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321. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre XI. De la géographie poétique » pp. 239-241

Par exemple les Cimmériens durent avoir, comme il le dit, des nuits plus longues que tous les peuples de la Grèce, parce qu’ils étaient placés dans sa partie la plus septentrionale ; ensuite on a reculé l’habitation des Cimmériens jusqu’aux Palus-Méotides. […] Autrement il ne serait point croyable qu’Ulysse, voyageant sans le secours des enchantements (contre lesquels Mercure lui avait donné un préservatif), fût allé en un jour voir l’enfer chez les Cimmériens des Palus-Méotides, et fût revenu le même jour à Circéi, maintenant le mont Circello, près de Cumes. — Les Lotophages et les Lestrigons durent aussi être voisins de la Grèce.Les mêmes principes de géographie poétique peuvent résoudre de grandes difficultés dans l’Histoire ancienne de l’Orient, où l’on éloigne beaucoup vers le nord ou le midi des peuples qui durent être placés d’abord dans l’orient même. […] Le Latium dut être d’abord bien resserré, puisqu’en deux siècles et demi, Rome, sous ses rois, soumit à peu près vingt peuples sans étendre son empire à plus de vingt milles. […] Les noms d’Hercule, d’Évandre et d’Énée passèrent donc de la Grèce dans le Latium, par l’effet de quatre causes que nous trouverons dans les mœurs et le caractère des nations : 1º les peuples encore barbares sont attachés aux coutumes de leur pays, mais à mesure qu’ils commencent à se civiliser, ils prennent du goût pour les façons de parler des étrangers, comme pour leurs marchandises et leurs manières ; c’est ce qui explique pourquoi les Latins changèrent leur Dius Fidius pour l’Hercule des Grecs, et leur jurement national Medius Fidius pour Mehercule, Mecastor, Edepol. 2º La vanité des nations, nous l’avons souvent répété, les porte à se donner l’illustration d’une origine étrangère, surtout lorsque les traditions de leurs âges barbares semblent favoriser cette croyance ; ainsi, au moyen âge, Jean Villani nous raconte que Fiesole fut fondé par Atlas, et qu’un roi troyen du nom de Priam régna en Germanie ; ainsi les Latins méconnurent sans peine leur véritable fondateur, pour lui substituer Hercule, fondateur de la société chez les Grecs, et changèrent le caractère de leurs bergers-poètes pour celui de l’Arcadien Évandre. 3º Lorsque les nations remarquent des choses étrangères, qu’elles ne peuvent bien expliquer avec des mots de leur langue, elles ont nécessairement recours aux mots des langues étrangères. 4º Enfin, les premiers peuples, incapables d’abstraire d’un sujet les qualités qui lui sont propres, nomment les sujets pour désigner les qualités, c’est ce que prouvent d’une manière certaine plusieurs expressions de la langue latine.

322. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre V. La Henriade »

L’Europe, par le plus heureux des contrastes, présentait au poète le peuple pasteur en Suisse, le peuple commerçant en Angleterre, et le peuple des arts en Italie : la France se trouvait à son tour à l’époque la plus favorable pour la poésie épique ; époque qu’il faut toujours choisir, comme Voltaire l’avait fait, à la fin d’un âge, et à la naissance d’un autre âge, entre les anciennes mœurs et les mœurs nouvelles. […] Il nous semble qu’il y a quelque enchantement pour les Muses à voir le peuple le plus spirituel et le plus brave consacré par la religion à la Fille de la simplicité et de la paix.

323. (1841) Discours aux philosophes. De la situation actuelle de l’esprit humain pp. 6-57

Il y a le peuple, il y a des citoyens, des égaux, des hommes. […] L’égalité reparaît donc aussitôt que la religion est enlevée au peuple. Le peuple alors est dégagé de toute obéissance ; et voilà ce qu’ont entrevu grossièrement ceux qui ont érigé cet axiome hypocrite d’une politique infâme : Il faut au peuple une religion. […] sans doute, mais par la même raison que je viens de montrer qu’il en faut une au peuple, et non par une autre raison. […] La société, ce ne sont pas les hommes, les individus qui composent un peuple.

324. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Villeroy, Auguste »

Chrysopolis, capitale de l’empire du Couchant, est, depuis de longs jours, assiégée par les Barbares ; le peuple demande qu’on se rende, et peut-être l’empereur Héklésias, affaibli par l’âge et les travaux, aurait-il cédé, si sa fille Hérakléa n’était là, sans cesse, pour le rappeler à l’effort et à la résistance. […] Le peuple alors se rebelle, et Théodore lui-même, pour l’apaiser, le mène ouvrir aux Barbares les portes de Chrysopolis. Et tandis que tous, peuple, Sénat, armée, se précipitent avec joie vers les vainqueurs, l’empereur et sa fille se frappent et meurent, libres encore, et léguant aux Barbares l’exemple d’êtres qui, jusqu’au bout, ont eu foi en une idée, et qui n’ont voulu se soumettre à aucun esclavage.

325. (1860) Cours familier de littérature. X « LVe entretien. L’Arioste (1re partie) » pp. 5-80

Ce secret, c’est le caractère national des Italiens, c’est le génie du lieu et du peuple. […] Le peuple s’assemblait déjà pour assister à l’épreuve du tournoi. […] Le roi et le peuple font des vœux pour Renaud. […] Des acclamations de joie et de triomphe s’élèvent de la bouche du roi et du peuple autour de Renaud. […] et comment un poète tragique moderne ne s’en empare-t-il pas pour faire trembler, frémir, applaudir tout un peuple ?...

326. (1890) L’avenir de la science « XV » pp. 296-320

Les trois caractères qui distinguent les peuples indo-germaniques des peuples sémitiques sont que les peuples sémitiques n’ont ni philosophie, — ni mythologie, — ni épopée 128 : trois choses au fond très connexes et tenant à une façon toute diverse d’envisager le monde. […] Le peuple et les enfants seuls ont le privilège de créer des mots et des tours sans antécédent, pour leur usage individuel. […] On ne peut dire rigoureusement que les religions soient une affaire de race, puisque des peuples indo-germaniques ont créé des religions tout aussi bien que les peuples sémitiques. […] Il semble que les facultés créatrices des religions aient été chez les peuples en raison inverse des facultés philosophiques. […] C’est par excellence le peuple de Dieu.

327. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVIII. J.-M. Audin. Œuvres complètes : Vies de Luther, de Calvin, de Léon X, d’Henri VIII, etc. » pp. 369-425

À dater de cette époque, nous ne devions plus revoir que des fantômes de rois, demandant pardon à leurs peuples de ce qui leur restait de royauté. […] Ils se soulevèrent, et ce ne fut pas seulement un peuple, mais ce fut la Tradition même du pays, ce fut l’histoire de France tout entière qui se souleva avec eux. […] L’honneur des peuples est comme l’honneur des femmes : si les violées de l’histoire sont des héroïnes parce qu’elles ont tué leurs Tarquins ; un peuple catholique, violé dans sa conscience et violé dans son territoire, devait-il laisser faire ses profanateurs ? […] Les horripilés de la Saint-Barthélemy, qui ne parlent que des droits du peuple et de la sainteté des constitutions, oublient que le Peuple et la Royauté s’entendaient en 1572, et qu’il y avait encore de l’unité dans cette France que le protestantisme allait diviser. […] On a dit que dans sa jeunesse Audin s’essaya aux comédies ; mais il se détourna bien vite de ces amusettes, la grande affaire des peuples qui meurent dans un ennui affreux.

328. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIIe entretien. Littérature latine. Horace (1re partie) » pp. 337-410

Les peuples ont leurs saisons comme la terre ; le peuple romain, peu littéraire et peu poétique de sa nature, a eu une saison productive très courte, mais dans cette saison très courte ce peuple semble avoir concentré en quelques années la vie et les œuvres des trois plus beaux génies de la latinité, Cicéron, Horace et Virgile. […] La liberté populaire est une vertu, mais ce n’est pas une muse ; le peuple juge très bien de l’éloquence et très mal de la poésie. […] À chacun sa part des dons de l’esprit : au peuple la force, la grâce aux cours. […] Le peuple romain ne méritait peut-être pas mieux de ses maîtres : pourquoi avait-il livré sa liberté à César, à Auguste, aux légions ? […] Horace n’avait pas encore soixante ans ; le peuple le pleura ; son charme était l’amabilité, cette vertu du tempérament qui fait aimer toutes les autres.

329. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIe entretien. Socrate et Platon. Philosophie grecque (1re partie) » pp. 145-224

Et, en effet, ce défaut de Socrate et de Platon tient aux défauts du temps et du peuple d’Athènes. […] Le peuple croyait défendre sa liberté en défendant ses dieux, à la voix d’un de ses tribuns qui l’ameutait contre Socrate. Socrate paraissait au peuple coupable, sinon de faveur pour le gouvernement aristocratique, au moins d’indifférence politique. […] Sans la pression de ce peuple, il est évident que les juges, qui le condamnèrent à une si faible majorité, ne l’auraient pas condamné à mort. […] » Il pousse encore plus loin sa fermeté calme, et son défi consciencieux au peuple et aux juges.

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