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29. (1890) L’avenir de la science « I »

L’homme parfait serait celui qui serait à la fois poète, philosophe, savant, homme vertueux, et cela non par intervalles et à des moments distincts (il ne le serait alors que médiocrement), mais par une intime compénétration à tous les moments de sa vie, qui serait poète alors qu’il est philosophe, philosophe alors qu’il est savant, chez qui en un mot, tous les éléments de l’humanité se réuniraient en une har-monie supérieure, comme dans l’humanité elle-même. […] Le philosophe et l’homme religieux peuvent seuls à tous les instants se reposer pleinement, saisir et embrasser le moment qui passe, sans rien remettre à l’avenir. Un homme disait un jour à un philosophe de l’antiquité qu’il ne se croyait pas né pour la philosophie : « Malheureux, lui dit le sage, pourquoi donc es-tu né ?  […] Et pourtant, si l’on sait entendre la philosophie, dans son sens véritable, celui-là est en effet un misérable qui n’est pas philosophe, c’est-à-dire qui n’est point arrivé à comprendre le sens élevé de la vie. […] C’est pour cela que le grand philosophe n’est pas sans être poète ; le grand artiste est souvent plus philosophe que ceux qui portent ce nom.

30. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Préface. de. la premiere édition. » pp. 1-22

Parmi les Ecrivains contre lesquels nous nous sommes élevés, on distinguera sur-tout les prétendus Philosophes de notre siecle. […] Un ton imposant, des maximes éblouissantes, des sentimens hyperboliques, des sentences miraculeuses exaltoient les têtes, donnoient des convulsions philosophiques, & faisoient retentir le nom de Philosophe, des Académies jusque dans les Coches. […] Quels Philosophes, a-t-on dit, que ceux qui demandent grace à tout le monde, & n’en font à personne ! […] Que pourroit-on attendre d’un Philosophe formé à une pareille école ? […]   Nous avons encore prévu que les Philosophes ne nous pardonneroient jamais de les avoir attaqués.

31. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — II. L’histoire de la philosophie au xixe  siècle — Chapitre II : Rapports de l’histoire de la philosophie avec la philosophie même »

Ainsi Descartes semble vouloir oublier qu’aucun philosophe l’ait précédé ; il ne tient aucun compte de Platon, ni d’Aristote, ni du moyen âge. […] Les meilleurs philosophes sont très-piqués quand on touche à leurs idées ; et le prédicateur qui vient de faire un sermon éloquent contre l’orgueil des philosophes serait de très-mauvaise humeur, si on lui disait que son sermon est mauvais. […] Les philosophes de génie sont les maîtres du monde qui font payer leurs bienfaits et leur gloire par le despotisme. […] Socrate, Platon, Aristote sont les plus larges, les plus libéraux de tous les philosophes. […] De ce défaut fondamental, commun à presque tous les philosophes modernes, naît une sécheresse et une sorte de pauvreté relative, lorsqu’on compare leurs œuvres à celles des anciens.

32. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Taine »

Philosophes, historiens, romanciers, tout le monde — dit Taine — fait de la psychologie. […] Je savais bien que dans quelque élucubration du philosophe qui un jour s’est réclamé, comme beaucoup de bâtards, de deux pères aussi différents qu’Hegel et Condillac, je ne rencontrerais jamais le métaphysicien transcendant, original et limpide ; mais l’ennuyeux, je n’y avais jamais pensé. Il y a plus : j’estimais que si un homme était capable de mettre de l’agrément dans un livre philosophique, c’était le philosophe qui s’était une fois si joliment moqué des philosophes, et si c’était ainsi pour moi, si raisonnable, comme vous voyez, dans mon amour pour Taine, qu’est-ce que cela devait être pour ses admirateurs, qui le prennent pour le Génie en herbe de la littérature et le considèrent comme un jeune dieu ? […] Mais comme Taine, ce jeune fils, a soif de paternité, lui, créé à ce qu’il paraît pour n’être jamais qu’un fils en philosophie, il s’est trouvé que le remplaçant du père Hegel a été le père Mill, qui, en ce moment, fait son petit susurrement de philosophe parmi les amateurs, et qui lui-même est apparenté avec Condillac. […] ils se ressemblent tous, ces philosophes !)

33. (1890) L’avenir de la science « VIII » p. 200

« Platon est-il poète, est-il philosophe ? […] On comprend le physicien, le chimiste, l’astronome, beaucoup moins le philosophe, encore moins le philologue. […] Le vrai philologue doit être à la fois linguiste, historien, archéologue, artiste, philosophe. […] Cousin lui-même est-il un philosophe ? […] Est-ce en lisant tel philosophe que je me suis ainsi formulé les choses ?

34. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Caro. Le Pessimisme au XIXe siècle » pp. 297-311

Caro est philosophe. […] Caro a prises, pour les analyser, dans ses petites pincettes philosophiques, il ne s’agit plus uniquement d’être un charmant philosophe, adroit, poli et joli comme un cœur… Car, savez-vous de quoi il retourne aujourd’hui ? […] Caro nous a ouvertes dans son livre, faisant là-dedans, très proprement et très consciencieusement, une besogne que, par respect pour le bon sens humain, moi, qui ne suis pas philosophe, je dédaigne de recommencer… M.  […] Caro, en sa qualité de philosophe, se garde bien de rire en discutant un tel sujet, mais, français, il ne peut s’empêcher de couper sa gravité de philosophe par de petits sourires que je trouve spirituels. […] Je me demande encore ce qu’aurait dit Napoléon, qui n’aimait pas les philosophes, s’il avait vécu du temps de ces nouveaux après lesquels on peut espérer qu’on n’en reverra plus, et si M. l’académicien Caro les lui avait présentés ?

35. (1915) La philosophie française « I »

Or ce second courant dérive, comme le premier, d’un philosophe français. […] Ce naturaliste, qui fut aussi un philosophe, est le véritable créateur de l’évolutionisme biologique. […] Il est temps de mettre ce penseur à sa vraie place, — une des premières, — parmi les philosophes du XIXe siècle. […] Il n’y en eut pas moins, dans l’école de Cousin, des philosophes très distingués, tels que Saisset, Simon, Janet. […] Parmi les philosophes qui se rattachent à Renouvier, citons Pillon, Dauriac et Hamelin.

36. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 23-32

Le Parti Philosophique, dont il est un des Sous-Chefs, a mis ses Eloges de plusieurs Membres de l’Académie des Sciences bien au dessus des Eloges de Fontenelle, parce qu’il est d’usage parmi les Philosophes de ne louer que par comparaison & par intérêt : mais les Littérateurs, que l’esprit de parti n’aveugle point, trouvent que les Eloges du Secrétaire actuel ne sont propres qu’à faire mieux sentir le mérite de ceux de son prédécesseur. […] S’il eût interrogé sur ce point le Philosophe Géometre, dont il est le très-humble serviteur, il lui auroit appris qu’il me rencontra chez M. […] Convenez qu’il fait beaucoup d’honneur à la mémoire de ce Philosophe ; il ne le taxe pas seulement d’avoir été athée & libertin, il le défere encore en public comme un Apôtre d’athéisme & de libertinage ; il veut qu’il ait fait commerce de ses bienfaits, & qu’il y ait attaché un prix doublement déshonorant. […] d’Alembert ; de n’avoir pas mis ce Philosophe au dessus de Descartes & de Newton ; de n’avoir pas parlé des Problêmes qu’il a résolus, des Principes qu’il a trouvés, des Calculs qu’il a imaginés, ce qu’il appelle autant de découvertes, & les plus grandes qui aient été faites dans ce siecle. […] Arrêtons-nous ici, Monsieur, & réfléchissons pour ces penseurs qui pensent si peu ; raisonnons pour ces Philosophes qui raisonnent si mal ; c’est le but que je me suis proposé, en mettant sous vos yeux les principaux traits de leurs Brochures.

37. (1753) Essai sur la société des gens de lettres et des grands

Comme ce siècle corrompu est en même temps éclairé, ces philosophes en concluent que la corruption est l’effet et la suite du progrès des connaissances. […] Elle ressemble à ces sectes de philosophes anciens, qui, après avoir été en public au temple, donnaient en particulier des ridicules à Jupiter ; avec cette différence que les philosophes grecs et romains étaient forcés d’aller au temple, et que rien n’oblige les nôtres à offrir d’encens à personne. […] En vain un autre philosophe, flatteur de ce même Denys, cherchait à s’excuser d’habiter la cour, en disant que les médecins devaient aller chez les malades. […] Ce Diogène qui bravait dans son indigence le conquérant de l’Asie, et à qui il n’a manqué que de la décence pour être le modèle des sages, a été le philosophe de l’antiquité le plus décrié, parce que sa véracité intrépide le rendait le fléau des philosophes même ; il est en effet un de ceux qui ont montré le plus de connaissance des hommes, et de la vraie valeur des choses. […] Ce n’est point à votre naissance que je rends hommage, ce serait mettre vos ancêtres à votre place, et oublier que j’écris à un philosophe.

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