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312. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Nouvelles lettres de Madame, mère du Régent, traduites par M. G. Brunet. — II. (Fin.) » pp. 62-79

L’un de ces voyageurs, et qui était plus homme d’esprit qu’autre chose, nous l’a très bien peinte dans ces dernières années de sa vie ; on a par lui cet intérieur au naturel : Cette princesse, dit le baron de Poellnitz, était très affable, accordant cependant assez difficilement sa protection. […] Le Régent n’a jamais été mieux peint que par sa mère ; elle nous le montre avec toutes ses facilités, ses curiosités en tous sens, ses talents, son génie propre, ses grâces, son indulgence pour tous, même pour ses ennemis ; elle dénonce ce seul défaut capital qui l’a perdu, cette débauche ardente et à heure fixe, où il s’abîmait et disparaissait tous les soirs jusqu’au matin : Tout conseil, toute remontrance à cet égard sont inutiles, disait-elle ; quand on lui parle, il répond : « Depuis six heures du matin jusqu’à la nuit, je suis assujetti à un travail prolongé et fatigant ; si je ne m’amusais pas un peu ensuite, je ne pourrais y tenir, je mourrais de mélancolie. » — Je prie Dieu bien sincèrement pour sa conversion, ajoute-t-elle ; il n’a pas d’autres défauts que ceux-là, mais ils sont grands. […] Là même où elle ne s’enflammait pas, il y avait des détails qui la faisaient sourire de pitié : « Il n’est que trop vrai que des femmes se font peindre des veines bleues, afin de faire croire qu’elles ont la peau si fine qu’on distingue leurs veines à travers. » Elle n’avait de consolation que dans sa fille la duchesse de Lorraine, qu’elle avait élevée selon son cœur et mariée un peu à l’allemande. […] ce sont les manières du temps. » — Le duc de Richelieu, ce jeune fat qui tournait alors toutes les têtes et que des gens d’esprit aux abois ont cherché de notre temps à remettre à la mode dans le roman et au théâtre, est pour Madame l’objet d’une aversion singulière : il est peint par elle de main de maître (notamment pages 203, 221), parfaitement méprisable, avec ses charmes équivoques et légers, son vernis de politesse et tous ses vices.

313. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Les Caractères de La Bruyère. Par M. Adrien Destailleur. »

Ce n’est pas ici le lieu de la peindre. […] M. le Duc, l’élève de La Bruyère, est peint par Saint-Simon avec des airs terribles, et par M. de Lassay sous un aspect tout simplement méprisable. […] Mais les quatre chapitres qui suivent vont nous peindre successivement les mœurs des principales classes de la société, des gens de finance et de fortune, des gens de la Ville, des gens de la Cour, des Grands proprement dits et princes du sang, héros ou demi-dieux : le tout se couronnera par un chapitre, du Souverain ou de la République, avec le buste ou la statue de Louis XIV tout au bout en perspective. […] Après avoir peint dans toutes les conditions, et depuis les plus sordides jusqu’aux plus hautes, les mœurs de son temps, l’auteur en vient donc à considérer l’humanité en général ; on voit la gradation.

314. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Salammbô par M. Gustave Flaubert. Suite et fin. » pp. 73-95

Il y a loin de là à ce siège en règle, monumental, classique, à ce siège modèle qu’a imaginé l’auteur de Salammbô, afin de se donner l’occasion d’énumérer toutes les machines de guerre, tous les instruments de balistique de l’ancien corps du génie, et de nous peindre l’effroi des Carthaginois « quand ils aperçurent, venant droit vers eux, comme des monstres et comme des édifices, avec leurs mâts, leurs bras, leurs cordages, leurs articulations, leurs chapiteaux et leurs carapaces, les machines de siège qu’envoyaient les villes tyriennes : soixante carrobalistes, quatre-vingts onagres, trente scorpions, cinquante tollénones, douze béliers, etc. » Évidemment l’auteur s’amuse. […] Si vous voulez nous attacher, peignez-nous nos semblables ou nos analogues ; cherchez bien, et vous en trouverez, même là-bas. […] L’acharnement à peindre des horreurs mérite aussi d’être relevée. […] Peignez-le, ce vrai, tel quel, au vif et même crûment ; mais ce qu’on a le droit de désirer, c’est que vous n’alliez pas choisir exprès le pire et le préférer à tout.

315. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre II. Distinction des principaux courants (1535-1550) — Chapitre I. François Rabelais »

Toute l’animalité s’y peint, dans ses fonctions les plus grossières, comme on y trouve les plus pures opérations de la vie intellectuelle. […] Ses figures, nettement arrêtées en leurs contours, ont un vigoureux relief : il a une manière de peindre, grasse et comme substantielle ; ce ne sont pas les touches d’un homme qui croirait peindre les fluides apparences de l’universelle illusion. […] Donc, peignant la vie, il peindra l’action, et les objets l’intéresseront à proportion qu’il y trouvera plus d’effort, plus de « vouloir être », plus d’action.

316. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre IV. Le roman »

La grande affaire de Lesage est de peindre les mœurs : son roman est une galerie de tableaux, souvent charmants et vrais. […] Marivaux, qui n’aime pas les dévots, démonte leurs manèges d’une main impitoyable : tout le patelinage de M. de Climal, ses ruses pour venir à bout de Marianne, ses précautions pour assurer et son honneur et sa conscience, tout cela est peint de main de maître. […] Autour du couple, mettons les convoitises des hommes qui ont de l’argent, la cupidité brutale d’un soldat ivrogne, joueur, escroc, frère de Manon, qui s’en fait l’exploiteur : nous aurons ce roman réel plutôt que réaliste, pathétique sans déclamation, expressif sans dessein pittoresque, et qui, malgré le sujet, malgré les héros, malgré les milieux, reste chaste ; l’auteur n’a eu aucune pensée brutale ou polissonne : il n’a vu que la puissance de la passion qu’il voulait peindre. […] L’Orient, Turquie, Perse, Inde, Chine, deviendra de plus en plus à la mode ; et nombre d’écrivains y placeront leur action romanesque, on y trouve un double avantage : les mœurs orientales donnent toute liberté à l’imagination grivoise ; de plus, on est dispensé de peindre les mœurs avec exactitude.

317. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXVI » pp. 413-441

Vous n’en retrouverez rien dans La Bruyère, qui, plus varié que Molière, a écrit sur tous les tons et peint toutes sortes de caractères. Sans doute on ne peut pas plus comparer La Bruyère à Molière qu’on ne compare le talent de peindre les caractères à celui de les faire agir et de faire sortir leurs traits de la situation où l’art sait les placer ; mais, supérieur à Molière par l’étendue, la profondeur, la diversité, la sagacité, la moralité de ses observations, il est son émule dans l’art d’écrire et de décrire, et son talent de peindre est si parfait, qu’il n’a pas besoin de comédiens pour vous imprimer dans l’esprit la figure et le mouvement de ses personnages. […] et comme elle peignait la tendresse !

318. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Éloges académiques de M. Pariset, publiés par M. Dubois (d’Amiens). (2 vol. — 1850.) » pp. 392-411

Que ceux qui connaissent les charmes de l’amitié se peignent le réveil de Gessner, sa surprise, et leurs embrassements ; que l’on se représente enfin, au milieu d’un désert, cette scène touchante et si digne d’avoir des admirateurs ! […] Elles me peignent bien la diversité de cet esprit mobile, qui se croit revenu de tout, et qui porte encore en lui toutes les illusions. […] On y a peut-être fait jouer d’autres ressorts autrefois, il y a bien longtemps ; mais les peuples modernes seront plus longtemps encore comme il les a peints. […] De loin, sur les épaules des infirmiers qui les apportaient à l’amphithéâtre, ils montraient le squallentem barbam et le concretos sanguine crines de Virgile ; mais ce qu’on ne saurait peindre, ce sont ces visages gonflés comme après la strangulation… Et il continue de décrire les deux cadavres en style poétique.

319. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur Droz. » pp. 165-184

Il s’était marié dès novembre 1794, à l’âge de vingt et un ans, à une jeune personne « dont les qualités aimables se peignaient sur sa figure charmante ». […] Droz a prêté à Montaigne, quoique ce soit beaucoup peut-être de dire que « la candeur et la rêverie se peignaient sur son front » ; mais, en lisant Montaigne, M.  […] Droz s’accuse plus fermement ici qu’elle n’avait accoutumé de faire jusqu’alors ; elle atteint parfois à l’énergie : « On croyait, dit-il de Mme de Pompadour, que cette femme, en perdant ses charmes, perdrait aussi la puissance ; mais Mme de Pompadour vieillie était encore nécessaire à Louis XV : elle le dispensait de régner. » Le chancelier Maupeou est peint dans un portrait vigoureux et spirituel. […] Les Pensées sur le christianisme et les Aveux d’un philosophe chrétien, qu’il publia successivement, attestent la hauteur, l’étendue et l’ardeur paisible de sa sérénité suprême, et nous peignent le jour céleste de ses horizons.

320. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Regnard. » pp. 1-19

Il y montrait la jeunesse du temps telle qu’il l’a peinte d’ailleurs en maint endroit de ses comédies, les hommes brutaux, peu complaisants, avares, négligés, débauchés, ivrognes et joueurs. […] est resté proverbial, et dans bien d’autres portraits qu’il introduit incidemment, Regnard a peint les anoblis, les enrichis, les fats de toutes sortes qui vont être bientôt le monde de la Régence. […] Regnard, qui ne devait pas assister à ce débordement et qui mourut avant Louis XIV, voyait au naturel et peignait avec saillie ces générations affectées et grossières, dont nous trouvons également le portrait en vingt endroits des lettres de Mme de Maintenon. […] Il y a longtemps que La Harpe avait parlé du Légataire comme « d’une pièce charmante, où tous les inconvénients possibles du célibat sont peints vivement, et où l’auteur n’a rien oublié, si ce n’est peut-être de résumer d’une manière précise et directe, en dix ou douze vers, la morale de son ouvrage ».

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