Aux trois compagnons s’était joint William-Michaël Rossetti, le frère de Dante-Gabriel, qui songea un moment à étudier la peinture, et y renonça pour se vouer tout entier à la poésie et à la critique. […] Je crois que la plupart des peintures dont vous parlez sont plutôt des peintures d’histoire naturelle de la partie animale de l’homme. […] Ruskin et les peintures et les poèmes des préraphaélites sont des manifestations parallèles et différentes, qui ont agi sur le goût public dans le même sens, mais non par les mêmes mobiles ni de la même façon. […] Rossetti a ce trait commun avec les grands peintres de la Renaissance italienne, qu’il s’attache plus à la peinture de l’homme qu’à celle de la nature. […] Jamais on n’y avait connu la peinture qu’on nomme classique.
Si la pécheresse, au bord de la tombe, demande sa consolation et sa force au plus mystérieux sacrement de la religion catholique, la peinture de cette scène a juste autant de valeur dans l’ensemble du roman que la description d’une casquette ridicule sur la tête d’un collégien de province. […] Flaubert avait bien le droit de placer la peinture des passions humaines au milieu des horreurs d’une guerre sauvage ; mais non, une autre pensée l’occupait : au lieu d’accepter le large cadre de Polybe pour y déployer son roman, il n’inventait son roman que pour corriger l’œuvre de Polybe — je dis pour la corriger et la refaire. […] Quelles émotions, quelles peintures vivantes M. […] Le festin des mercenaires est une large peinture, pleine de mouvement et de vie. […] Ce n’est pas l’emphase, ce ne sont pas les descriptions fatigantes, inexactes, impossibles, qui forment le défaut capital de ce laborieux récit : la grande faute que la critique doit reprocher sans ménagement à l’auteur de Salammbô, c’est l’inhumanité de ses peintures.
Si donc on veut de cette femme un ensemble, si on la tire du demi-jour des mémoires et du profil fuyant qu’elle y découpe, c’est apparemment dans un intérêt, sinon d’histoire, au moins d’imagination et de nature humaine ; c’est pour lui faire tomber la lumière d’aplomb et de face sur la tête et sur le visage, et il faut alors que le peintre crée, par sa peinture, l’intérêt que son modèle n’a pas ! […] Disons mieux, ce n’est plus même une peinture, c’est un signalement. […] Cousin, qui accuse presque le cardinal de cruauté, ne vit pourtant que sur sa peinture. […] Il fallait, puisqu’on l’osait, — puisqu’on ne laissait pas dans leur oubli et dans leur tombe les cadavres qui sentent mauvais, — boire fièrement et courageusement toute honte, être spirituel, mordant, de bonne humeur, chaud de peinture et écrire à la cardinal de Retz l’histoire plus détaillée que la sienne de cette Amazone de l’intrigue qui s’affuble de la casaque d’un mousquetaire non pour charger, mais pour s’enfuir, et qui dit (mais pour l’héroïque M. […] « Posons la plume, dit-il, et mettons fin à ces peintures d’une société à jamais évanouie et de femmes que l’œil des hommes ne reverra plus.
Pour l’écrire, il est nécessaire qu’ils aient ce don de l’œil dont beaucoup d’écrivains anciens, et des plus grands, se sont passés, et il est vrai de dire que jamais, au cours de l’histoire, la littérature et la peinture n’ont été si voisines. […] Mettez en regard cette figure d’homme, assez sombre également, évoquée par un contemporain, d’après une ancienne peinture : « Le voici encore devant moi, toujours le même et toujours nouveau. […] Elle ne consiste pas à admirer, en homme du monde et pour des hommes du monde, la peinture des maîtres flamands ou hollandais, ce qui est un exercice littéraire, et le mode en général adopté ; elle n’a pas pour but premier de faire voir le tableau à ceux qui ne l’ont pas vu, ou de le rappeler aux autres : elle va bien plus avant, elle explique le milieu où chaque maître a vécu, les influences qui l’ont formé, la qualité de son œil, l’idéal poursuivi, le procédé, le métier dont chacun a usé. […] Et si le temps ne me faisait défaut, je voudrais développer devant vous notamment, cette thèse non pas neuve, mais peu familière à beaucoup d’esprits et qui est celle de Fromentin, à savoir que la peinture n’exprime pas nécessairement une idée, qu’elle peut n’avoir « rien de pathétique, d’émouvant, surtout de littéraire », et cependant nous charmer et remplir son but, ou l’un de ses buts, qui est de réjouir l’âme humaine, par la simple beauté des couleurs et des lignes. […] La justification de la peinture d’imagination, l’affranchissement du peintre qui peut se dégager du modèle, et qui n’est pas esclave de la nature, mais son maître, tout est là… ou du moins beaucoup de choses… Mais il faut que je vous quitte, Fromentin, maître !
Quoi qu’il en soit, venons aux Romans proprement dits, à ceux qui, dans une narration plus ou moins longue, embrassent la peinture des passions & des foiblesses humaines, développent les replis du cœur, épient ses moindres mouvements, deviennent la peinture des pensées encore plus que celle des actions, & rapprochent beaucoup mieux que l’histoire même le héros de son lecteur. […] Ce sont de ces peintures qui tiennent leur place dans les cabinets, mais qu’on a soin de couvrir d’un rideau. […] Telles sont les Lettres d’Osman, le Palais du Silence, &c ; peintures fines & enjouées d’une foule de travers, qu’il est plus facile de bien peindre que de corriger. […] La peinture des passions est séduisante ; mais parcequ’une femme a des attraits, lui sera-t-il défendu de se faire peindre ? […] l’histoire est souvent obligée de retracer la peinture des passions & même des plus grands désordres.
Ce sont des merveilles de peinture que leurs livres sur le xviiie siècle, dans lesquels ils rappellent si bien, littérairement, les peintres de cette époque, dont ils fondent la couleur et la manière dans une couleur et une manière à eux. […] Mais le pinceau qui a peint tout cela est idolâtre et sa peinture est une flatterie. […] Il y a des choses, il est vrai, dans cette Correspondance, qu’il est impossible même à MM. de Goncourt de ne pas voir… En leur qualité de peintres, d’ailleurs, et de peintres recherchant des effets de peinture, ils ont peut-être trouvé frappant et pathétique de montrer les vices et la misère, fille de ces vices, chez la plus brillante et la plus spirituelle courtisane du xviiie siècle, morte de misère après l’éclat et les bonheurs du talent et de la fortune, le triomphe, l’enivrement, toutes les gloires sataniques de la vie, et de faire de tout cela un foudroyant contraste, une magnifique antithèse… Mais s’ils ont montré — hardiment pour eux — la fameuse Sophie Arnould, qui naturellement devait tenter la sensualité de leur pinceau, dégradée de cœur, de mœurs, de fierté, de talent et de beauté, au déclin cruel de la vie, ils n’ont pas osé aller jusqu’à la vérité tout entière.
Elle ressemble en cela à la peinture même de son temps, qui est plutôt une peinture de genre que d’histoire, ce qui ne veut pas dire du tout qu’elle soit à mépriser. Mais, avec David, il se fit une réaction en peinture, un retour au style proprement dit, un effort vers Rome et vers une Grèce de convention. […] La dernière exposition de l’Académie de peinture en 1791 avait offert les trois grandes productions classiques de David, les Horaces, Brutus, et la Mort de Socrate, avec le dessin du Serment du Jeu de Paume. […] Après cette peinture un peu embellie de sa vie, elle ajoute, revenant à son cher objet, à cette autre existence qui l’occupe : « Mais, sais-tu que tu me parles bien légèrement du sacrifice de la tienne, et que tu sembles l’avoir résolu fort indépendamment de moi ?
La peinture du monde clérical, dans le Lutrin, manque de profondeur psychologique : mais trouvez au xviie siècle une représentation de mœurs ecclésiastiques plus exacte et plus vivante. […] Il y a vraiment dans Boileau un Hollandais, dont la plume excelle à faire des magots comme ceux qui en peinture déplaisaient tant au grand roi. […] Seul il représente le réalisme pittoresque, qui ne mêle aucun élément sensible ni moral dans ses peintures. […] Comme honnête homme, il est sincère ; comme artiste, sa peinture manque de conviction ; c’est terne, triste et sans accent. […] D’autres fois, le poète ne peut se tenir d’ajouter un trait plaisant à l’image qu’il évoque : c’est comme une intention littéraire en peinture, et cette voix qui veut nous amuser, nous distrait de la contemplation de l’objet qui d’abord avait été seul mis devant nos yeux.
Tout est bien imaginé, bien ordonné, les figures bien placées, les objets bien distribués, les effets de lumière tout prêts à se produire ; mais point de peinture, point de magie ; il faut que l’artiste soit faible ou paresseux, et qu’il lui soit pénible de finir. […] Il y a tel genre de littérature et tel genre de peinture où la couleur fait le principal mérite. […] Aussi cette tête est-elle vraiment celle qu’un habile sculpteur se serait félicité d’avoir donnée à un Hésiode, à un Orphée qui descendrait des monts de Thrace la lyre à la main, à un Apollon réfugié chez Admète ; car je persiste toujours à croire qu’il faut à la sculpture quelque chose de plus un, de plus pur, de plus rare, de plus original qu’à la peinture. […] Si nos peintres et nos sculpteurs étaient forcés désormais de puiser leurs sujets dans l’histoire de France moderne, je dis moderne, car les premiers francs avaient conservé dans leur manière de se vêtir quelque chose de la simplicité du vêtement antique, la peinture et la sculpture s’en iraient bientôt en décadence. […] Je vous le répète, il ne faudrait qu’assujettir la peinture et la sculpture à notre costume pour perdre ces deux arts si agréables, si intéressans, si utiles même à plusieurs égards, surtout si on ne les emploie pas à tenir constamment sous les yeux des peuples ou des actions déshonnêtes ou des atrocités de fanatisme, qui ne peuvent servir qu’à corrompre les mœurs ou à embéguiner les hommes, à les empoisonner des plus dangereux préjugés.