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613. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre III. Le Bovarysme des individus »

Il arrive fréquemment que l’esprit comprenne par avance, sous un concept général, une intuition particulière qui n’en dépend que dans un cas particulier, une intuition qui, absolument ou dans nombre de cas, relève d’un autre concept. […] Le Bovarysme de l’homme de génie n’a pas reçu, comme le snobisme, Un nom spécial, mais un cliché bien connu le désigne et ouvre une rubrique sous laquelle se classent aussitôt nombre de faits analogues. […] D’excellents poètes ont vécu de mon temps, il y en a eu de meilleurs encore avant moi, et il n’en manquera pas de plus grands parmi ceux qui nous succéderont ; mais que, dans la difficile question de la lumière, je sois le seul de mon siècle qui sache la vérité, voilà ce qui cause ma joie et me donne la conscience de ma supériorité sur un grand nombre de mes semblables. » Ce n’est pas à dire pourtant que Gœthe lut sans valeur au point de vue scientifique.

614. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse psychologique »

D’ailleurs, que l’on considère ceci : les particularités esthétiques d’une œuvre se composent d’un certain nombre d’émotions, d’images verbales, d’images d’objets, de personnes, d’idées, de concepts, de souvenirs, d’habitudes d’esprit, de résidus de sensations. […] Pour peu que le nombre de ces phénomènes mentaux ait été considérable, ils ont du former une grosse part de la vie psychique de l’artiste. […] Leconte de l’Isle, les Parnassiens, un grand nombre de peintres, la plupart des sculpteurs et des architectes, des musiciens comme Gluck, se sont appliqués à éliminer de leur œuvre toute intervention individuelle, toute exubérance et toute confusion.

615. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre III : La science — Chapitre I : De la méthode en général »

Dans cette longue énumération que nous donne Bacon des diverses espèces de faits, que l’on peut trouver longue sans doute, mais qui est semée des vues les plus pénétrantes, il en est un certain nombre qui méritent particulièrement considération, par exemple les faits fortuits. […] Il est des faits qui ne disent rien à l’esprit du plus grand nombre, tandis qu’ils sont lumineux pour d’autres. […] Au reste, Dugald Stewart rapporte les opinions d’un grand nombre de savants et de philosophes tels que Hooke, Hartley, S’Gravesande, Lesage, Boscowitch, qui tous s’accordent à défendre la méthode hypothétique dans le sens et dans les limites que nous venons de dire.

616. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre II. Marche progressive de l’esprit humain » pp. 41-66

Quelques hommes marchent en avant : les opinions de ces hommes de choix s’étendent peu à peu, et finissent par être l’opinion de l’âge suivant, qui, à son tour, voit naître d’autres idées, destinées aussi à être d’abord celles du petit nombre, puis les idées dominantes, et enfin les idées de tous. […] Les conquêtes d’Alexandre furent un torrent qui ne fit que passer ; toutefois elles répandirent au loin la connaissance de la langue grecque, destinée à servir d’organe aux premiers apôtres de la vérité, aux premiers martyrs de la foi chrétienne, comme elle avait servi auparavant à préparer, par la culture des lettres, et par des doctrines morales, un grand nombre de nations barbares à recevoir la semence de la parole. […] Il serait peut-être permis d’affirmer, dans un autre sens, que tout est fait dans le monde pour un certain nombre d’hommes.

617. (1900) Le lecteur de romans pp. 141-164

Un grand nombre de romanciers ont eu l’intelligence de cette obligation première et s’y sont conformés. […] Quant aux autres, à ces romans qui n’ont pas été écrits pour les jeunes filles, et dont le nombre est incalculable, il en est bien peu, même parmi les meilleurs, qui puissent être d’une lecture profitable ou simplement indifférente avant la vingtième année. […] Oublions surtout qu’il existe un nombre bien grand d’œuvres romanesques qui ne méritent pas une critique moins sommaire.

618. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre IV : M. Cousin écrivain »

Ce sont donc de grands signes que le choix des mots, la longueur et la brièveté des périodes, l’espèce et le nombre des métaphores ; le tour des phrases explique l’espèce des idées et l’écrivain annonce tout l’homme. […] Je prends une phrase très-courte, je suppose qu’un analyste du dix-huitième siècle soit ici et veuille la comprendre : comptez toutes les tranformations qu’il devra lui faire subir, et jugez par le nombre des traductions à quelle distance la pensée philosophique de M.  […] C’est alors qu’il s’écrie, sauf à s’en repentir plus tard : « Le Dieu de la conscience n’est pas un Dieu abstrait, un roi solitaire, relégué par-delà la création sur le trône désert d’une éternité silencieuse et d’une existence absolue qui ressemble au néant même de l’existence ; c’est un Dieu à la fois vrai et réel, un et plusieurs, éternité et temps, espace et nombre, essence et vie, indivisibilité et totalité, principe, fin et milieu, au sommet de l’être et à son plus humble degré, infini et fini tout ensemble, triple enfin, c’est-à-dire à la fois Dieu, nature et humanité. » Et combien le style vague et allemand convient à ces effusions lyriques !

619. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « EUPHORION ou DE L’INJURE DES TEMPS. » pp. 445-455

Virgile, au troisième livre des Géorgiques, accuse aussi la même difficulté de se faire jour : Omnia jam vulgata…, et Tite-Live, dans la préface de son histoire, semble comme accablé d’avance sous le nombre de je ne sais quels illustres devanciers : « … Et, si in tanta scriptorum turba mea fama in obscuro sit, nobilitate ac magnitudine eorum, meo qui nomini officient, me consoler. » Les érudits seuls savent peut-être aujourd’hui quelques noms de cette foule de poëtes et d’historiens célèbres, d’où se sont dégagés à grand’peine Tite-Live et Virgile. […] Quelques-unes, qui semblaient plus impatientes et plus désespérées que les autres, s’avançaient jusque dans les flots de ce Styx d’oubli, et elles tendaient les bras vers la barque, déjà lointaine, qui emmenait un petit nombre de nobles figures immobiles et sereines sous le rayon ; on aurait dit que les délaissés prenaient tous les hommes et tous les Dieux à témoin d’une injustice criante qu’elles étaient seules, hélas !

620. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. A. Thiers : Histoire de la Révolution française — II. La Convention après le 1er prairal. — Le commencement du Directoire. »

Cette opinion aujourd’hui ne serait soutenable que pour un petit nombre de meneurs subalternes ; car la conviction et, si l’on veut, la frénésie sincère et profonde des principaux ne saurait être révoquée en doute : eux aussi ils ont rendu témoignage sur l’échafaud. […] A peine remise des attentats et des vengeances de prairial, privée d’un grand nombre de ses membres condamnés ou compromis, et aussi mutilée qu’au plus fort de la Terreur, la Convention avait repris son rôle paisible d’Assemblée législative, et la Commission des Onze lui présentait cette belle et sage Constitution de l’an III, qui devait pacifier la France, si la France alors avait pu être pacifiée par une Constitution.

621. (1875) Premiers lundis. Tome III « Profession de foi »

C’est ce qu’un trop petit nombre des anciens rédacteurs du Globe comprirent dans le premier moment. […] Nous étions loin de regarder les quatre grandes lois, municipale, électorale, de la garde nationale et du jury, comme la conception définitive qui allait désormais régler et clore les destinées de l’humanité ; mais nous pensions qu’en s’appuyant là-dessus conformément à l’opinion du grand nombre, un gouvernement intelligent et fort aurait pu noblement vaquer à la double tâche qui lui était imposée, d’émanciper graduellement les classes pauvres et laborieuses, de favoriser et de garantir l’affranchissement  des nations européennes.

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