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803. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Mémoires du duc de Luynes sur la Cour de Louis XV, publiés par MM. L. Dussieux et E. Soulié. » pp. 369-384

Ces sortes de journaux qui, à quelques années de distance, deviennent nécessaires aux contemporains eux-mêmes, s’ils veulent apporter de l’ordre et de la précision dans leurs souvenirs, augmentent de prix, au bout d’un siècle, pour la postérité qui y apprend quantité de choses qu’on ne sait plus, et que presque personne n’a songé à écrire. […] Le roi le remarqua et eut curiosité de savoir qui il était ; il donna ordre au maréchal de Tessé de questionner cet homme. […] Chauvelin, il disait : « Il s’ennuyait de ce que je vivais trop longtemps ; c’est un défaut dont je n’ai pas envie de me corriger si tôt. » Rencontrant dans un de ses salons, au milieu de trente personnes, M. de Bissy, dont on lui avait apparemment rapporté quelque propos, il va droit à lui, et le regardant en face : « Monsieur, vous voyez que je me porte bien ; cependant je ne mets point de rouge pour me donner un bon visage. » M. de Puységur, qui avait quatre-vingt-quatre ans77, demandait depuis longtemps d’être chevalier de l’Ordre, et il pressait là-dessus le cardinal, qui lui répondit tout naturellement : « Monsieur, il faut un peu attendre. » L’archevêque de Paris, M. de Vintimille, fort âgé, mais un peu moins que le cardinal, sollicitait un régiment pour son neveu, et faisait remarquer au cardinal qu’il importait de l’obtenir promptement, d’autant plus que, quand lui, oncle, ne serait plus là, ce serait pour le jeune homme un grand appui de moins : « Soyez tranquille, répondait le cardinal, je m’engage à lui servir de père et de protecteur. » Sur quoi M. de Vintimille, malgré toute sa politesse, ne put s’empêcher d’éclater : « Pour moi, monseigneur, je sens bien que je suis mortel, mais je me recommande à Votre Immortalité. » Jamais on n’a mieux compris qu’en lisant les présents mémoires cette lente et coriace ténacité, ce doux et câlin acharnement au pouvoir qui caractérise l’ancien précepteur de Louis XV.

804. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Le général Joubert. Extraits de sa correspondance inédite. — Étude sur sa vie, par M. Edmond Chevrier. — I » pp. 146-160

) Je regardais comme un honneur, après avoir été bien noté du général Schérer, de me trouver encore du nombre de ceux que l’intrigue avait écartés ; j’étais fier de ma réforme, et il n’a rien moins fallu que les ordres de Kellermann pour me faire demeurer ; car, après la retraite, j’allais prendre le même chemin que toi sans plus de façon, et le diable s’en est mêlé pour me faire demeurer : enfin, on m’a envoyé une nomination, et je suis encore attaché à la chaîne. […] Tandis que la Convention triomphait (en vendémiaire), on y parlait de nous ; je commandais, en effet, sous les ordres du général Miollis, la colonne qui brûlait le camp austro-sarde. […] J’ai sous mes ordres le brave Dumas, qui a commandé en chef cinq armées ; je lui ai confié mon aile droite, et nous sommes intimes.

805. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Le général Joubert. Extraits de sa correspondance inédite. — Étude sur sa vie, par M. Edmond Chevrier. — III » pp. 174-189

Destitué lui-même par le Directoire peu après le rappel de Brune, et remplacé par Rivaud qui lui apportait l’ordre de sortir de l’Italie : Je n’en tins aucun compte, dit-il, persuadé que le Directoire n’avait pas le droit de m’empêcher de vivre en simple particulier à Milan. […] Enfin, sur le soir, il parut décidé à la retraite ; il dit à ses généraux qu’ils pouvaient se rendre près de leurs troupes, et que d’ici à une heure ou deux il leur expédierait les ordres pour commencer le mouvement : mais ceux-ci avaient été trop longtemps témoins de cette funeste hésitation pour se persuader que le général en chef persisterait dans le parti qu’il semblait décidé à prendre ; ils se rendirent près de leurs troupes et s’occupèrent plus de dispositions de défense que de retraite. Dans une visite qu’il revint faire dans la soirée au général en chef, Saint-Cyr le retrouva le même, sans plan arrêté, et la nuit ne changea rien à son irrésolution : il ne donna point d’ordres.

806. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français (suite et fin.) »

On en est aux superfluités ; Madeleine passe en revue ses goûts variés et donne ses ordres. […] La Madeleine du Mystère ne recherche l’entière perdition que dans l’ordre de l’esprit ou des sens délicats. […] C’est l’ordre de charité auquel était fermé l’antique Olympe.

807. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte. »

Il était temps : le maître de Cervantes, le Dey remplacé à Alger par ordre du Grand Seigneur, repartait pour Constantinople et emmenait avec lui son captif, déjà à bord et enchaîné. […] Durant dix ans au moins (1588-1598) Séville fut sa principale résidence ; il y éprouva sur la fin une désagréable affaire quand il se vit emprisonné par ordre du gouvernement pour quelque irrégularité dans l’exercice de son emploi et dans le versement de la recette. […] C’est par ces faits de l’ordre commun et de l’habitude de la vie relevés à deux ou trois siècles de distance, qu’on peut bien mesurer de combien la civilisation a marché et à quel point le climat social s’est partout adouci.

808. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Souvenirs d’un diplomate. La Pologne (1811-1813), par le baron Bignon. »

Bignon, en étant envoyé au poste de Varsovie, devenait, comme on le lui dit en partant, « la sentinelle avancée de l’Empire. » Sa mission essentielle était toute en ce sens d’observation, et c’est ainsi qu’il la comprit et qu’il la remplit : « J’étais arrivé, dit-il, avec des instructions écrites qui portaient principalement sur des questions d’ordre civil, comme la liquidation des créances respectives du duché et de la France, et une désignation de domaines pour en composer la valeur que l’Empereur s’était réservée lors des cessions autrichiennes. […] Pendant la guerre de Prusse (1806) dans laquelle l’Électeur de Saxe avait commis la faute de se laisser entraîner malgré les avis certains transmis par M. de Senfft, celui-ci se conduisit jusqu’au bout avec tact et prudence ; il ne quitta point son poste, même après Iéna et en apprenant la défaite des armées dont le corps saxon faisait partie ; il attendit à Paris de nouveaux ordres, et on lui en sut gré dans sa Cour et ailleurs. […] Lui-même, avec les années, il avait changé, et devenu depuis 1815 diplomate au service de l’Autriche, conservateur du vieil ordre européen, il voyait les choses d’un tout autre point de vue que dans sa jeunesse. — Les détails, d’ailleurs, qu’il nous donne sur la réception de la députation polonaise par l’Empereur le 24 janvier 1808, sont piquants et d’une familiarité d’expression à laquelle je renvoie.

809. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Souvenirs d’un diplomate. La Pologne (1811-1813), par le baron Bignon. (Suite et fin.) »

. — Mêlant des idées mystiques et des pensées de l’ordre providentiel à ses observations d’homme politique, il voyait, l’année suivante (1812) et lors de la gigantesque expédition entreprise pour refouler la Russie, il voyait, disait-il, dans « cette réunion monstrueuse » de toutes les puissances de l’Europe entraînées malgré elles dans une sphère d’attraction irrésistible et marchant en contradiction avec leurs propres intérêts à une guerre où elles n’avaient rien tant à redouter que le triomphe, « un caractère d’immoralité et de superbe, qui semblait appeler cette puissance vengeresse nommée par les Grecs du nom de Némésis » et dont le spectre apparaît, par intervalles, dans l’histoire comme le ministre des « jugements divins. » Il lisait après l’événement, dans l’excès même des instruments et des forces déployées, une cause finale providentielle en vue d’un résultat désiré et prévu : car telle grandeur d’élévation, telle profondeur de ruine. […] Un tel homme d’État, s’inspirant de considérations de cet ordre, ne pouvait sympathiser, on le conçoit, avec M.  […] Bignon, d’espionner et de surveiller les démarches de la Russie, se rapporte précisément aux ordres qu’il avait reçus, et l’on s’en prenait à l’objet même de ses instructions, qui était d’éclairer son gouvernement sur les intrigues russes en Pologne aux approches d’une campagne.

810. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « La civilisation et la démocratie française. Deux conférences par M. Ch. Duveyrier »

La nature étudiée, attaquée par tous les points, poursuivie dans ses détails, embrassée dans ses ensembles, décrite, dépeinte, admirée, connue ; — ce qui reste de barbarie cerné de toutes parts ; — les antiques civilisations rendues de jour en jour plus intelligibles, plus accessibles ; — le contact des religions considérables amenant l’estime, l’explication et jusqu’à un certain point la justification du passé, et tendant à amortir, à neutraliser dorénavant les fanatismes ; — une tolérance vraie, non plus la tolérance qui supporte en méprisant et qui se contente de ne plus condamner au feu, mais celle qui se rend compte véritablement, qui ménage et qui respecte ; — au dedans, au sein de notre civilisation européenne et française, un adoucissement sensible dans les rapports des classes entre elles, un désarmement des méfiances et des colères ; un souci, une entente croissante des questions économiques et des intérêts, ou, ce qui revient au même, des droits de chacun ; le prolétaire en voie de s’affranchir par degrés et sans trop de secousse, la femme trouvant d’éloquents avocats pour sa faiblesse comme pour sa capacité et ses mérites divers ; les sentiments affectueux, généreux, se réfléchissant et se traduisant dans des essais d’art populaire ou dans des chants d’une musique universelle : — tous ces grands et bons résultats en partie obtenus, en partie entrevus, les transportent ; ils croient pouvoir tirer de cet ordre actuel ou prochain, de cette conquête pacifique future, un idéal qui, pour ne pas ressembler à l’ancien, n’en sera ni moins inspirant, ni moins fécond. […] Il a pénétré dans l’esprit et le cœur de ses auditeurs de tout ordre. […] Jullien, celui qu’on appelait Jullien de Paris, qui, jeune, s’était fait tristement connaître par son fanatisme révolutionnaire, et qui, vieux, tâchait de faire oublier ses anciens excès par son zèle honorable de fondateur de la Revue encyclopédique, avait à la bouche, à chaque phrase, le mot de civilisation : c’était devenu un tic chez ce petit vieillard si actif et toujours courant. — Le mot est naturel et habituel dans l’ordre d’idées et dans la langue de Condorcet, de Volney ; il revient nécessairement sous leur plume, comme le mot de Dieu sous celle des dévots, et il tend à le remplacer : il marque leur religion aussi.

811. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Les cinq derniers mois de la vie de Racine »

Cour par ordre ou du moins avec l’agrément du roi. » Cependant, dans une lettre que l’on connaît d’ailleurs et que Racine écrivait à son fils, alors à Versailles, il lui parlait de la tumeur qu’il avait toujours au côté : « Je n’en ressens presque aucune incommodité, lui disait-il. […] On publie les bans à trois fois selon l’ordre et selon l’inclination de si bons paroissiens de part et d’autre. […] Mais un autre abbé, l’abbé Testu, directeur de l’Académie, trouva à redire après coup à ce procédé et convoqua extraordinairement les Quarante pour se plaindre qu’on eût manqué à l’ordre établi en pareil cas, à savoir que, dans les solennités académiques, on ne lirait aucun ouvrage s’il n’était de quelqu’un de la Compagnie.

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