/ 2398
377. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Introduction »

Enfin, les caractères passionnés sont les seuls qui, par de certains points de ressemblance, peuvent être tous l’objet des mêmes considérations générales. […] Dans les États obscurs, les arts ne font aucun progrès, la littérature ne se perfectionne, ni par l’émulation qui excite l’éloquence, ni par la multitude des objets de comparaison, qui seule donne une idée fixe du bon goût. […] Désirer une révolution, c’est dévouer à la mort l’innocent et le coupable ; c’est, peut-être, condamner l’objet qui nous est le plus cher ! […] Dans l’étude des constitutions, il faut se proposer pour but le bonheur, et pour moyen la liberté ; dans la science morale de l’homme, c’est l’indépendance de l’âme qui doit être l’objet principal, ce qu’on peut avoir de bonheur en est la suite. […] Enfin, si le temps et l’étude apprenaient, comment on peut donner aux principes politiques assez d’évidence pour qu’ils ne fussent plus l’objet de deux religions, et par conséquent des plus sanglantes fureurs, il semble que l’on aurait du moins offert un examen complet, de tout ce qui livre la destinée de l’homme à la puissance du malheur.

378. (1890) L’avenir de la science « XXII » pp. 441-461

Ainsi, l’on devient d’autant plus lourd dans l’objet de la croyance qu’on a été plus sceptique et plus léger quant aux motifs de l’accepter. […] La passion, en même temps qu’elle adore son objet, a besoin de haïr son contraire. […] Car ce qui est partiel est plus fort ; les hommes ne se passionnent que pour ce qui est incomplet, ou, pour mieux dire, la passion, les attachant exclusivement à un objet, leur ferme les yeux sur tout le reste. C’est l’éternelle duperie de l’amour qui ne voit au monde que son objet. […] La science la plus vide d’objet, les mathématiques, est précisément celle qui passionne le plus, non pas tant par sa vérité que par le jeu des facultés et la force de combinaison qu’elle suppose.

379. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Œuvres complètes de Molière »

 » Le centre d’un panneau est occupé par un de ces meubles en forme de buffet, si recherchés aujourd’hui, dans lesquels on renfermait les objets les plus précieux et qu’on désignait sous le nom de cabinet ; celui de Marie Cressé est en bois de noyer marbré, à quatre portes ou guichets fermant à clef, et « garni par dedans de satin de Bruges. […] Enfin la chambre des époux Poquelin est tendue d’une tapisserie de Rouen sur laquelle sont accrochés cinq tableaux et un miroir de glace de Venise. » Ce sont là les objets qui frappaient habituellement la vue de Molière enfant ; il ne naquit nullement dans un intérieur pauvre ou mesquin, et tout sentait autour de lui le marchand à son aise et le bourgeois cossu. […] Les objets de piété ne sont pas moins riches : aux chapelets en nacre de perle sont suspendus « un petit Saint-Esprit d’or où il y a un diamant », des croix d’or et un reliquaire en cristal ; le bouton du signet, qui sert à marquer les pages du livre d’heures, est orné de perles fines ; les petits anneaux d’or donnés par la grand-mère Marie Asselin (Mme Cressé) à sa petite-fille Madeleine Poquelin sont encadrés dans « une bordure de pièces d’or avec petites perles. […] Parmi tous ces objets on aime à voir Marie Cressé conserver avec soin, dans un coffret couvert de tapisserie, le linge qui a servi à ses enfants sur les fonts de baptême. » Le père de Mme Poquelin, Louis de Cressé (car il prenait le de), qui avait si bien pourvu et doté sa fille, possédait lui-même à Saint-Ouen, dans la Grande-Rue, une belle propriété avec cour, étables et jardin. […] Soulié, que, le dimanche, dans la belle saison, on devait conduire les enfants chez leur grand-père pour leur faire prendre l’air des champs : « L’inventaire des objets restés dans la chambre de cette maison, occupée par les époux Poquelin, prouve qu’on trouvait là tout ce qui était nécessaire pour passer une nuit ; on n’y a oublié ni les boules de buis qui servaient sans doute de jouets aux enfants, ni la paire de verges destinée à les corriger. » Ce confort, cette opulence domestique de la maison Poquelin, tenaient en partie à la présence de la femme dans la maison : il est permis de le penser ; du moins, dans le dernier inventaire fait chez Jean Poquelin bien des années après, tout dénote négligence, désordre et abandon ; ce père, en vieillissant, n’était plus le même.

380. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise, par M. Taine, (suite) »

Il n’élude rien, il ne se soucie de rien que de son objet. […] Objet de récentes études chez nous et d’une louable émulation de travaux19, ils n’ont nulle part été expliqués et exprimés aussi énergiquement que chez M.  […] Sa complexité morale, son unité, les contradictions qu’il assemble et qu’il coordonne en lui, sa stabilité d’âme et de génie, tout cela est peint, analysé, reproduit en plus de cent pages qui sont des plus belles par la pensée comme par le ton, et tout à fait à la hauteur de leur objet ; j’en détache quelques traits décisifs : « La science immense, la logique serrée et la passion grandiose, voilà son fond. […] Il ne considérait point les objets face à face, et de plain-pied, en mortel, mais de haut comme les archanges… Ce n’était point la vie qu’il sentait, comme les maîtres de la Renaissance, mais la grandeur, à la façon d’Eschyle et des prophètes hébreux, esprits virils et lyriques comme le sien, qui, nourris comme lui dans les émotions religieuses et dans l’enthousiasme continu, ont étalé comme lui la pompe et la majesté sacerdotales. […] en sortant de l’ordre de création, de cette création aveugle et un peu fumeuse, en daignant entrer dans la sphère sereine et tempérée des idées morales, des pensées justes, lucides, des réflexions élevées ou fines qui sont proprement l’objet et, comme dirait Montaigne, le gibier des philosophes et des sages, ne raillons pas trop ce curieux et aimable Pope d’avoir écouté si soigneusement la voix de son démon à lui et de son génie, d’avoir prêté l’oreille aux inspirations purement abstraites et spirituelles qui s’élèvent dans la solitude du cabinet ou dans l’entretien à deux quand on se promène en quelque allée de Tibur ou de Tusculum ; et quand l’esprit, tout en restant calme, se sent excité par l’émulation ou la douce contradiction d’un ami, ne nous scandalisons pas si lui-même, venant avec une sorte d’ingénuité nous initier à sa préoccupation littéraire constante, il nous fait la confidence que voici : « Une fois que Swift et moi nous étions ensemble à la campagne pour quelque temps, il m’arriva un jour de lui dire que si l’on prenait note des pensées qui viennent à l’esprit, à l’improviste, quand on se promène dans les champs ou qu’on flâne dans son cabinet, il y en aurait peut-être quelques-unes qui vaudraient bien celles qui ont été le plus méditées.

381. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « HISTOIRE de SAINTE ÉLISABETH DE HONGRIE par m. de montalembert  » pp. 423-443

Cette renaissance, qui n’a plus à s’appliquer à la lettre de l’antiquité, va au fond, à l’esprit des temps, remonte plus haut que la Grèce, ne s’arrête plus à la décadence de Rome : en particulier, elle a pour objet le moyen âge, toute cette époque dont l’oubli et le rejet avaient été une condition de la renaissance aux xve et xvie  siècles. […] On assiste à tous les détails de l’enfance et des fiançailles de la jeune Élisabeth, à ses ruses innocentes parmi ses compagnes pour se mortifier à leur insu et prier, à ses premières joies si courtes et qu’on sent qui vont s’évanouir : « Ainsi Dieu, dit l’auteur, donne à sa créature cette rosée matinale, pour qu’elle sache résister ensuite au poids et à la chaleur du jour. » — « Élisabeth, » raconte-t-il plus tard en un endroit, « aimait à porter elle-même aux pauvres, à la dérobée, non-seulement l’argent, mais encore les vivres et les autres objets qu’elle leur destinait. […] Je remarque, page 172, deux elle qui, ne se rapportant pas à la même personne, font amphibologie ; page 190, dans une note deux son rapprochés qui ne se rapportent pas au même objet, et dont l’un est improprement employé. […] Mais c’était le drame de la Passion, dans toutes ses circonstances, qui devenait particulièrement l’objet de ces préoccupations mentales, de ces représentations intérieures. […] En un mot, c’est à la fois, pour les chrétiens, un admirable exemple de la persistance d’une faculté sainte et d’un don qui semblait retiré au monde ; pour les philosophes, un objet d’étonnement sérieux et d’étude sur l’abîme sans cesse rouvert de l’esprit humain ; pour les érudits, la matière la plus riche et la plus complète d’un mystère, comme on les jouait au moyen âge ; pour les poëtes et artistes enfin, une suite de cartons retrouvés d’une Passion, selon quelque bon frère antérieur à Raphaël.

382. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE DURAS » pp. 62-80

La Restauration lui causa une grande joie, mais elle la concevait à sa manière, et elle dut en souffrir bientôt et violemment, comme d’un objet qui échappe et qu’on aime. […] L idée d’Ourika, d’Édouard, et probablement celle qui anime les autres écrits de Mme de Duras, c’est une idée d’inégalité, soit de nature, soit de position sociale, une idée d’empêchement, d’obstacle entre le désir de l’âme et l’objet mortel ; c’est quelque chose qui manque et qui dévore, et qui crée une sorte d’envie sur la tendresse ; c’est la laideur et la couleur d’Ourika, la naissance d’Edouard ; mais, dans ces victimes dévorées et jalouses, toujours la générosité triomphe. […] C’est qu’au fond tout était lutte, souffrance, obstacle et désir dans cette belle âme, ardente comme les climats des tropiques où avait mûri sa jeunesse, orageuse comme les mers sillonnées par Kersaint ; c’est qu’elle était une de celles qui ont des instincts infinis, des essors violents, impétueux, et qui demandent en toute chose à la terre ce qu’elle ne tient pas ; qui, ingénument immodérées qu’elles sont, se portent, comme a dit quelque part l’abbé Prévost, d’une ardeur étonnante de sentiments vers un objet qui leur est incertain pour elles-mêmes ; qui aspirent au bonheur d’aimer sans bornes et sans mesure ; en qui chaque douleur trouve une proie facile ; une de ces âmes gênées qui se heurtent sans cesse aux barreaux de la cage dans cette prison de chair. […] « A mesure qu’on avance, les illusions s’évanouissent, on se voit enlever successivement tous les objets de ses affections. […] Car telle est l’ingratitude, source des plus grands chagrins ; elle consiste à méconnaître les sentiments dont on est l’objet, parce que le cœur est incapable de les payer de retour et d’en produire de semblables : il y a là cette impuissance, cette ignorance, qui font l’excuse.

383. (1892) Boileau « Chapitre VI. La critique de Boileau (Fin). La querelle des anciens et des modernes » pp. 156-181

Le même naturalisme, et la condition de chercher un objet d’imitation universel et permanent, nous font comprendre pourquoi le xviie  siècle n’a pas eu de poésie lyrique — ou si peu — et pas d’histoire. Par la recherche de l’expression ornée et de l’agrément, par l’amour du régulier et du fini, s’explique que nous trouvions souvent les ouvrages classiques trop beaux et trop parfaits, du moins trop faits : il nous fâche que l’auteur ait mis tant d’art et de complaisance à nous plaire, et nous avons peur qu’il ne nous cache de l’objet pour nous éviter de la fatigue. […] Je n’ai qu’à comparer ma connaissance avec les ouvrages des anciens, pour dégager la nature universelle qui est l’objet de l’art. […] Chez Aristote, Boileau trouvait formulé ce grand principe de l’imitation de la nature, base commune de tous les arts, qui ne diffèrent que par le choix des objets, des moyens, et par le caractère de leur imitation : il est vrai que, ce principe posé, Aristote exposait surtout comment l’art transforme la nature, en vue de nous procurer le plaisir qui lui est propre. […] Mais le principal objet de Perrault, c’était la littérature ; et les sciences et les arts lui servaient surtout à fonder cette induction assez téméraire : puisqu’il y a progrès dans les arts « dont les secrets se peuvent calculer et mesurer », il faut donc aussi qu’il y en ait dans l’éloquence et dans la poésie, dont les éléments ne se laissent pas mesurer ni même, souvent, atteindre par le raisonnement.

384. (1829) De la poésie de style pp. 324-338

D’abord paraît Protée, ensuite la Pythonisse, deux objets de comparaison qu’il décrit avec un soin égal et en très beaux vers. Et par cela même qu’il a pris deux objets de comparaison, il montre assez qu’il ne sacrifiera pas une de ses deux images à l’autre, et qu’il n’en prolongera aucune jusque dans l’objet spirituel, ce qui est la condition du symbole ; car nécessairement l’autre image deviendrait un hors-d’œuvre, et ne pourrait que nuire à l’effet. Mais encore une fois ce n’est pas son but ; et quand il arrive au génie, il oublie ses deux images, il brise ses deux miroirs, et, au lieu de contempler son objet spirituel dans un emblème physique, il change d’inspiration, il se sert d’expressions abstraites ; il parle des accès d’une sainte manie , de l’ardeur qui le possède  ; il prend ses figures à toutes sources : rien n’est suivi ; c’est une manière fragmentaire et hachée. […] Toutes les parties de l’objet spirituel que l’artiste contemple maintenant se produisent, non pas abstraites, mais sous la forme même des parties similaires de l’image, comme autant d’emblèmes harmonieux qui se répondent entre eux et au tout.

385. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Frédéric le Grand littérateur. » pp. 185-205

Il est tel qu’un Protée qui change sans peine de formes, et qui paraît réellement l’objet qu’il représente ». […] Ce désir de gloire que nourrissait la jeune âme de Frédéric et qui cherchait encore son objet, lui faisait tourner naturellement ses regards vers la France. […] Frédéric jugeait bien encore des moralistes et philosophes anciens, ou même des poètes philosophes en qui la pensée domine, tels que Lucrèce : « Lorsque je suis affligé, disait-il, je lis le troisième livre de Lucrèce, et cela me soulage. » Pourtant, même dans ce qui faisait l’objet de ses lectures familières, il y regardait si peu de près quant à l’érudition, qu’il lui est arrivé de ranger par mégarde Épictète et Marc Aurèle au nombre des auteurs latins. […] Les grands objets de comparaison étaient restés hors de sa portée et de sa vue : il parlait en cette matière tout à fait en homme qui n’avait vu ni conçu à aucun jour la beauté suprême et véritable. […] Notre raison est trop faible pour vaincre la douleur d’une blessure mortelle ; il faut donner quelque chose à la nature, et se dire surtout qu’à votre âge comme au mien on doit plutôt se consoler, parce que nous ne tarderons guère de nous rejoindre aux objets de nos regrets.

/ 2398