et ne perd-il pas, chemin faisant, à droite ou à gauche, tout en avançant dans le milieu ? […] Rigault, qui n’a jamais perdu de vue l’idée générale et la doctrine du progrès, a tenu, au contraire, à être le plus complet possible, à tout décrire successivement avec une curiosité égale, à suivre le fleuve, comme il l’appelle quelque part, dans toutes ses sinuosités, dans ses tours et retours, jusqu’à ce qu’il se perde dans l’idée générale et théorique qui est son océan.
Voilà qu’elle apparaît d’abord, cette seconde anarchie dont il fallait sortir pour arriver enfin au régime légal, et gagner le peu de liberté qui, à peine acquis, fut sitôt perdu. […] Le vieux Ruhl, qu’on avait seul excepté du décret d’accusation, ne voulait pas de ce pardon ; il croyait la liberté perdue, et il se donna la mort d’un coup de poignard. […] A l’instant où il allait recevoir le coup fatal, on s’aperçut que le couteau n’avait pas été remonté ; il fallut disposer l’instrument : il employa ce temps à proférer encore quelques paroles ; il assurait que « nul ne mourait plus dévoué à son pays, plus attaché à son bonheur et à sa liberté. »Depuis le désastre de prairial, le jacobinisme perdit le rang de parti, et retomba à l’état de secte, jusqu’à l’affaire de Gracchus Babeuf, où il acheva de se dissoudre.
L’homme perd sa place, — et commencent les épisodes. […] Il peut y avoir autant de charme à consoler un mari, expéditionnaire, qu’on révoque, qu’à réconforter un prince qui perd son royaume. […] Du même auteur, Qui perd gagne et Faux départ sont plus savoureux encore, et de plus copieux agrément.
Dans quelque temps que ce pût être, cette grande figure historique, enfoncée et comme perdue en des chroniques qu’on ne lit plus, mais entrevue d’abord et finalement déterrée, aurait passionné de sa beauté singulière toute imagination qui serait restée poétique sous les formes sévères et sobres de l’histoire et de l’érudition. […] La vérité n’y a rien perdu ; l’histoire y a gagné des choses touchantes et sublimes. […] Écartez le Pape, la splendeur se retire de cette tête autour de laquelle Renée essaierait en vain d’attacher avec tout son talent une auréole, et la voilà qui n’est plus qu’une de ces individualités féodales comme il en passa tant, pour s’y perdre, dans cette histoire d’Italie où le savant Ferrari comptait avec désespoir sept mille révolutions.
nous l’avons dit assez souvent pour qu’on ne puisse plus l’oublier, nous aimons mieux l’histoire creusée que l’histoire étendue, si la superficie qu’elle embrasse doit lui faire perdre de sa profondeur. […] Elle y perd les grandes qualités qui la rendent la plus imposante et la plus robuste des Muses : l’ampleur, la majesté, l’ordonnance de composition, — et ce n’est pas tout ; qui oserait dire qu’elle n’y perd pas de sa vérité ?
Qui se donne exclusivement au journalisme y perd son talent, s’il en a, et mange en herbe le blé de sa gloire, s’il était vraiment fait pour recueillir cette noble moisson. […] Voilà ce qu’il ne faut jamais perdre de vue quand on veut bien juger Carrel. […] À coup sûr, on ne rencontrait rien d’épique dans ce chef d’idées ou de parti, au front bas, à la tête presque crépue, chagrin, froncé, retors, vrai Chicaneau normand quand il s’agissait de questions de droit touchant son métier, comme il n’y avait rien non plus d’un grand artiste dans cet écrivain assez mâle de ton, — correct et brossé, — qui ne perdait de sa rigidité de tenue que dans la colère.
Plus vrai qu’Edgar Poe, le chasseur américain au succès21, dont le but caché est de terrasser l’imagination de son temps à l’aide de combinaisons enragées et d’excentricités réfléchies, Hoffmann n’a pas cette puissance terrible qu’avait Edgar Poe, et que du fond de ses ivresses il pensait encore à exercer ; Hoffmann, lui, perdait de vue son public comme on perd de vue les convives lorsque l’on glisse sous la table. […] c’est justement le vague qui fait le fond de la pensée du conteur allemand, soit qu’il raconte des faits merveilleux et extra-terrestres, soit qu’il se perde dans des appréciations d’art plus fantastiques que ces Contes eux-mêmes, c’est ce vague que Champfleury nous donne comme une puissance : « Hoffmann est — dit-il — de tous les artistes celui qui a le plus naïvement greffé — (pourquoi naïvement ?)
Perdu dans l’abstraction où ils se perdent tous, il a dédaigné de regarder cette tête de l’homme, qui s’est déformé en tombant et dont les facultés, devenues inaptes à saisir la vérité d’une prise souveraine, ne font plus pour la prendre que de gauches mouvements. […] Mais c’est précisément son invention qui le perd en philosophie.
Ceci était réservé à un écrivain du xixe siècle, — un animalcule d’écrivain, en comparaison de Byron et de Voltaire, — et, selon moi, pour qu’on dise cela hautement et avec impunité en plein xixe siècle, il faut que le siècle dans lequel on le dit soit aussi perdu d’esprit et aussi perverti que l’écrivain ! […] Sous une forme ou sous une autre, il eût transmis à ses enfants le mal qui l’a perdu, et ce Roi des Juifs, ainsi qu’il arrive d’ordinaire aux princes, aurait pu engendrer des idiots. » C’est complet, n’est-ce pas ? […] On pourrait le laisser perdu, noyé, imperceptible, presque invisible, dans son coin de littérature et de société, il n’est pas si grand qu’on l’y aperçoive !