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949. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Émile Zola » pp. 70-104

Que l’on remonte maintenant de ce pessimisme, terme de notre analyse, à la vue magnifiée des hommes et des choses dont il découle ; de celle-ci à l’amour de la vie, de la force, de la sensualité, de la raison et de la santé, ses causes ; que l’on se rappelle le réalisme de procédés et de vision que ces idéaux résument, l’on aura, je pense, les gros linéaments de l’œuvre de M.  […] Cesser tout à coup de penser les choses réelles, en détacher un caractère extrêmement compréhensible et ne plus concevoir les individus qu’en tant qu’ils participent de cet attribut métaphysique est le fait soit d’une intelligence spéculative et savante, soit parfois d’un styliste émérite, d’un homme au tour d’esprit verbal qui emploie inconsciemment la synthèse que les mots ont faits de nos idées générales. […] C’est la pensée qui est le centre, et le corps la périphérie ; la science le démontre après que l’expérience l’a constaté, et au nom même de l’évolutionnisme, l’activité cérébrale étant la plus récente est la plus haute, et l’être qui pense le plus étant le plus noble, est le plus intéressant. […] Nous avons tenu à dire nettement ce que nous pensons de l’esthétique naturaliste, parce qu’elle est erronée d’abord comme toute esthétique de parti, puis parce qu’elle trouble l’appréciation exacte des œuvres de M. 

950. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre VII. Mme de Gasparin »

Être original dans le sens profond du mot ; et, après l’avoir pensé, bâtir un livre dans la puissance équilibrée de son harmonie, voilà le signe de la virilité en littérature, et nulle femme ne l’a ni ne peut l’avoir. […] D’autant plus grande, cette poëte qui s’ignore, abîmée dans l’humilité et le flamboiement de sa foi, qu’elle ne veut pas l’être, — qu’elle ne pense pas une minute à l’être, pas plus qu’elle ne pense à la science, à la sûreté de sa divination, vraie pour elle, mais qu’elle ne donne pas comme l’éclair fixé de la certitude. […] Aujourd’hui, ce n’est encore qu’une âme chrétienne qui dit simplement, sincèrement, mais passionnément aussi, tout ce qu’elle pense et ce qu’elle croit.

951. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre III. “ Fantômes de vivants ” et “ recherche psychique ” »

J’ai lu quelque part l’histoire d’un sous-lieutenant que les hasards de la bataille, la disparition de ses chefs tués ou blessés, avaient appelé à l’honneur de commander le régiment : toute sa vie il y pensa, toute sa vie il en parla, et du souvenir de ces quelques heures son existence entière restait imprégnée. […] Pour ma part, quand je repasse dans ma mémoire les résultats de l’admirable enquête poursuivie inlassablement par vous pendant plus de trente ans, quand je pense aux précautions que vous avez prises pour éviter l’erreur, quand je vois comment, dans la plupart des cas que vous avez retenus, le récit de l’hallucination avait été fait à une ou plusieurs personnes, souvent même noté par écrit, avant que l’hallucination eût été reconnue véridique, quand je tiens compte du nombre énorme des faits et surtout de leur ressemblance entre eux, de leur air de famille, de la concordance de tant de témoignages indépendants les uns des autres, tous analysés, contrôlés, soumis à la critique — je suis porté à croire à la télépathie de même que je crois, par exemple, à la défaite de l’Invincible Armada. […] Dans le travail de la pensée en général, comme dans l’opération de la mémoire, le cerveau apparaît simplement comme chargé d’imprimer au corps les mouvements et les attitudes qui jouent ce que l’esprit pense ou ce que les circonstances l’invitent à penser, C’est ce que j’ai exprimé ailleurs en disant que le cerveau est un « organe de pantomime ».

952. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Troisième partie. — L’école historique » pp. 253-354

Ce sont amusements de ma jeunesse, premiers essais de mon imagination émancipée, au sortir de la longue enfance où nous avions tous perdu notre liberté de penser sous la tyrannie d’une lettre morte. […] Ces choses incontestables, ces vérités qui semblent si bien établies, le sont beaucoup moins qu’on ne pense, et c’est là un second et plus grave motif pour lequel la science ne doit pas s’en occuper. […] L’honnête homme, l’homme distingué, comme on dit en France aujourd’hui, est un sage qui veut plaire et qui plaît, comme l’oiseau chante, comme l’insecte bourdonne, sans y penser, avec un ait naturel. […] S’il pense, il ne veut pas en avoir l’air ; s’il dit des choses sérieuses, parfois tristes, il en demande pardon par un sourire. […] De même le peuple en général, et les chefs des anciennes familles royales de la Grèce n’ont jamais pensé ni parlé comme les personnages d’Eschyle ; ils ont encore moins approché de la beauté de ceux de Sophocle.

953. (1874) Premiers lundis. Tome I « Madame de Maintenon et la Princesse des Ursins — II »

Cette fois, il n’y a pas moyen d’y échapper ; qu’on nous fasse seulement la grâce de penser qu’il n’y a rien de notre faute dans l’opposition, jusqu’au bout uniforme, que le second portrait va offrir à côté du premier. […] Dès lors son unique pensée est d’achever doucement de vivre, et de savourer à loisir la béatitude qu’elle s’est ménagée : dans sa lettre d’adieux à madame des Ursins, le rayonnement de l’amour-propre satisfait perce sous la froideur ascétique et les sentiments chrétiens : « Vous avez bien de la bonté, madame, d’avoir pensé à moi dans le grand événement qui vient de se passer ; il n’y a qu’à baisser la tête sous la main qui nous a frappés.

954. (1874) Premiers lundis. Tome II « E. Lerminier. Lettres philosophiques adressées à un Berlinois »

Peut-être, après avoir parcouru ces Lettres, pensera-t-on qu’elles se rattachent à des études commencées, à un dessein général que je demande au temps la permission de poursuivre. » Les Lettres Berlinoises sont un dernier travail critique, un relevé analytique et pittoresque de la situation générale de la France après juillet, un hardi règlement de compte avec les hommes et les choses du passé, un déblaiement, en un mot, de ces débris sous lesquels nous sommes un peu plus écrasés qu’il ne conviendrait à des vainqueurs. […] Malheureusement le lieu commun se trouve ici déconcerté. » Il ne le sera pas moins, pense M. 

955. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Prosper Mérimée. »

Et un jour il triche au jeu, non par désespoir, non pour sauver sa maîtresse de la misère, mais pour voler. « Quand j’ai triché ce Hollandais, je ne pensais qu’à gagner vingt-cinq napoléons, voilà tout. Je ne pensais pas à Gabrielle, et voilà pourquoi je me méprise. » (La Partie de Trictrac.)

956. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Contre une légende »

Je ne pense pas que personne, dans aucun temps, ait pris plus sérieusement la vie que ce petit Breton de vingt-cinq ans dont l’enfance avait été si pure, l’adolescence si grave et si studieuse, et qui, au sortir du plus tragique drame de conscience, seul dans sa petite chambre de savant pauvre, continuait à s’interroger sur le sens de l’univers, — et cela, dans un tel détachement des vanités humaines, que ces pensées devaient rester quarante ans inédites par la volonté de leur auteur. […] L’Avenir de la Science est un livre de foi, si vous pensez que la foi peut être autre chose que la croyance aux formules dogmatiques de quelqu’une des religions établies.

957. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Guy de Maupassant »

Je ne vous les donne pas pour très neufs  ni lui non plus, je pense… C’est beaucoup de tristesse et de férocité à la fois. […] Il était loin… très loin… À quoi pensait-il, le pauvre garçon ?

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