J’oubliais Henry Monnier, l’aîné de Gavarni de quelques années et son franc camarade, dont j’ai sous les yeux lettres sur lettres réclamant des costumes pour les rôles de sa femme, et parfois dans un latin macaronique transparent (Indigo vestis mihiuxoris ad proximam operam dramaticam, etc.). […] Mais ce n’est pas tout que ce désaccord qui saute aux yeux : il faut aussi qu’il y ait du rapport ; il faut qu’après avoir souri à première vue du contraste et du changement, à la réflexion on reconnaisse et l’on se rende compte ; qu’après s’être écrié : « Ce n’est pas possible ! […] Tel autre passe des heures accoudé sur son journal ; tel a toujours l’œil à son baromètre ; tel qui se croit moins fou a la voisine d’en face qu’il lorgne du matin au soir ; celui-ci a la chasse à l’affût où il se morfond, celui-là la pêche à la ligne où il s’enrhume. […] Et comme beauté de dessin dans un autre genre, et comme charme, on me fait remarquer dans le quatrième Dizain ce n° 40, cette femme debout, cette débardeuse montée sur une banquette et adossée à une loge dans un bal masqué, plongeant de l’œil dans la salle et regardant amoureusement la danse sans y prendre part cette fois ; avec ces mots : « Il lui sera beaucoup pardonne, parce qu’elle a beaucoup dansé ! […] A-t-il eu besoin précisément de voir de ses yeux tout ce qu’il dessine ensuite et qu’il intitule à bon droit D’après nature ?
Il suffit de jeter les yeux sur le magnifique volume, sur le luxe typographique et l’étendue des pages, sur les dessins qu’il renferme, pour voir que l’intention de l’auteur a été complète, qu’il n’a rien ménagé à son offrande, et qu’il a voulu que le beau, en cette image, ne fût pas séparable du saint. […] Un poëte a dit : La Charité fervente est une mère pure (Raphaël quelque part sous ses traits la figure) ; Son œil regarde au loin, et les enfants venus Contre elle de tous points se serrent froids et nus. Un de ses bras les tient, l’autre bras en implore ; Elle en presse à son sein, et son œil cherche encore. […] L’auteur, s’il n’était qu’artiste, s’il n’avait traité que poétiquement son sujet, et même, dans tous les cas, sans fausser le vrai, aurait pu indiquer plus brièvement ce rôle de maître Conrad, et l’effet céleste du visage et de l’attitude de la sainte, devant nos yeux mortels, y aurait gagné. […] Pendant qu’il parle ainsi sans discontinuer, d’une voix claire, les yeux baissés, une espèce de sourire vague à sa bouche (assez gracieux dans son dédain) annonce cette profonde et douce satisfaction, cette intime et parfaite certitude qu’il a de lui-même.
Cependant, comme nous l’avons dit, parmi ceux qui portèrent des vers à Pisistrate, quelques-uns, pour obtenir une plus grande récompense, en ajoutèrent de leur façon, que l’usage ne tarda pas à consacrer aux yeux des lecteurs. […] Son berceau fut placé au bord de la mer enchantée qui sépare l’Asie Mineure de la Grèce, en face de Chio et de l’Archipel, point de vue le plus ravissant où l’œil d’un homme puisse s’ouvrir à la lumière. […] C’est depuis cette époque, dit-on dans les îles de l’Archipel, que les hommes attribuèrent à la cécité le don d’inspirer le chant, et que les bergers impitoyables crevèrent les yeux aux rossignols, pour ajouter à l’instinct de la mélodie dans l’âme et dans la voix de ce pauvre oiseau. […] L’homme sauvage lit, et un monde nouveau apparaît page par page à ses yeux. […] c’est renvoyer à Dieu ses plus souveraines facultés, de peur qu’elles n’offusquent les yeux jaloux et qu’elles ne fassent paraître le monde réel trop obscur et trop petit, comparé à la splendeur de l’imagination et à la grandeur de la nature !
Mais, au reste, on peut se demander si c’est bien le même monde qu’il a décrit (dans une disposition d’esprit différente), ou si par hasard il n’a pas eu un autre monde sous les yeux. […] Si l’on va tout au fond des choses, on trouvera que le véritable et le principal objet des réunions mondaines, c’est l’exhibition de la femme, accommodée, attifée, harnachée, habillée ou déshabillée de la meilleure façon possible pour charmer les yeux des hommes et pour les tenter. […] De se donner ou de se garder Plus probablement ceci que cela, car une charmante figure mâle, ornée de fines moustaches et de grands yeux noirs à cils ombreux, couronnée de cheveux bruns coupés ras et poussant dru, passait dans la glace à chaque instant, montrant, dans un sourire très doux, des dents juvéniles, toutes blanches et au grand complet… Un dîner, une visite, cela suffit. […] La première fois, il fait sa déclaration et ajoute qu’il ne peut se marier parce qu’il est à peu près ruiné ; la seconde fois, il inquiète Edmée en lui montrant l’hypocrisie et le néant de la morale mondaine ; la troisième fois, il lui fait entendre qu’ils pourraient se marier chacun de son côté, et lui fait presque accepter l’adultère dans l’avenir ; la quatrième fois, comme elle se révolte, il la prend dans ses bras, connaissant la puissance de l’étreinte ; puis il se remet à la pervertir par des conversations hardies, « en lui mettant sous les yeux, au moyen d’exemples impressionnants pris autour de lui, la dépravation du monde, découlant, hélas ! […] La morale des philosophes est une morale de cabinet qui ne les suit guère dehors ; tant qu’on raisonne doctoralement, inter libros ou inter pocula, c’est superbe, plein de simplicité, de grandeur et d’harmonie ; mais deux beaux yeux que l’amour fait arder ont bien vite raison de toutes les rigueurs théoriques de ces belles doctrines, lesquelles, en de certains, moments, sembleront toujours à quiconque ne les a pas inventées de simples jeux de savants.
C’est que la nature capricieuse n’a pas donné à tout le monde de noirs cheveux bouclés, un nez d’une fine courbure, de longs yeux, une tête charmante et toujours jeune de roi sarrasin Il y en a qui sont infirmes et cacochymes ? […] Ils en ont la larme à l’œil. […] » avec l’intonation désespérée de la femme qui a mesuré le gouffre et s’y jette les yeux ouverts, pour tenir un engagement d’honneur. » Comprenez-vous ? […] Car il se trouve que Fraydet et même Passajon ont l’œil et le style de M. […] Je vous engage seulement à relire le diner chez la duchesse Padovani, l’enterrement de Loisillon, le duel de Paul Astier, etc… Il y a là-dedans, avec un peu d’outrance tartarinesque, une concision puissante, une ironie à la fois très violente et très fine ; et surtout, jamais on n’a mieux su nous enfoncer les choses dans les yeux, rien qu’avec des mots.
Charrier, un gros banquier d’il y a vingt ans, florissant, épanoui, superbe, « le visage plein et les joues pendantes, l’œil fixe et assuré, les épaules larges, l’estomac haut, la démarche ferme et délibérée ». […] Pour compléter le parallèle, un petit homme, « aux yeux creux et au teint échauffé », entre dans son salon. « Il marche doucement, il semble craindre de fouler la terre, il marche les yeux baissés, et il n’ose les lever sur ceux qui passent. […] Charrier reçoit cet argentier maladroit, et de quel ton il lui parle, et de quel œil il le toise ! […] Henri, qui ne veut pas d’un pareil beau-frère, lui rappelle le procès qui le déshonore ; sur quoi, Vernouilhet tire de sa poche un vieux numéro de la Gazette des Tribunaux qu’il met sous les yeux du jeune puritain ; puis il s’éloigne, et le banquier, survenant un instant après, trouve son fils, la honte au front et les yeux en larmes ; il prend le journal qui le fait rougir… C’est le compte rendu d’un procès pareil à celui de Vernouilhet, subi il y a vingt ans par son père… Tout s’arrange cependant.
La beauté de cette fille relevée encore par la pudeur qui lui faisoit baisser les yeux à l’approche d’Alexandre, fixoit sur elle les premiers regards du spectateur. […] L’ame de cette femme paroît être toute entiere dans ses yeux qui percent son fils en le caressant. L’attitude de toutes les parties de son corps concourt avec ses yeux, et donne à connoître ce qu’elle prétend faire. […] Quoique son air de tête soit naïf, quoique son maintien paroisse ingénu, on devine à son sourire malin, qui n’est pas entierement formé, parce que le respect le contraint, comme au mouvement de ses yeux sensiblement gêné, que cet enfant veut paroître vrai, mais qu’il n’est pas sincere. […] Par un geste naturel à ceux qui écoutent en craignant qu’on ne s’apperçoive qu’ils prêtent l’oreille à ce qu’on dit, notre esclave tâche de lever assez la prunelle de ses yeux pour appercevoir son objet sans lever la tête comme il la leveroit naturellement s’il n’étoit pas contraint.
Ce prodige qu’avait vu l’antiquité, ce Tynnichos, dont l’âme un jour inspirée produisit un hymne sublime et rentra dans le sommeil, se renouvela sous nos yeux. […] « Je dispose mes livres, j’essaye mon pinceau, pour charmer les heures languissantes du midi : mais il me manque ton œil doucement approbateur, ton oreille attentive avec indulgence. […] « C’est là le premier martyr, dont l’œil sut pénétrer au-delà du tombeau, qui aperçut son maître dans les cieux, et l’invoqua pour être sauvé. […] Tous les peuples du monde étaient présents à sa charité ; et ce pieux enthousiasme anticipait de quelques siècles, à ses yeux, le travail des peuples civilisés, ce travail de salut spirituel incessamment servi par les guerres, le commerce, les arts, l’ambition de puissance et de gain des nations de l’Europe. […] « Bien que des brises parfumées passent avec douceur sur l’île de Ceylan, bien que chaque horizon y charme les yeux, et que l’homme seul y soit dégradé, en vain les dons de Dieu sont là répandus avec une prodigue bonté : l’idolâtre, dans son aveuglement, s’agenouille devant le bois et la pierre.
Je haïrais une mort qui me banderait les yeux, qui m’épargnerait, qui me demanderait de passer en rampant. […] La poésie n’est pas, disait-il, une simple répétition, une imitation plus ou moins grossière des beautés formelles qui tombent sous nos yeux. […] Dans ses yeux reposait l’Éternité, — et les larmes devinrent entre nous un lien étincelant, indéchirable. […] De doux gazons moussus sous ces dais vont déployant leur houle, parfumés d’herbes odorantes, éclairés par les yeux des fleurs minuscules et belles. […] Il se développe à mes yeux !