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232. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIe entretien. Boileau » pp. 241-326

Ainsi Pélée, quand il pleurait son fils Achille enlevé à sa tendresse… Si, avant la subversion de sa ville de Troie, Priam fût descendu chez les ombres, Hector, son fils, aurait porté sur ses épaules et sur celles de ses autres frères le corps vénéré de son père, à travers les Troyennes gémissantes, dont les filles du vieillard, Cassandre et Polyxène, les vêtements déchirés, auraient commencé les sanglots funèbres ! […] Tandis que j’ai vécu, l’on m’a vu hautement Aux badauds effarés dire mon sentiment ; Je veux le dire encor dans les royaumes sombres : S’ils ont des préjugés j’en guérirai les ombres ! […] que ne suis-je assise à l’ombre des forêts ? […] Écoutez comme il continue dans le même style : Qu’heureux est le mortel qui, du monde ignoré, Vit content de soi-même à l’ombre retiré ! […] ……………………………………………………… On le presse de produire encore ; il répond ……………………………………………………… Cependant tout décroît, et moi-même, à qui l’âge D’aucune ride encor n’a flétri le visage, Déjà moins plein de feu, pour animer ma voix J’ai besoin du silence et de l’ombre des bois.

233. (1926) L’esprit contre la raison

Dans sa verve, le texte ne manque pas de courir plusieurs lièvres à la fois sans jamais lâcher l’ombre pour la proie. […] Avenues insensibles d’une cité creusée au centre même de la terre, son ciel ignorant du chaud et du froid, l’ombre de ses arcades, de ses cheminées, en nous donnant le mépris des apparences, des phénomènes, déjà, nous rendaient plus dignes du rêve absolu où un Kant put sentir son esprit s’amplifier en plein vertige nouménalcc. Les remparts ont craquécd, l’ombre de la mort à elle seule disjoint les plus lourdes pierres. « Visage perceur de murailles »ce, explique le poète Paul Éluard, et de la planète minuscule nous partons pour le pays sans limite. […] Effrayés par tout ce qui les dépasse comme le cheval Bucéphalecj par son ombre, après avoir henni de suffisance, ils croiront avoir vaincu l’ombre et la peur. […] Si le cheval « qui franchit les montagnes » est la monture de Rrose Sélavy, les barrésiens n’ont que le pauvre Bucéphale pour monture, le cheval qui, selon Plutarque, avait peur de son ombre.

234. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Santeul ou de la poésie latine sous Louis XIV, par M. Montalant-Bougleux, 1 vol. in-12. Paris, 1855. — II » pp. 39-56

L’abbaye de Saint-Victor, comme presque toutes les fondations et observances religieuses, était peu à peu tombée dans un complet relâchement et ne présentait plus même une ombre de ce qu'elle avait pu être au Moyen Âge, au temps de ses grandes lumières, Hugues et Richard de Saint-Victor. […] L’ombre d’une faute contre la religion vous a fait peur ; vous vous êtes abaissé, et la religion elle-même vous a inspiré les plus beaux vers, les plus élégants, les plus sublimes que vous ayez jamais faits. […] Arnauld, Rollin, de son côté, s’enhardissant sous l’anonyme, lançait le Santolius paenitens où il évoquait l’ombre du célèbre docteur, qui reprochait tendrement et avec pathétique à Santeul son ingratitude et son reniement.

235. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Madame de Staël. Coppet et Weimar, par l’auteur des Souvenirs de Mme Récamier »

Tandis que ces autres grandes renommées contemporaines et rivales de la sienne, celles de Chateaubriand, de Joseph de Maistre, se renouvellent, se maintiennent ou même gagnent par des publications posthumes, la sienne reste stationnaire et dès lors recule, s’affaiblit et s’efface un peu dans l’ombre. […] Ces preuves, ce sont sans doute les écrits durables et permanents ; mais le plus sûr est de ne pas s’en tenir uniquement aux écrits déjà anciens et qui ont jeté leur feu ; le meilleur coup de fortune pour une mémoire immortelle est d’avoir, du sein du tombeau, deux ou trois de ces retours et de ces réveils magnifiques qui étonnent les générations nouvelles, qui les convainquent qu’un mort puissant est là, redoutable encore jusque dans son ombre et son silence. […] … » Telle est la vérité avec ses légères ombres.

236. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Œuvres de M. P. Lebrun, de l’Académie française. »

Des habitants muets des souterraines rues Les familles, dans l’ombre incessamment accrues, Comme nous s’agitaient sous les rayons du jour, Et ceux qui sous le ciel s’agitent à cette heure Dans la même demeure Prendront place à leur tour. […] Si l’on vient sur ces bords pour voir et pour apprendre, Quelle leçon plus haute, à qui saura l’entendre, Que l’aspect saisissant de la double cité, De ce peuple brillant et de ce peuple sombre, Dans la lumière et l’ombre L’un sur l’autre porté ! […] Un toit, la santé, la famille ; Quelques amis, l’hiver, autour d’un feu qui brille ; Un esprit sain, un cœur de bienveillant conseil, Et quelque livré, aux champs, qu’on lit loin du grand nombre Assis, la tête à l’ombre, Et les pieds au soleil.

237. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « La génération symboliste » pp. 34-56

Le voici prisonnier d’un lycée, voué à la solitude de l’âme, frileusement replié sur lui-même, s’étiolant dans l’ombre des dortoirs et des cours, comme une plante privée d’air et de soleil. […] Ils frissonnent sous l’œil du maître, Son ombre les rend malheureux. […] Seul, un petit lot d’adeptes convaincus poursuivent dans l’ombre leurs recherches.

238. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Stéphane Mallarmé » pp. 146-168

Ils vivent dans cette ombre où, dit Vielé-Griffin, « marchèrent côte à côte Vigny et Baudelaire, Verlaine et Mallarmé » et il ajoute : Cette ombre où vit Verhaeren, où Laforgue est mort, fut, pour ceux à côté desquels j’ai pris conscience de la vie, comme l’ombre des lauriers.

239. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre III. Zoïle aussi éternel qu’Homère »

Ce n’est pas du côté du soleil que l’éclipse fait l’ombre. […] On approcha l’orifice du sac de l’ouverture du trou, et l’on jeta ces os dans cette ombre. […] un chaud soleil, une ombre tiède et fraîche, une vague exsudation de parfums sur les pelouses, on ne sait quel mois de mai perpétuel blotti dans les précipices.

240. (1925) Les écrivains. Première série (1884-1894)

Tout à coup on entend un rugissement ; deux prunelles brillent dans l’ombre. […] Léon Hennique était désormais sorti de l’ombre. […] C’est frénétique et morne ; tout un peuple d’ombres soulevé hors du néant. […] Et elle va, sans cesse, des ténèbres à la lumière, de la clarté qui la tue à l’ombre où elle s’affole, dans un vol éternel de douleur. […] On peut encore dormir à l’aise, à son ombre rouge.

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