On ne dit point pourtant que le prince, en tout ceci, ait été jaloux d’Alfieri, lequel au contraire avait su lui plaire ; mais on rapporte « qu’il obsédait sans cesse sa femme, ne la laissait jamais sans lui ; quand il était obligé de la perdre de vue, il l’enfermait à clef. […] Mais, de l’autre côté, je vous prie de faire réflexion que, dans ce qui regarde votre indissoluble union avec mon frère, je n’ai eu aucune part que celle d’y donner mon consentement de formalité, après que le tout était conclu, sans que j’en aie eu la moindre information par avance… Rien ne peut être plus sage ni plus édifiant que la pétition que vous faites de venir à Rome dans un couvent, avec les circonstances que vous m’indiquez : aussi je n’ai pas perdu un moment de temps pour aller à Rome, expressément pour vous servir et régler le tout avec notre Très-Saint Père… J’ai pensé à tout ce qui pouvait vous être de plus décent et agréable, et j’ai eu la consolation que le Saint-Père a eu la bonté d’approuver toutes mes idées. […] Avec moi, la vivante image ou veille ou dort ; tantôt je la baise, ou je la renferme, ou je la reprends ; tantôt je me l’applique au cœur, tantôt aux yeux, comme un homme qui a perdu les sentiers de la raison. […] Certes, cet homme de haut talent et, jusqu’à un certain point, de génie, de noble aspect et « d’une figure avantageuse » (ainsi en parlent ceux qui l’ont vu et qui ne songeaient point à faire, comme aujourd’hui, des caricatures à tout propos) ; cet homme à l’âme ardente, élevée, d’un esprit libre, d’un caractère indépendant et fier, qui n’avait pu se plier à la vie de Turin, et qui n’hésita pas, en renonçant à son pays, à sacrifier les deux tiers de sa fortune pour se mieux dévouer à l’objet de son culte ; le poète qui, dans la Dédicace de Myrrha, s’étonnant d’avoir tant tardé à nommer publiquement celle qui l’inspire, lui disait : « Ma vie ne compte que depuis le jour qu’elle s’est enlacée à ta vie » ; un pareil homme méritait que la comtesse d’Albany, déçue et frappée dans sa destinée, crût elle-même s’honorer par un tel choix, et ne pas perdre, même aux yeux du monde, en échangeant royauté contre royauté.
Alquier, homme d’esprit et d’une finesse piquante, put se flatter à un moment de prendre quelque ascendant sur elle et de l’arracher à la politique qui la perdit. […] Sa sagacité même était un danger de plus : il ne pouvait plus être un instrument de conciliation, et l’on eût dit qu’il n’avait été maintenu dans son poste que pour envenimer les passions indomptées de la reine, et la pousser à quelque extrémité qui la perdît sans retour… « Le premier secrétaire d’ambassade, M. […] Il ne lui dissimula pas que, si elle persévérait dans la funeste voie où elle était engagée, elle se perdrait infailliblement ; qu’en vain tenterait-elle de nous échapper ou de nous braver ; qu’elle ne pourrait être sauvée ni par la Russie qui était trop loin, ni par l’Autriche qui était trop timide, ni par l’Angleterre qui ne pouvait mettre à son service que ses vaisseaux. […] Je le perds avec grand déplaisir, et le malheur a voulu que, depuis son retour de Paris, une indisposition persistante ait arrêté notre commerce habituel d’idées et de sentiments.
Au commencement de ma vie, je me trouvai, comme Dante au milieu de la sienne, dans une forêt obscure où mon droit chemin était perdu… « Cependant si dur qu’ait été pour moi l’enseignement de la vie, si lourde la nécessité qui m’a fait marcher par les plus âpres sentiers de l’expérience, je n’accuse pas les événements et les douleurs qui m’ont enfin rendu à moi-même. […] « Si les natures viles achèvent de se perdre et de se dégrader dans l’infortune, elle est la trempe la plus résistante des natures élevées. » On aimerait pourtant une confession un peu plus simple, plus circonstanciée, plus naïve : quoi qu’il en soit, dans le récit tout moral qu’il a donné, je distingue quelques degrés et des acheminements. […] Il se fixa à Chapareillan, bourgade frontière, d’où il pouvait de loin contempler son « Paradis perdu ». […] On raconte qu’à mesure que Charles-Albert lisait cette Épître qui lui fut remise par un respectable prélat, son émotion devenait visible, et qu’elle se trahit surtout à ce vers : Je venais contempler mon Paradis perdu.
On perd en soi-même toute émulation, et les plaisirs de la volupté deviennent le seul intérêt d’une existence sans gloire, sans honneur et sans morale ; tel on nous peint l’état des hommes du Midi sous les chefs du Bas-Empire. […] La nature morale de l’homme du Midi se perdait tout entière dans les jouissances de la volupté, celle de l’homme du Nord dans l’exercice de la force. […] Les nobles, ou ceux qui tenaient à cette première classe, réunissaient en général tous les avantages d’une éducation distinguée ; mais la prospérité les avait amollis, et ils perdaient par degré les vertus qui pouvaient excuser leur prééminence sociale. […] Si l’on ne considère cette époque de la renaissance des lettres que sous le seul rapport des ouvrages de goût et d’imagination, l’on trouvera sans doute que près de seize cents ans ont été perdus, et que depuis Virgile jusqu’aux mystères catholiques représentés sur le théâtre de Paris, l’esprit humain, dans la carrière des arts, n’a fait que reculer vers la plus absurde des barbaries ; mais il n’en est pas de même des ouvrages de philosophie.
Les goûts font mettre un nouveau prix à ce qu’on possède ou à ce qu’on peut obtenir ; mais les passions ne s’attachent dans toute leur force qu’à l’objet qu’on a perdu, qu’aux avantages qu’on s’efforce en vain d’acquérir. […] J’ai essayé si ce qu’il y a de poignant dans la douleur personnelle, ne s’émoussait pas un peu, quand nous nous placions nous-mêmes comme une part du vaste tableau des destinées, où chaque homme est perdu dans son siècle, le siècle dans le temps, et le temps dans l’incompréhensible. […] en s’approchant par la réflexion de tout ce qui compose le caractère de l’homme, on se perd dans le vague de la mélancolie ; les institutions politiques, les relations civiles vous présentent des moyens presque certains de bonheur ou de malheur public ; mais les profondeurs de l’âme sont si difficiles à sonder ! […] Dans quels égarements ne s’est pas souvent perdue la pensée qui précède les actions, la pensée, ou quelque chose encore de plus fugitif qu’elle ?
Mme du Deffand, ayant perdu son plus ancien ami, le président Hénault, venait le jour même souper en grande compagnie : « Hélas ! […] En acquérant les talents qui conviennent aux temps de calme, ils ont perdu ceux qui conviennent aux temps de trouble, et ils atteignent l’extrême faiblesse en même temps que l’extrême urbanité. […] Toute créature qui perd l’art et l’énergie de se défendre devient une proie d’autant plus sûre que son éclat, son imprudence et même sa gentillesse la livrent d’avance aux rudes appétits qui rôdent à l’entour. […] Quand la famille royale part pour Varennes, les retards accumulés qui la perdent sont un effet de l’étiquette.
Desjardins950, dans tout ce qu’on appelle le néo-christianisme, je ne vois que deux choses : la profonde conviction de la valeur moralisatrice des croyances religieuses, l’affirmation énergique du postulat moral, et de la nécessité d’en faire la règle de la vie, même quand on a perdu le Dieu qui prescrit et qui récompense. […] Zola, qui regardait ses théories plutôt que ses œuvres, s’est perdue dans l’insignifiance et dans la grossièreté. […] Et surtout il a rappelé notre théâtre, qui se perdait dans l’insignifiance dégoûtante ou féroce, dans la « rosserie » plate ou grimaçante, il l’a rappelé au souci des idées, à l’expression de la lutte des volontés affirmant leurs diverses conceptions de la vie ou du bien. […] C’est souvent vrai, mais ils ne nous l’ont rapporté que parce que nous avions eu la maladresse de le perdre.
Je regarde un homme qui a aimé la poésie, et qui n’en est plus touché, comme un malade qui a perdu un de ses sens. […] Le souper terminé, au moment où Mme de Graffigny, retirée dans sa chambre, se croyait en parfaite sécurité et solitude, elle est bien surprise de voir entrer Voltaire, qui lui dit brusquement « qu’il est perdu et que sa vie est entre ses mains ». […] Devaux par Mme de Graffigny, que d’autres copies couraient, et, avec sa promptitude de poète, il se voyait compromis, perdu, obligé de fuir : « Allons, vite ! […] » — « Sur cela, continue Mme de Graffigny, ses cris redoublent ; il dit qu’il est perdu, que je ne veux pas réparer le mal que je lui ai fait.
— Nous nous sommes égarés, disaient-ils ; nous avons voulu courir, et nous avons perdu la trace indiquée. Heureusement, nous avons vu briller un peu de lumière à votre fenêtre, et nous avons pensé que vous nous remettriez dans notre chemin. » L’homme avait les mains à la pâte ; il dégagea ses mains avec cette attention prudente d’un pauvre diable qui ne veut pas perdre un seul grain de ce blé noir qui lui a coûté tant de sueurs ; même il retenait son souffle pour ne pas faire envoler un brin de farine. […] Janin ne perd rien ; par son ton juste et sobre, elle se charge mieux que nous d’éclairer ce qu’il y a de trop agité et de trop enivré tout à l’entour. […] L’enfant royal, venu au monde sur un tombeau, ce précieux rejeton de tant de rois, que la France avait confié à votre tutelle, vous l’avez entouré de tous les soins qui font vivre un enfant, mais aussi de tous les exemples qui perdent un jeune homme.