte de charabia fort suggestif, dit-on, lorsqu’on le met en musique. […] Ceux-ci sont les seuls qui aient apporté des théories nouvelles en esthétique, en morale comme en philosophie, les seuls qui s’appuient sur une base invariable et éternelle : la Science.

521. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre VI. Daniel Stern »

On le voit, c’est toute la sphère d’une philosophie qui va rouler sous ce doigt pensif ! […] Reflet troublé de deux grands prêtres, Lamennais et de Lamartine, toute sa philosophie n’est que l’horreur de la loi salique. […] Daniel Stern, qui, pour tout au monde, voudrait être Monsieur, a des visées à la Philosophie, comme à la Politique, comme à l’Histoire, comme à toutes les études viriles…, Un jour pourtant, on l’a vu, elle s’est oubliée jusqu’à écrire un roman bien froid ! […] La philosophie la lui a desséchée.

522. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « M. Viguier »

Antiquité grecque, connaissance des langues et des littératures étrangères, philologie comparée, histoire reprise aux sources, philosophie et science du beau : M.  […] c’est un type romain, et vous avez beau le trouver charmant et ne pas vous lasser de l’aller entendre, de lui faire des compliments dans sa langue et de recevoir les siens, gardez-vous de lui dire que la critique littéraire est jusqu’à un certain point une branche de la philosophie et de la critique historique ; que le divin Dante tient quelquefois du barbare (sans en être moins étonnant et moins intéressant, tant s’en faut !) etc., etc. : l’audace de ces assertions, le mot philosophie qui s’y trouve mêlé témérairement, lui donneront un frisson dangereux pour sa santé ; il éludera votre rencontre, et regrettera peut-être de vous avoir donné un exemplaire de ses Monumenla Vaticana versibus descripta (in-8°. 1854) » Un La Bruyère dirait-il mieux ?

523. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VII. Du style des écrivains et de celui des magistrats » pp. 543-562

Marivaux, par exemple, ne présentant jamais que le côté recherché des aperçus de l’esprit, il n’y a ni philosophie, ni tableaux frappants dans ses écrits. […] Un ouvrage qui n’est pas écrit avec philosophie, classe son auteur parmi les artistes, mais non parmi les penseurs. […] Le style se perfectionnera nécessairement ; d’une manière très remarquable, si la philosophie fait de nouveaux progrès.

524. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre V. Indices et germes d’un art nouveau — Chapitre III. Retour à l’art antique »

On étudiait le latin : mais dans Cicéron et dans Tacite, dans Virgile et Lucrèce, on ne cherchait qu’une rhétorique, ou une philosophie. […] Un savant617 peut alors concevoir le projet de ramasser dans un ouvrage de vulgarisation toute la civilisation grecque, telle que la science du temps l’a restituée, vie publique et vie privée, religion et philosophie, poésie et art, monuments et paysages. […] Il a formé des plans de grands poèmes qui s’appelaient la Superstition, l’Astronomie, l’Amérique, l’Hermès : l’Amérique devait contenir « toute la géographie du globe » et « le tableau frappant et rapide de toute l’histoire du monde », considérée du point de vue de la tolérance et de la philosophie ; c’était un Essai sur les mœurs en vers.

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