L’église restait ouverte nuit et jour, et les laquais, pour garder les meilleures places, étaient obligés d’y passer les nuits. […] Cependant les malins s’arrangèrent de telle sorte qu’ils lui prirent tout le temps, si court, qui restait pour là préparation ; ils se relayèrent pour lui adresser questions, consultations coup sur coup, pendant toute cette journée de la veille et jusque bien avant dans la nuit.
Mais le soir on se reposait, on secouait sa fatigue, et la chambre de l’artiste se remplissait d’amis et de camarades qui se dédommageaient par une orgie de paroles d’avoir travaillé ou rêvé tout le jour : « Ces nuits, disait Gavarni en les dépeignant de sa plume la plus vive, ces nuits résument bien la journée elle-même. […] Je recommande surtout le bonhomme en bonnet de nuit qui fait une réussite, et cet autre bourgeois, mécanicien amateur, en lunettes, si acharné à tourner qu’il en oublie le boire et le manger.
« C’est ainsi en effet qu’on la rêve, la Vénus de l’Adriatique, séchant sur sa rive de marbre son corps rose et blanc, humide encore des caresses de la nuit ; — et M. […] Je n’ai point parlé de cette quantité de jolies nouvelles attirantes dans leur étrangeté : La Morte amoureuse, qui vient bien après Une Larme du diable ; Une Nuit de Cléopâtre, Le Roi Candaule, qui me font l’effet d’être du pur Gérome en littérature ; — de Jean et Jeannette, récit léger d’un genre tout différent, une manière d’agréable pastel du xviiie siècle, une sorte de duel serré avec Marivaux et la reprise en roman des Jeux de l’Amour et du Hasard. […] Une troupe de comédiens honnêtes gens, c’est-à-dire qui prennent leur profession et leur métier au sérieux, errant la nuit par un désert de Gascogne, aperçoivent une clarté qui les dirige jusqu’à un château habité par le jeune baron de Sigognac.
Le fagot était fait une heure avant la nuit, et on en profitait pour des jeux. […] Le troisième nous transporte au haut d’une maison dont la façade est peinte en couleur bleu de ciel ; dans sa petite chambre, sous la tuile, Jasmin, qui n’est qu’apprenti encore, à la lueur d’une lampe dont le reflet se joue aux feuilles du tilleul voisin (toujours de gaies images), Jasmin passe une partie de ses nuits à lire, à rêver, à versifier déjà. […] T’en souviens-tu, ma sœur, quand notre pauvre père, la nuit que nous étions à le veiller, disait : « Tiens, petite, je suis plus malade ; garde bien Paul au moins, car je sens que je m’en « vais ?
En janvier (1794), il passa une nuit sur le col de Tende, d’où, au soleil levant, il découvrit ces belles plaines qui déjà étaient l’objet de ses méditations. […] Ainsi, pendant la nuit du débarquement de l’armée à Alexandrie : « La lune brillait de tout son éclat. On voyait comme en plein jour le sol blanchâtre de l’aride Afrique. » Ainsi, à Gizeh, au moment de l’incendie de la flottille égyptienne : « Pendant toute la nuit, au travers des tourbillons de flammes des trois cents bâtiments égyptiens en feu, se dessinaient les minarets du Caire.
La nuit était presque écoulée, lorsque la porte de la chambre où il reposait s’ouvrit doucement, et il vit s’approcher une beauté merveilleuse, guidée par une esclave. […] Que cherches-tu dans la nuit sombre ? […] En abordant le vieux chef, il s’adresse à lui le sourire sur les lèvres, et comme s’ils avaient passé la nuit amicalement ensemble : Comment as-tu dormi ?
Quand la France se soulevait de sa base antique pour repousser les armées étrangères, quand le cri d’alarme avait retenti du Nord au Midi, sous les flammèches qui sortaient de toutes les bouches, le feu prit au cerveau d’un jeune conscrit ; et, dans une nuit, il fit ce chant de la Marseillaise, dont les paroles, la musique et l’action sur les champs de bataille peuvent nous dire ce qu’était la poésie grecque. […] Le poëte est là tout entier dans ses rêves de liberté sans limites, sa haine de la tyrannie sous toutes les formes, les démentis de son espérance, sa tristesse aussi profonde que sa confiance avait été aveugle et trompée : « Ô vous, nuages, qui, au loin sur ma tête, flottez et vous arrêtez, vous dont nul mortel ne peut régler la marche dans l’espace sans route ; vous, ondes de l’Océan, qui, vers quelque plage que vous rouliez, n’obéissez qu’aux lois éternelles ; vous, forêts, qui écoutez le chant de l’oiseau de nuit penché sur l’écorce d’une branche inclinée, hormis quand vous-mêmes, secouant vos rameaux, vous formez ce majestueux concert des vents devant lequel, comme un inspiré de Dieu, à travers des détours que nul homme des bois n’a jamais foulés, j’ai tant de fois égaré, parmi les herbes sauvages en fleurs, ma course éclairée de la lune, sous l’aspect ou l’écho de chaque image informe qui m’apparaissait, de chaque bruit insaisissable retentissant au désert ! […] Regarde cependant : à mesure que s’efface l’éclat des astres d’en haut, chaque bouquet de bois ouvre sur nous des milliers de regards, en face, à nos côtés, sur nos têtes ; la mouche de feu promène sa flamme d’amour, et, dans sa fuite, sa poursuite, son vol en bas, en haut, explore l’obscurité du bois, tandis que, sous un souffle plus frais, le datura, se dévoilant, ouvre son large sein d’une senteur embaumée et d’une virginale blancheur, tel qu’une perle suspendue autour des boucles de la nuit….
Et je m’apercevais qu’elle lui tendait le mouchoir de la nuit, plein de sang, et que ses maigres mains cherchaient à cacher. […] », la nuit de noces enfin où la mariée qui, pour changer, résistait, tombe giflée et se relève en s’écriant ; — « Je t’aime ! […] La nuit même, il rédigeait sa lettre de démission. […] La nuit vint, des hommes entrèrent : on la scella dans le cercueil. […] D’affreux parents étaient convaincus d’avoir infligé à un malheureux de dix ans le supplice d’une nuit passée dans une cave étroite, peuplée de rats.
Delair, Paul (1842-1894) [Bibliographie] Les Nuits et les Réveils, poésies (1870). — Éloge d’Alexandre Dumas (1872). — La Voix d’en haut, un acte, en vers (1872). — Garin, drame en cinq actes et en vers (1880). — Le Fils de Corneille, à-propos en vers (1881). — Les Contes d’à présent (1881). — L’Aîné, drame en cinq actes (1883). — Le Centenaire de Figaro, à-propos (1884). — Apothéose, un acte, en vers, à propos de la mort de Victor Hugo (1885)