/ 3271
844. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre III. De la vanité. »

La vanité, l’orgueil donnent quelque chose de stationnaire à la pensée, qui ne permet pas de sortir du cercle le plus étroit, et cependant dans ce cercle, il y a une puissance de malheur plus grande que dans toute autre existence dont les intérêts seraient plus multipliés. […] Les premiers qui s’éloigneraient, pourraient détacher ceux qui restent, et celle qui semble l’objet de toutes leurs pensées, s’aperçoit bientôt qu’elle retient chacun d’eux par l’exemple de tous. […] D’ailleurs, la femme qui, en atteignant à une véritable supériorité, pourrait se croire au-dessus de la haine, et s’élèverait par sa pensée au sort des hommes les plus célèbres ; cette femme n’aurait jamais le calme et la force de tête qui les caractérisent ; l’imagination serait toujours la première de ses facultés : son talent pourrait s’en accroître, mais son âme serait trop fortement agitée, ses sentiments seraient troublés par ses chimères, ses actions entraînées par ses illusions ; son esprit, pourrait mériter quelque gloire, en donnant à ses écrits la justesse de la raison ; mais les grands talents, unis à une imagination passionnée, éclairent sur les résultats généraux et trompent sur les relations personnelles. Les femmes sensibles et mobiles, donneront toujours l’exemple de cette bizarre union de l’erreur et de la vérité, de cette sorte d’inspiration de la pensée, qui rend des oracles à l’univers, et manque du plus simple conseil pour soi-même. […] Le plaisir au nom duquel on se rassemble est nul pour elle ; elle ne peut en jouir dans aucun moment ; car il n’en est point qui ne soit absorbé et par sa pensée dominante, et par les efforts qu’elle fait pour la cacher.

845. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série «  Les femmes de France : poètes et prosateurs  »

Il est vrai que le souvenir de leur sexe peut également se retourner contre elles… En somme, soit que l’idée d’un autre charme que celui de leur style agisse sur nous, soit qu’au contraire l’effort de leur art et de leur pensée nous semble attenter aux privilèges virils, il est à craindre que nous ne les jugions avec un peu de faveur ou de prévention, qu’elles ne nous plaisent à trop peu de frais dans les genres pour lesquels elles nous semblent nées (lettres, mémoires, ouvrages d’éducation), et qu’elles n’aient, en revanche, trop de peine à nous agréer dans les genres que nous considérons comme notre domaine propre (poésie, histoire, critique, philosophie). […] ces femmes, qui ont une pensée virile, ont aussi un genre de sérieux plus fatigant que les hommes les plus hauts sur cravate. […] Mais si je suis obligé d’admirer la force et la gravité de leur pensée, quel désordre ! […] Jacquinet répond à la première de ces questions dans sa substantielle préface : Peut-être peut-on se demander si la beauté solide et constante de langage des vers, par tout ce qu’il faut au poète, dans l’espace étroit qui l’enserre, de feu, d’imagination, d’énergie de pensée et de vertu d’expression pour y atteindre, ne dépasse pas la mesure des puissances du génie féminin, et si véritablement la prose, par sa liberté d’expression et ses complaisances d’allure, n’est pas l’instrument le plus approprié, le mieux assorti à la trempe des organes intellectuels et au naturel mouvement de l’esprit chez la femme, qui pourtant, si l’on songe à tout ce qu’elle sent et à tout ce qu’elle inspire, est l’être poétique par excellence et la poésie même. […] La grâce d’une Caylus ou d’une La Fayette est quelque chose d’aussi rare, d’aussi unique, d’aussi beau, d’aussi ineffable et incommunicable que la profondeur de pensée d’un Pascal ou la puissance d’expression d’un Victor Hugo.

846. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « (Chroniqueurs parisiens II) Henry Fouquier »

L’originalité de la forme ou de la pensée a presque toujours besoin, pour s’achever, du recueillement d’un travail volontaire… Elle s’atténue et s’efface en se dispersant. […] Et il a d’ailleurs, dans les moindres mouvements de sa sensibilité et de sa pensée, une grâce d’un charme si pénétrant que, si je ne puis l’appeler féminine, je ne saurai vraiment de quel autre nom la nommer. […] Renan, jusqu’à « comprendre plusieurs espèces de beauté » ; et ce Phocéen conçoit quand il le veut la mélancolie des Sarmates et des Saxons et les tristesses et raffinements d’art et de pensée des hommes du Nord. […] Dans le domaine de la pensée, la modération même de la solution où l’on a voulu s’arrêter suppose qu’on a passé en revue toutes les autres et qu’on s’est imaginé les divers états d’esprit auxquels elles correspondent, ce qui est un grand plaisir. […] Il jouit du tumulte et de l’incohérence des pensées, des désespoirs qui se livrent, des indignations qui consentent et abdiquent, et des corps vibrants, des cheveux dénoués, des larmes qui voilent et attendrissent la splendeur des beaux, yeux.

847. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Verlaine, Paul (1844-1896) »

Les efforts contradictoires de sa vie — vers la pureté et vers le plaisir — se coalisent en l’effort de sa pensée, quand sonne l’heure de lui donner la forme artistique, avec une intensité qui le met à part de tous les Modernes (à ce point de vue) et qu’il doit sans doute à sa naïve énergie de vivre… N’ayant que ses passions pour matière de son art, plus factice et plus lâche, il n’eût, comme la plupart de nos poètes français, accumulé que des rimes, sans unité d’ensemble : son instinct vital l’a sauvé, l’instinct triomphant qui n’a pas seulement soumis l’intelligence, mais qui, par un miracle, se l’est assimilée, se spiritualisant vers elle, la matérialisant vers lui, réalisant (au sens étymologique du mot) l’idéal, et puis, pour le conquérir, s’ingéniant, sans laisser jamais l’imagination se prendre à d’autres mirages que ceux de la vie elle-même, tels qu’ils sont peints par le hasard, sur le rideau de nos désirs. […] Désormais, sa pensée ne disparaîtra plus de l’ensemble des pensées qui constituent l’héritage national. […] Dans les pays de la Pensée, il trouva l’Utopie assise sur sa montagne. […] Edmond Pilon La bonne Vierge-Vénus et la Vénus-Marie Se penchent, se désolent, sanglotent et prient Sur ton tombeau plus blanc que celui des colombes, De l’Olympe, du Pélion, du Paradis, Des anges, des satyres et des séraphins prient Pour le pauvre homme bon et le poète parti Vers les églises d’encens et les riches prairies Où la harpe entremêle à la flûte fleurie Des rythmes de prière à des chansons d’orgie ; Ta vie toute pareille à celle du pèlerin, Dont la violente jeunesse grisée d’amour et de vin Avance peu à peu vers la prière des anges, Aboutit — ô Verlaine — à ce tombeau étrange Bâti des impuretés de ta jeunesse ardente Et des strophes liliales de tes poèmes chrétiens ; Te voici, à présent, couché dans la prairie ; Mais la rouge passiflore à la fleur de Marie Enlace, malgré tout, sa passion orgueilleuse Aux tiges de la pensée et des fleurs religieuses Que placeront des amis, que sèmeront des fidèles Et que planteront de beaux anges avec leurs ailes… La couronne d’épines et la couronne de roses, Le bâton de Tannhauser et la houlette des fêtes Que Watteau dessina, pour toi, voici deux siècles, S’emmêlent sur ton ombre tourmentée et posent Leur symbolique trophée au bord de ton silence… Verlaine, ton tombeau est un tombeau étrange Que veillent à la fois les amours et les anges… [La Vogue (15 juin 1900).]

848. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 11-15754

Un esprit abstrait, c’est un esprit inattentif, occupé uniquement de ses propres pensées, qui ne pense à rien de ce qu’on lui dit. […] On dit d’une pensée qu’elle est abstraite, quand elle est trop recherchée, & qu’elle demande trop d’attention pour être entendue. […] Pensée recherchée. […] On a destiné ces sons à être le signes des idées, des pensées & des jugemens. […] Le même fonds de pensée peut souvent être énoncé de différentes manieres : mais chacune de ces manieres doit être conforme à l’analogie de la langue.

849. (1929) Les livres du Temps. Deuxième série pp. 2-509

Pourtant, son fatalisme ethnique est bien sa pensée maîtresse. […] Le présent volume ne marque point une étape nouvelle de sa pensée. […] « Levez-vous, vents de ma pensée, qui dissiperez cette cendre !  […] Tout ce qui n’est pas pensée est le pur néant ; puisque nous ne pouvons penser que par la pensée et que tous les mots dont nous disposons pour parler des choses ne peuvent exprimer que des pensées, dire qu’il y a autre chose que la pensée, c’est donc une affirmation qui ne peut avoir de sens… La pensée n’est qu’un éclair au milieu d’une longue nuit. […] Raymond de La Tailhède, héritier de la pensée de Moréas, n’est plus un adolescent.

850. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — T — Tastu, Amable (1798-1885) »

Mme Desbordes-Valmore Je vous ai dit ma pensée sur Madame Tastu ; je l’aime d’une estime profonde. […] Sainte-Beuve Il y a dans la manière de Madame Tastu la nuance d’animation ménagée ; la blanche pâleur, si tendre et si vivante, où le vers est, pour la pensée, comme le voile de Saphoronie, sans trop la couvrir et sans trop la montrer ; la grâce modeste qui s’efface pudiquement d’elle-même, et enfin cette gloire discrète, tempérée de mystère qui est, à mon sens, la plus belle pour une femme-poète.

851. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Le Chevalier de Méré ou De l’honnête homme au dix-septième siècle. »

(du maréchal de Clérembaut et du chevalier de Méré) avait paru en 1669, l’année même des Pensées de Pascal. […] N’était-ce pas, en effet, un homme de beaucoup d’esprit que celui dont on rencontre de telles pensées à chaque page ? […] Pétrone, livre charmant et terrible par tout ce qu’il soulève de pensées et de doutes dans une âme saine ! […] Et puis, en relisant tout ceci, une pensée dernière me vient, qui remet chacun à sa place. […] On retrouve tout à fait ici cette pensée de derrière dont a parlé Pascal.

852. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. FAURIEL. —  première partie  » pp. 126-268

Il avait une teinte de pensée douce et triste tout à la fois, qui se gravait au cœur de l’amitié au lieu de s’effacer. […] A partir de 1815, disions-nous, c’est la pensée historique qui domine dans l’esprit de Fauriel ; il y eut pourtant à cette pensée quelques hors-d’œuvre, il y eut plus d’une diversion, et, comme on dit, plus d’une parenthèse. […] En effet, les premières pensées étant une fois trouvées, la nécessité de la rime, quand on se l’impose, suggère une quantité d’autres pensées de détail, et surtout une foule de ces menues images qui sont réputées les élégances d’une composition, et qui achèvent même la pensée principale quand elles n’en détournent pas. […] Rarement je sortais de nos longs entretiens sans que ma pensée eût fait un pas, sans qu’elle eût gagné quelque chose en netteté ou en décision. […] Sa pensée vivra, et rien du moins n’en sera perdu.

/ 3271