Les cheveux blanchis leur paraissent un symptôme de maturité : ils ont exprimé cette opinion dans un proverbe. […] Le sens de ce proverbe est celui-ci : celui qui change d’opinion a tort ; celui qui reçoit les leçons de la vie et qui en profite pour rectifier ou modifier sa pensée est un grand coupable. […] Je n’avais ni communauté d’opinions, ni aucun lien d’idées avec lui ; j’avais simplement du goût pour sa personne. […] J’entrai résolument dans la lice, j’y combattis corps à corps les deux habiles et éloquents ministres défectionnaires de la couronne ; la victoire me resta toujours, sinon dans le scrutin, du moins dans l’opinion. […] Étouffer mon opinion sous mon rôle, ce n’était pas ma nature.
Il s’est durci dans les opinions de sa jeunesse. […] Ces quatre biographies, qui ne peuvent pas être justes, avec les opinions de l’auteur, ne manquent ni d’intérêt ni même de piquant, non dans le fond des choses et des jugements, qui sont, excepté sur l’un d’eux (Béranger), de la plus profonde pauvreté, mais dans la manière dont elles sont touchées. […] La réalité du tempérament intellectuel des hommes dont Pelletan nous donne les biographies est, je le veux bien, dans son livre ; mais l’intelligence de leurs opinions, mais la réalité de leur caractère moral, n’y sont pas. […] Il a l’unité dans la vie, la pérennité dans les opinions. […] C’est qu’ici le tempérament de Pelletan a été plus fort que ses opinions de journaliste.
Quand on lit toute cette partie du livre de Cassagnac, on se trouve un peu étonné, quoique docile, en se voyant ramené à l’opinion de ces aristocrates qui les premiers écrivirent sur la Révolution française et qui l’appelèrent un déficit. […] Au contraire, à mes yeux du moins, ce jugement sur les hommes de la Révolution est le côté véritablement supérieur et profond de l’Histoire des Causes, et je demande qu’on me permette de déduire les raisons de cette opinion. […] Armé d’une intelligence hardie, logique, inflexible, qui sait conclure, quand il a trouvé une turpitude dans un caractère ou une sottise dans un esprit, Cassagnac ne se laisse jamais imposer par l’opinion reçue sur cet esprit et sur ce caractère. […] La vérité n’en doit pas moins être dite, pour des raisons supérieures, soit qu’elle blesse les partis toujours vivants, soit qu’elle contrarie les opinions faites ou même qu’elle paraisse trop piquante pour être admise. […] Désormais, je ne crains point de l’affirmer, tout écrivain qui se respecte — quelles que soient ses opinions, d’ailleurs, et l’idée fixe de son point de vue, — sera obligé de compter avec la vaste critique de son livre.
Si l’on veut examiner la cause, du grand ascendant que dans Athènes, qu’à Rome, des génies supérieurs ont obtenu de l’empire presque aveugle, que dans les temps anciens ils ont exercé sur la multitude, on verra que l’opinion n’a jamais été fixée par l’opinion même, que c’est à quelques pouvoirs différents d’elle, à l’appui de quelque superstition que sa constance a été due : tantôt ce sont des rois, qui jusqu’à la fin de leur vie ont conservé la gloire qu’ils avaient obtenue ; mais les peuples croyaient alors que la royauté avait une origine céleste : tantôt on voit Numa inventer une fable pour faire accepter des lois que la sagesse lui dictait, se fiant plus à la crédulité qu’à l’évidence. […] Le grand homme, qui arrive à la vieillesse, doit parcourir plusieurs époques d’opinions diverses ou contraires. […] l’opinion se composerait-elle de leurs suffrages ? […] Une idée peut se composer des réflexions de plusieurs ; un sentiment sort tout entier de l’âme qui l’éprouve ; la multitude, qui l’adopte, a pour opinion l’injustice d’un homme exercée par l’audace de tous ; par cette audace qui se fonde et sur la force, et plus encore sur l’impossibilité d’être atteint par aucun genre de responsabilité individuelle. […] Mais, poursuivant le projet que j’ai embrassé, je ne cherche point à détourner l’homme de génie de répandre ses bienfaits sur le genre humain ; mais je voudrais retrancher des motifs qui l’animent, le besoin des récompenses de l’opinion ; je voudrais retrancher ce qui est l’essence des passions, l’asservissement à la puissance des autres.
L’opinion, qui exalte ces manières de sentir, persuade à chaque individu qu’il est indigne de ne pas les éprouver et plus d’un les accepte pour règle de sa conduite, par crainte du mépris d’autrui et de soi-même, qui ne les eût pas soupçonnées si elles ne lui avaient été imposées par ouï-dire. […] La même incompétence motive ses jugements : impuissant à concevoir les raisons des opinions les plus ordinaires, à ressentir les goûts les plus simples, il se prévaut de cette impuissance pour se targuer de sublimité. […] Son souci est de ne point penser selon les modes ordinaires car il ignore que les hommes ne diffèrent pas entre eux par leurs opinions qui sont marchandises communes, mais par les raisons, selon qu’elles sont superficielles ou profondes, ’grossières ou délicates, qui les persuadent de ces opinions. […] À professer des opinions à la portée commune sur des sujets accessibles à tous, il risquerait de s’en faire remontrer par chacun. […] Le snob n’est rien moins qu’un intrigant intéressé à faire prendre aux autres afin de les exploiter, une fausse opinion de lui-même.
Le son pur de la vérité qui fait éprouver à l’âme un sentiment si doux et si exalté, ces expressions justes et nobles d’un cœur content de lui, d’un esprit de bonne foi, d’un caractère sans reproches, on ne savait à quels hommes, à quelles opinions les adresser, sous quelle voûte les faire entendre ; et la fierté, naturelle à la franchise, portait au silence bien plutôt qu’à d’inutiles efforts. […] Ne craint-il pas la justice, la liberté, la morale, tout ce qui rend à l’opinion sa force et à la vérité son rang ? […] L’âme a besoin d’exaltation ; saisissez ce penchant, enflammez ce désir, et vous enlèverez l’opinion. […] Dans ce qui caractérise l’éloquence, le mouvement qui l’inspire, le génie qui la développe, il faut une grande indépendance, au moins momentanée, de tout ce qui nous environne ; il faut s’élever au-dessus du danger, s’il existe, au-dessus de l’opinion que l’on attaque, des hommes que l’on combat, de tout, hors sa conscience et la postérité. […] Si vous supposez un homme que la réflexion ait rendu tout à fait insensible aux événements qui l’environnent, un caractère semblable à celui d’Épictète ; son style, s’il écrit, ne sera point éloquent : mais lorsque l’esprit philosophique règne dans la classe éclairée de la société, il s’unit aux passions les plus véhémentes ; ce n’est pas le résultat du travail de chaque homme sur lui-même ; c’est une opinion établie dès l’enfance, une opinion qui, se mêlant à tous les sentiments de la nature, agrandit les idées sans refroidir les âmes.
On ne brave pas impunément ses propres qualités ; et celui que son ambition entraîne à soutenir à la tribune une opinion que sa fierté repousse, que son humanité condamne, que la justesse de son esprit rejette, celui-là éprouve alors un sentiment pénible, indépendant encore de la réflexion qui peut l’absoudre ou le blâmer. […] C’est dans la lutte de leurs intérêts, et non dans le silence de leurs passions, qu’on croit découvrir les véritables opinions des hommes : et quel plus grand malheur que d’avoir mérité une réputation opposée à son propre caractère ! […] L’opinion, blâmant les peines de l’ambition trompée, y met le comble en se refusant à les plaindre : et ce refus est injuste, car la pitié doit avoir une autre destination que l’estime ; c’est à l’étendue du malheur qu’il faut la proportionner. […] Il reste encore des moyens d’acquérir du pouvoir, mais l’opinion qui distribue la gloire, l’opinion n’existe plus ; le peuple commande au lieu de juger ; jouant un rôle actif dans tous les événements, il prend parti pour ou contre tel ou tel homme. […] La diversité des opinions empêche aucune gloire de s’établir, mais ces mêmes opinions se réunissent toutes pour le mépris ; il prend un caractère d’acclamation, et le peuple, quand il abandonne l’ambitieux, s’éclairant sur les crimes qu’il lui a fait commettre, l’accable pour s’en absoudre ; celui qui prend pour guide sa conscience est sûr de son but ; mais malheur à l’homme avide de pouvoir, qui s’est élancé dans une révolution.
Si cet état se prolongeait, l’on ne posséderait bientôt plus aucun homme distingué dans une autre carrière que celle des armes ; rien ne peut décourager l’ambition des succès militaires ; ils arrivent toujours à leur but, et commandent à l’opinion ce qu’ils attendent d’elle. […] Lorsqu’au contraire les faveurs de l’opinion dépendent aussi des faveurs d’un homme, la pensée ne peut se sentir libre dans aucune de ses conceptions : loin de se consacrer à découvrir la vérité, ses bornes en tout genre lui sont prescrites. […] Il reste encore des traces de cette absurde opinion ; mais elles doivent s’effacer chaque jour. […] N’est-il pas nécessaire qu’une impulsion plus animée se communique à cette multitude qu’il est si difficile de réunir dans une même opinion ? […] Mais lorsqu’elles ont chargé leurs magistrats de la puissance impassible des lois, elles peuvent se livrer sans danger au libre essor de l’approbation et du blâme ; elles peuvent offrir aux grands hommes le seul prix pour lequel ils veulent se dévouer, l’opinion du temps présent et de l’avenir, l’opinion, seule récompense, seule illusion dont la vertu même n’ait jamais la force de se détacher.
Nos mœurs, disions-nous tout à l’heure, sont restées immobiles, et ont même opposé une grande force de résistance au mouvement des opinions… J’ajouterai à présent que cette même immobilité et cette même résistance se sont trouvées, chez nous, dans le domaine de la religion. Nos opinions, il faut l’avouer, seraient assez inclinées au protestantisme, à cause de cet esprit d’analyse et de discussion qui porte à tout examiner, à se rendre raison de tout ; à cause enfin de cette confiance à ses propres lumières qui rejette toute doctrine imposée : mais nos mœurs religieuses sont catholiques parce que nous tenons à un culte extérieur, à des signes sensibles de notre croyance. […] Les mœurs sont restées religieuses ; les opinions, au contraire, ont pris une direction sinon antireligieuse, du moins indépendante des opinions religieuses. […] Les anciens philosophes formaient des écoles, qui étaient comme autant de sectes, parce que, professant leurs opinions à côté de religions qui n’avaient rien de positif, ils pouvaient rester unis à la morale. […] Ne voyez-vous pas, en effet, que le sceptre de l’éducation est confié sans partage aux mœurs, pendant que l’empire de la société est sous le joug de l’opinion ?