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277. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Ernest Renan »

je ne sais, mais il y habite un Dieu). » Il lui est échappé un jour, dans un article sur Feuerbach, de se prononcer sur le sens du mot Dieu, et il l’a fait cette fois d’une manière un peu légère et du ton un peu trop protecteur d’un raffiné en matière de philosophie : il est revenu depuis sur la chose et sur le mot ; il a rétracté, c’est-à-dire retouché sa première parole. […] Pour moi (et j’ai le droit, ayant souffert, à mon heure et vu ma faible voix étouffée, d’avoir un avis sur ces questions de la parole publique), il me semble que devant des générations vraiment libérales dans le sens le plus large et le plus civilisé, devant une jeunesse en qui le sentiment religieux, sincère ne serait pas redevenu un fanatisme, il ne devrait y avoir nulle difficulté après réflexion, et que le malentendu entre M.  […] Et ce serait, au nom des doctrines qui ont leur racine dans la parole de vie prêchée en tous lieux, qu’un examen, non des doctrines mêmes, mais des monuments et des textes, ne pourrait être scientifiquement entrepris et traité par la parole ! […] Mais on écoute sur tous les bancs, on se tait avec avidité, on admire même la finesse de pensée et de parole qui, pour la première fois, s’applique dans une telle méthode à ces graves et difficiles questions.

278. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Anthologie grecque traduite pour la première fois en français, et de la question des anciens et des modernes, (suite et fin.) »

Mauvais goût, faux jugements, faux sens pour justifier leurs préférences, c’est un système entier d’erreurs et de chimères où l’on se précipite tète baissée, et tout cela pour ne pas démordre d’une estime conçue et nourrie sur la parole d’autrui, avant que nous ayons pu nous-mêmes étudier et apprécier ces œuvres si vantées. » Ah ! […] Mais il insista pour que je demeurasse, disant que cela ne servirait en rien à prolonger sa vie que de négliger un devoir. » Et à l’instant, lord Granville se mit à réciter en grec les vers d’Homère, ces mêmes paroles généreuses de Sarpédon à Glaucus, ayant soin d’élever la voix et d’appuyer avec une certaine emphase orgueilleuse sur ce vers qui lui rappelait la haute part qu’il avait prise aux affaires publiques : « Tu ne me verrais point combattre moi-même comme je le fais, au premier rang. […] Puis, après une pause sérieuse de quelques minutes, il se fit lire le Traité qu’il écouta d’un bouta l’autre avec uns grande attention, et il reprit assez de force pour avoir la satisfaction suprême de donner « l’approbation d’un homme d’État mourant (ce furent ses propres paroles) à la plus glorieuse guerre et à la plus honorable paix que la nation eût jamais vue. » Et c’est ainsi que se révèle dans un noble exemple le commerce familier que l’aristocratie anglaise au dernier siècle n’avait cessé d’entretenir avec l’Antiquité grecque, et aussi la générosité vivifiante de sentiments et de pensées dont Homère est la source. […] Léo Joubert16, dont la parole érudite, exacte, agréable, n’a pas encore acquis, par le trop de modestie de l’auteur, toute l’autorité, ce semble, qu’elle devrait avoir. […] En tenant continuellement les regards élevés, nos esprits eux-mêmes s’élèvent ; et tout ainsi qu’un homme, en s’abandonnant aux habitudes de dédain et de mépris pour les autres, est sûr de descendre au niveau de ce qu’il méprise, ainsi les habitudes opposées d’admiration et de respect enthousiaste pour le beau nous communiquent à nous-mêmes une partie des qualités que nous admirons ; et ici, comme en toute autre chose, l’humilité est la voie la plus sûre à l’élévation20. » Entendez ces belles paroles du docteur Arnold comme elles le méritent, et dans le sens où elles sont dites en effet, — avec religion, non avec idolâtrie.

279. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « LEOPARDI. » pp. 363-422

on n’a pas assez fait attention à ce petit volume ; comme style, on n’a peut-être rien écrit de mieux dans la prose italienne de nos jours. » La candeur de l’illustre auteur des Promessi Sposi se reconnaît en cette parole. […] Leopardi discute donc, avec une curiosité aussi ingénieuse que pénétrante, le sens et la valeur de ces paroles, alors si étranges, de deux sages. […] Je ne sais plus me plaindre, mes chers amis ; la conscience que j’ai de la grandeur de mon infortune ne comporte pas l’usage des paroles. […] Les paroles de Brutus ne sont qu’une citation qu’il faisait d’un ancien tragique inconnu : ce sont deux vers, alors célèbres, qu’il appliquait à sa situation. […] Il y a beaucoup d’obscurité, au reste, et même d’incohérence dans les paroles de Théophraste, telles que les donne le texte de Diogène de Laërte.

280. (1858) Cours familier de littérature. V « XXIXe entretien. La musique de Mozart » pp. 281-360

La musique est, de tous ces arts, celui qui se rapproche le plus de la parole ; elle l’égale souvent et parfois même elle la dépasse ; car la musique exprime surtout l’inexprimable. […] Nous ne savons le comment de rien ; nous ne savons pas plus comment la note contient en soi l’impression que nous ne savons comment la parole contient la pensée. Nous savons seulement que la parole nous fait penser et que la musique nous fait sentir. […] La parole est la langue des hommes, les sons musicaux sont la parole de la nature. […] Ils s’étudièrent, avant même que l’enfant pût parler, à cultiver son oreille plus encore que sa parole.

281. (1860) Cours familier de littérature. X « LIXe entretien. La littérature diplomatique. Le prince de Talleyrand. — État actuel de l’Europe » pp. 289-399

La grande parole y régnait alors. […] Sa parole n’entrouvrait que par quelques éclairs rares et courts l’horizon voilé de son esprit. […] M. de Talleyrand, aussi organisateur et aussi monarchique que son maître, avait pris dans l’Assemblée le rôle de la pensée, le rapport, au lieu du rôle de la parole, l’improvisation. […] Plus il s’ouvrait, plus il laissait entrevoir de ressources d’esprit sous la grâce nonchalante et grave des paroles ; l’intimité en lui était irrésistible. […] C’était l’œuvre des orateurs et des tribuns, des hommes de caractère et de paroles.

282. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins » pp. 185-304

À un proverbe, point de réplique ; on dirait qu’un dieu a parlé là ; en un mot, on incline la tête, on accepte sur parole et on se tait. […] Le génie de l’homme d’État manquait, selon mes idées politiques, à cette parole. […] Je ne voulais pas surtout neutraliser ma pensée ou ma parole dans ce rôle neutre qui fait de l’homme un mécanisme impartial de discussion. […] Après avoir attendu quelque temps que je prisse à mon tour la parole, et voyant que je continuais à me taire, M.  […] Molé, firent un signe d’assentiment aux paroles de M. de Montalivet et parurent prêts à se ranger avec lui du côté de ma politique.

283. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1893 » pp. 97-181

Et l’on ne peut s’imaginer la musique harmonieuse de ses paroles, comme soupirées, et l’élégance de ce vieux corps, se remuant avec les mouvements las d’une coquette malade. […] Maintenant chez cette femme, c’est dans une animation enfiévrée du corps, une vivacité de paroles tout à fait amusante. […] Elle ne miaulait pas, mais c’étaient des contractions colères de la gueule, comme si, elle en voulait faire sortir de la parole. […] Et se succèdent dans la bouche de Sarah, des paroles qui ont l’air d’affirmer le désir de la jouer, et même une phrase, où il est question de me mettre en rapport avec le directeur, mais au fond de ce bout de conversation, il n’y a pas une parole décisive. […] C’est chez elle une parole juste, sensée, technique, une parole coupée par des temps, et comme sortant du somnambulisme d’un être.

284. (1904) Essai sur le symbolisme pp. -

Alors comme de la source me paraîtraient couler naturellement les actions, les gestes, les paroles. […] Chaque parole tue la voix intérieure, fige la vie en des attitudes conventionnelles. […] C’est peut-être en ce sens qu’il faut entendre la parole d’Hello : « la pensée c’est l’explosion de la personne ». […] En somme, je ne fais que commenter la parole célèbre, qu’on « ne saurait sortir de la nature que par des moyens qui sont eux-mêmes de la nature ». […] « Notre poésie est un symbole, et c’est ce que doit être toute vraie poésie, car la parole de Dieu, lorsqu’elle se transforme en la parole de l’homme, doit se rendre accessible à nos sens, à nos facultés, s’incarner en nous, devenir nous-mêmes.

285. (1895) La science et la religion. Réponse à quelques objections

Qui donc a prononcé cette parole imprudente « que la science ne valait qu’autant qu’elle peut rechercher ce que la religion prétend enseigner » ? […] Ces paroles sont assez claires ! […] Charles Richet, qui n’avait pas pris la peine de lire Bossuet avant de me l’opposer, ne s’est pas non plus, dans son impatience de me répondre, donné la peine de mesurer la portée de ses paroles. […] C’est pourquoi je ne comprends rien aux paroles déclamatoires par lesquelles, dans la Justice, m’a répondu naguère le docteur Clémenceau. […] Mais avant d’être protestante, je suis chrétienne ou du moins je m’efforce de l’être, et comme chrétienne je suis heureuse d’entendre une parole… défendre les droits de la vérité religieuse.

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