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678. (1856) Cours familier de littérature. II « IXe entretien. Suite de l’aperçu préliminaire sur la prétendue décadence de la littérature française » pp. 161-216

Ce n’est la faute de personne, c’est celle de la nature, elle a plus de surface que de sommités dans ses créations ; il se forme ce qu’on appelle en géométrie une moyenne d’intelligence et de volonté qui est la résultante du nombre des êtres doués de pensée et de volonté dans le corps, et cette moyenne est toujours à égale distance du génie et de l’imbécillité ; c’est ce qu’on appelle médiocrité. […] Certes, personne plus que nous, quoi qu’on en ait dit, n’a moins confondu dans la révolution française l’erreur et la vérité, l’excès et la mesure, la justice et l’iniquité, l’héroïsme et le terrorisme ; personne n’a fait un plus sévère triage du sang et des vérités, des victimes et des bourreaux ; mais personne aussi ne s’est moins dissimulé la puissance de l’impulsion et la grandeur du but que l’idée française (puisqu’on l’appelle ainsi) portait en elle en commençant, en poursuivant, hélas ! […] Cette pseudo-terreur de paroles, puérile plagiat de la Convention, n’intimida personne et servit de prétexte aux ennemis de la démocratie constituée ; ils prirent la société tremblante sous leur égide, ils lui montrèrent du doigt les faux terroristes comme les Spartiates montraient aux enfants les ilotes ivres pour les dégoûter de l’ivresse. […] Elle s’arrêta d’elle-même aussi quand il n’y eut plus personne pour envoyer personne au tombereau.

679. (1913) La Fontaine « V. Le conteur — le touriste. »

ils pensent que je suis Fort en peine de ma personne : Grâce à Dieu, je passe les nuits Sans chagrin, quoique en solitude. » La belle se sut gré de tous ces sentiments. […] Considérez, je vous prie, l’utilité que ce vous serait si, en badinant, je vous avais accoutumée à l’histoire, soit des lieux, soit des personnes ; vous auriez de quoi vous désennuyer toute votre vie, pourvu que ce soit sans intention de rien retenir, moins encore de rien citer. […] Je serais merveilleusement curieux que la chose fut véritable…, etc. » Suivent toutes sortes d’histoires qui ne se rapportent véritablement qu’à sa famille et qui n’ont d’intérêt que pour des personnes de sa famille. […] Mais il s’agit évidemment d’une personne que connaît Mlle de La Fontaine, qu’elle reconnaît tout de suite, même sans qu’on la nomme. […] Cependant, cette personne m’entendit sans beaucoup de peine : les fleurettes s’entendent par tout pays, et ont cela de commode qu’elles portent avec elles leur truchement.

680. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « De la tradition en littérature et dans quel sens il la faut entendre. Leçon d’ouverture à l’École normale » pp. 356-382

N’oublions jamais que Rome était déjà arrivée, par son énergie et son habileté, au pouvoir politique le plus étendu et à la maturité d’un grand État, après la seconde guerre punique, sans posséder encore rien qui ressemblât à une littérature proprement dite digne de ce nom ; il lui fallut conquérir la Grèce pour être prise, en la personne de ses généraux et de ses chefs illustres, pour être touchée de ce beau feu qui devait doubler et perpétuer sa gloire. […] Si quelque écrivain nous apparaît, dans sa conduite et dans toute sa personne, violent, déraisonnable, choquant au bon sens, aux convenances les plus naturelles, il peut avoir du talent (car le talent, un grand talent, est compatible avec bien des travers), mais soyez sûrs qu’il n’est pas un écrivain de la première qualité et de la première marque dans l’humanité. […] Personne n’habite moins que lui dans les nuages. […] Or, ce sentiment de sécurité et d’une saison fixe et durable, il n’appartient à personne de se le donner ; on le respire avec l’air aux heures de la jeunesse. […] Personne n’a le droit aujourd’hui d’être si tranquille, même dans les admirations les mieux établies.

681. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — L'abbé de Lamennais en 1832 »

Mais lorsque, deux ans après, parut le tome second de l’Indifférence, et que l’auteur développa sa théorie de la certitude, puis les applications successives de cette théorie au paganisme, au mosaïsme et à l’Église, l’attention publique, détournée ailleurs, ne revint aucunement ; sur ce terrain il n’y eut plus guère que le clergé, les théologiens gallicans et les personnes faites aux controverses philosophiques, qui le suivirent. […] Mais, au moins, ces personnes l’avaient étudié et l’appréciaient à beaucoup d’égards. […] Son beau livre des Rapports de la Religion avec l’Ordre civil et politique, celui des Progrès de la Révolution, ses Lettres à l’Archevêque de Paris, ne détrompaient qu’imparfaitement, parce qu’il n’y avait que les personnes déjà au fait de l’homme qui les lussent avec réflexion et avidité. […] Par sa naissance, par son éducation et sa première vie dans une province la plus fidèle de toutes à la tradition et à l’ordre ancien, par le genre de ses relations ecclésiastiques et royalistes dans le monde lorsqu’il s’y lança, par la nature de son scepticisme lorsqu’il fut atteint de ce mal, par la forme soumise et régulière de son retour à la foi, par tout ce qui constitue enfin les mœurs, l’habitude pratique, l’union de la personne et de la pensée, l’allure intérieure ou apparente, la qualité saine du langage et l’accent même de la voix, M. de La Mennais, à aucune époque, n’a trempé dans le siècle récent, ne s’y est fondu en aucun point ; il a demeuré jusqu’en ses écarts sur des portions plus éloignées du centre et moins entamées ; dans toute sa période de formation et de jeunesse pieuse ou rebelle, il a fait le grand tour, pour ainsi dire, de notre Babylone éphémère, et si plus tard il est entré dans l’enceinte, ç’a été avec un cri d’assaut, muni d’armes sacrées, se hâtant aux régions d’avenir et perçant ce qui s’offrait à l’encontre au fil de son inflexible esprit. […] Il ne dit pas le moins du monde, comme le suppose l’auteur d’ailleurs si impartial et si sagace d’une Histoire de la philosophie française contemporaine : « Voilà des personnes dignes de foi, croyez-les ; cependant n’oubliez pas que ni vous ni ces personnes n’avez la faculté de savoir certainement quoi que ce soit. » Mais il dit : « En vous isolant comme Descartes l’a voulu faire, en vous dépouillant, par une supposition chimérique, de toutes vos connaissances acquises pour les reconstruire ensuite plus certainement à l’aide d’un reploiement solitaire sur vous-même, vous vous abusez ; vous vous privez de légitimes et naturels secours ; vous rompez avec la société dont vous êtes membre, avec la tradition dont vous êtes nourri ; vous voulez éluder l’acte de foi qui se retrouve invinciblement à l’origine de la plus simple pensée, vous demandez à votre raison sa propre raison qu’elle ne sait pas ; vous lui demandez de se démontrer elle-même à elle-même, tandis qu’il ne s’agirait que d’y croire préalablement, de la laisser jouer en liberté, de l’appliquer avec toutes ses ressources et son expansion native aux vérités qui la sollicitent, et dans lesquelles, bon gré, mal gré, elle s’inquiète, pour s’y appuyer, du témoignage des autres, de telle sorte qu’il n’y a de véritable repos pour elle et de certitude suprême que lorsque sa propre opinion s’est unie au sentiment universel. » Or, ce sentiment universel, en dehors duquel il n’y a de tout à fait logique que le pyrrhonisme, et de sensé que l’empirisme, existe-t-il, et que dit-il ?

682. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. NISARD. » pp. 328-357

1836 La critique est de plus en plus difficile et presque nulle : c’est ce que disent bien des personnes, et celle particulièrement dont nous avons à nous occuper. […] Que s’il nous trouve un peu osé de venir rattacher si familièrement ses vues à sa personne et à ses motifs, il se rappellera que nous sommes plutôt pour la littérature réelle et particulière que pour la littérature monumentale. […] Ceci soit dit pour les personnes qui, parce qu’on modifie son opinion sincèrement sur quelques points, sont si prêtes, dans leur jeune ardeur, à faire de vous des gens qui abjurent et des réactionnaires. […] Nisard une partie de son système français, et une partie très-justifiable, cette prédilection qu’il couronnera plus tard avec solennité dans la personne de Buffon, se marque nettement au premier pas. […] … l’abbé Trublet en personne ; oui, l’abbé Trublet, que je ne veux pas réhabiliter, lui, pour cela, rassurez-vous !

683. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « PENSÉES FRAGMENTS ET LETTRES DE BLAISE PASCAL, Publiés pour la première fois conformément aux manuscrits, par M. Prosper Faugère. (1844). » pp. 193-224

Faugère était mieux prédisposé que personne à mener à bien cette œuvre de restauration et de piété dans laquelle son esprit exact et délicat allait s’aiguiser d’une sensibilité tendre et scrupuleuse pour porter sur chaque point une investigation pénétrante. […] Le bon vieillard semblait à tous assez morose, assez méfiant ; il n’avait jamais voulu communiquer ses trésors manuscrits à personne, même parmi les siens. […] Ses amis savaient de lui mille choses dont nous ne nous doutons qu’à peine aujourd’hui ; ils avaient une impression réelle et vraie de sa personne et de son esprit, au lieu de tous ces types, un peu fantastiques, que chacun de nous s’est formés de lui d’après sa propre imagination. […] Des lettres à des personnes vivantes (la duchesse de La Feuillade, par exemple) fournirent quelques pensées dont on n’indiqua point la source : le pouvait-on ? […] sM ellaigue avait reçu une partie de son éducation du Père Guerrier l’oratorien, et celui-ci était intimement lié avec Marguerite Perier : ainsi, entre M ellaigue et Pascal, il n’y avait que deux personnes.

684. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Appendice »

Je cède d’autant plus volontiers au besoin de vous les dire, que je n’ai personne ici à qui je les puisse confier. […] Figurez-vous l’isolement le plus complet, sans ami, sans conseil, sans connaissance, sans appui au milieu de personnes froides et indifférentes, moi qui venais de quitter ma mère, ma Bretagne, ma vie toute orée, tant d’affections pures et simples. […] Je bénis Dieu, mon cher, de m’avoir donné en vous que qu’un qui sait si bien me deviner que je n’ai pas besoin de lui exposer l’état de mon cœur ; oui, c’est une de mes plus grandes peines que de songer que les personnes dont l’approbation me serait la plus chère doivent me blâmer et me trouver coupable. […] Si je trouve des personnes qui voient comme moi, nous sympathiserons ; sinon je serai seul. […] Celui-là est le Jupiter Olympien, l’homme spirituel qui juge tout et n’est jugé par personne.

685. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame de Pompadour. Mémoires de Mme Du Hausset, sa femme de chambre. (Collection Didot.) » pp. 486-511

Battue au-dehors, faute de héros, dans son duel contre Frédéric, Mme de Pompadour fut plus heureuse de sa personne, à l’intérieur, dans sa guerre à mort contre les Jésuites. […] Non, assurément, mon cher nigaud, je ne laisserai pas périr au port un établissement qui doit immortaliser le roi, rendre heureuse sa noblesse, et faire connaître à la postérité mon attachement pour l’État et pour la personne de Sa Majesté. […] C’est là qu’il faut aller voir la marquise avant de se permettre de la juger et de se former la moindre idée de sa personne. […] Mais c’est la personne même qui est de tout point merveilleuse de finesse, de dignité suave et d’exquise beauté. […] Il n’en était pas ainsi des personnes qui avaient su gagner les bonnes grâces de Louis XIV… » Malgré tout, elle fut bien la maîtresse qui convenait à ce règne, la seule qui pût venir à bout d’en tirer parti dans le sens de l’opinion, la seule qui pût diminuer le désaccord criant entre le moins littéraire des rois et la plus littéraire des époques.

686. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Malesherbes. » pp. 512-538

Le directeur de la Librairie, par sa position, se trouvait le confident et quelquefois le point de mire de tous les amours-propres inquiets ou irrités ; amours-propres de gens du monde, de grands seigneurs, de dévots, de gens de lettres surtout, il avait affaire à tous ensemble ou à chacun tour à tour, et il en savait plus long que personne sur leurs singularités secrètes et leurs faiblesses. […] L’éclat que produisit cette affaire du livre De l’esprit, la position fausse où elle plaça tant de personnes considérables, et le conflit des juridictions qui s’y produisit ouvertement, suggérèrent un moment l’idée de dresser une loi qui régirait la matière, loi qu’il valait mieux que le roi fît que de la laisser faire au Parlement ; et c’est à cette occasion que M. de Malesherbes se mit à rédiger ses intéressants Mémoires sur la librairie. […] Tâchons bien de nous le figurer tel qu’il était en personne, et non pas d’après des portraits trop idéalisés, trop sensibilisés et trop adoucis. […] Notre science était toute dans les livres ; nous n’avions aucune connaissance des hommes. » On n’a nulle raison de révoquer en doute ces paroles qu’il a répétées plus d’une fois et à plus d’une personne. […] [NdA] Autre trait de nature : il aimait les enfants ; une personne aimable et distinguée, après avoir lu cet article dans Le Constitutionnel, me fait l’honneur de m’écrire quelques-uns des souvenirs que réveille en elle cette lecture : Je me rappelle qu’un jour ce noble vieillard tenant par la main une petite fille de cinq ans, et se promenant, avec elle dans les jardins de Malesherbes, lui proposa de jouer à la cachette, et que cette petite fille croyait que son vieil ami y prenait autant de plaisir qu’elle-même.

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