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814. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sylvain Bailly. — II. (Fin.) » pp. 361-379

Il aime encore mieux le chercher que l’avoir trouvé ; il a besoin, pour le mieux doter, que ce peuple perdu soit tout à fait reculé et comme enseveli dans les profondeurs historiques antérieures au déluge : « Les Gaulois ne sont pas assez inconnus, dit-il quelque part, pour qu’on puisse leur accorder un savoir illimité. » Il a l’air, par moments, de vouloir donner à ce peuple anonyme le nom à demi fabuleux d’Atlantes ; puis, sur le point de se prononcer, il hésite, et il se décide plutôt à faire des Atlantes les conquérants qui auront détruit son peuple chéri. […] Interrogé par Voltaire en 1776 sur la valeur de l’opinion énoncée au tome Ier de l’Histoire de l’astronomie, il répondait : « Le rêve de Bailly sur ce peuple ancien qui nous a tout appris, excepté son nom et son existence, me paraît un des plus creux qu’on ait jamais eus ; mais cela est bon à faire des phrases, comme d’autres idées creuses que nous connaissons et qui font dire qu’on est sublime. » D’Alembert aigre, exact et sec, détestait Buffon et n’épargnait point Bailly qu’il considérait alors comme un satellite du grand naturaliste pour les systèmes. […] Les États généraux étant convoqués, il raconte que, le 21 avril 1789, se rendant de sa maison de Chaillot au district des Feuillants pour y nommer des électeurs, il eut, par un jeune homme qu’il rencontra et dont il ne savait pas le nom, le premier avis qu’il y serait nommé l’un des électeurs, lui-même : Je le remerciai de cette opinion et n’y comptai pas plus. […] Duveyrier portant la parole pour les électeurs se félicitait également en leur nom de recevoir les anges de paix que l’Assemblée leur envoyait. […] Enfin, il se laisse conduire au fauteuil, et prend la présidence, sous le nom de doyen.

815. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — II » pp. 71-89

S’il ne les avait pas lus lui-même, il s’était fait lire quelque chose de Tite-Live, de Langey, de Guichardin (dont il a oublié le nom, mais qu’il appelle un bon auteur) : « Il me semblait, dit-il quelque part, lorsque je me faisais lire Tite-Live, que je voyais en vie ces braves Scipions, Catons et Césars ; et quand j’étais à Rome, voyant le Capitole, me ressouvenant de ce que j’avais ouï dire (car de moi j’étais un mauvais lecteur), il me semblait que je devais trouver là ces anciens Romains. » Voilà le degré de culture de Montluc ; c’était assez, avec son esprit naturel et son amour de la gloire, pour le mener, sans imitation directe, à être l’émule de ces anciens qu’il connaît peu. […] Il semble qu’il veuille épargner ses secrétaires : c’est dommage qu’il n’est greffier du parlement de Paris, car il gagnerait plus que Du Tillet ni tous les autres. » Ayant à entrer quelquefois dans les parlements de Toulouse et de Bordeaux, quand il était lieutenant pour le roi en Guyenne, il n’en revenait pas de voir que tant de jeunes hommes s’amusassent ainsi dans un palais, vu qu’ordinairement le sang bout à la jeunesse : « Je crois, ajoutait-il, que ce n’est que quelque accoutumance ; et le roi ne saurait mieux faire que de chasser ces gens de là, et les accoutumer aux armes. » Mais toutes ces sorties contre ce qui n’est pas gloire des armes et d’homme de guerre n’empêchent pas Montluc de sentir l’importance de ce chétif instrument, la plume : il s’en sert,-sachant bien que ce n’est que par là et moyennant cet auxiliaire qu’il est donné à une mémoire de s’immortaliser, qu’il n’en sera de votre nom dans l’avenir que selon qu’il restera marqué en blanc ou en noir par les historiens ; et son ambition dernière, à lui qui a tant agi, c’est d’être lu : « Plût à Dieu, dit-il, que nous qui portons les armes prissions cette coutume d’écrire ce que nous voyons et faisons ! […] Montluc, comme parlant à un roi soldat, se met donc tout d’abord à énumérer les forces de l’armée de Piémont et à nombrer les corps qui la composent ; il commence, comme de juste, par les Gascons : Sire, nous sommes de cinq à six mille Gascons… Car vous savez que jamais les compagnies ne sont du tout complètes, aussi tout ne se peut jamais trouver à la bataille ; mais j’estime que nous serons cinq mille cinq cents ou six cents Gascons comptés, et de ceux-là je vous en réponds sur mon honneur ; tous, capitaines et soldats, vous baillerons nos noms et les lieux d’où nous sommes, et vous obligerons nos têtes que tous combattrons le jour de la bataille, s’il vous plaît de l’accorder, et nous donner congé de combattre. […] On essaya dans le conseil à Paris de bien des noms : le connétable de Montmorency en proposait un, le duc de Guise un autre, le maréchal de Saint-André avait aussi son protégé. « Vous ne m’avez point nommé Montluc », dit le roi […] Car un des caractères de ce siège, et qui le distingue des autres sièges également soutenus à outrance dont l’histoire a gardé les noms, c’est que le sentiment qui anime les chefs de ceux qui résistent et qui s’opiniâtrent ainsi, est un sentiment que j’appellerai éclairé ou civilisé, un sentiment tout d’honneur chez Montluc, tout de patriotisme et d’indépendance chez les Siennois.

816. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Henri IV écrivain. par M. Eugène Jung, ancien élève de l’École normale, docteur es lettres. — I » pp. 351-368

Le nom d’écrivains proprement dits continue d’appartenir à ceux qui de propos délibéré choisissent un sujet, s’y appliquent avec art, savent exprimer même ce qu’ils n’ont pas vu, ce qu’ils conçoivent seulement ou ce qu’ils étudient, se mettent à la place des autres et en revêtent le rôle, font de leur plume et de leur talent ce qu’ils veulent : heureux s’ils n’en veulent faire que ce qui est le mieux et s’ils ne perdent pas de vue ce beau mot digne des temps de Pope ou d’Horace : « Le chef-d’œuvre de la nature est de bien écrire. » Les autres, les hommes d’action, qui traitent de leurs affaires, ne sont écrivains que d’occasion et par nécessité ; ils écrivent comme ils peuvent et comme cela leur vient ; ils ont leurs bonnes fortunes. Toutefois, la ligne qui sépare les uns des autres se confond souvent, et si l’on prend, par exemple, les noms des grands capitaines, des grands rois et ministres qui ont écrit, et dont la pensée se présente d’abord, César, Henri IV, Richelieu, Louis XIV, Frédéric, Napoléon, on trouvera que César et Frédéric avaient beaucoup du littérateur en eux, qu’il y avait en Richelieu de l’auteur, et de tous ces illustres personnages que je viens de citer, ceux qui sont le moins du métier, les seuls même qui n’en soient pas du tout, c’est encore Louis XIV et Henri IV. […] La différence est à la vue comme dans les noms. » Laissons les environs de Paris, et ne prenons que les autres lieux de la « douce France », comme disait Henri. […] Je sais ce qu’on doit à Pline et à ce dieu révéré du Clitumme, avec ce petit temple de marbre blanc et ces chapelles d’alentour que l’on voyait étinceler à travers les bouquets de verdure, — fond de paysage du Poussin ; — mais y a-t-il rien d’aussi doux et d’aussi pénétrant au cœur que ce pays tout naturel, cette petite Hollande et cette Venise sans nom, cette humble marine bocagère, où il fait si bon chanter, où l’on se peut réjouir avec ce qu’on aime, et plaindre une absence ? […] Mme de Grammont resta encore quelque temps la maîtresse en nom de Henri, même après qu’il eut passé la Loire et qu’il eut fait sa jonction avec l’armée royale et catholique.

817. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Santeul ou de la poésie latine sous Louis XIV, par M. Montalant-Bougleux, 1 vol. in-12. Paris, 1855. — II » pp. 39-56

La duchesse du Maine, qui, dans les premières années de son mariage, s’essayait dès Chantilly à ce long enfantillage de Sceaux, et qui avait pris pour nom de guerre un nom de nymphe de son invention, Salpetria, lutinait tout le jour. […] C’est alors qu’un léger incident survint, qui amena autour du nom et de la personne de Santeul la plus formidable querelle qu’on pût imaginer. […] Au nom des amis de M.  […] Il y avait de ces jeunes malins jésuites, espiègles déjà comme le sera Gresset, qui, pour s’assurer si le repentir de Santeul était bien sincère, se déguisaient en jansénistes dans des lettres qu’ils lui écrivaient ; ils signaient, au bas le nom de quelque curé respectable, du curé de Saint-Jacques-du-Haut-Pas, par exemple : « Quoi !

818. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres inédites de P. de Ronsard, recueillies et publiées par M. Prosper Blanchemain, 1 vol. petit in-8°, Paris, Auguste Aubry, 1856. Étude sur Ronsard, considéré comme imitateur d’Homère et de Pindare, par M. Eugène Gandar, ancien membre de l’École française d’Athènes, 1 vol. in-8°, Metz, 1854. — I » pp. 57-75

Je la rassemblais autour du nom de Ronsard, et je la limitais moi-même dans ces vers où, ce me semble, je ne demandais que peu. […] Mais qu’un peu de pitié console enfin tes mânes ; Que, déchiré longtemps par des rires profanes, Ton nom, d’abord fameux, recouvre un peu d’honneur ; Qu’on dise : il osa trop, mais l’audace était belle ; Il lassa, sans la vaincre, une langue rebelle, Et de moins grands depuis eurent plus de bonheur. […] À l’instar de ces maîtres, il apporte aux Français l’ode, le nom et la chose, et il se pique de l’offrir dans toute sa variété. […] Ferez vos noms par toute Europe craindre : Et l’âge d’or verra de toutes parts Fleurir les lys entre les léopards. […] Il faut lire toute la pièce, qui, avec celle des muses délogées, est une des meilleures du Ronsard mûri ou plutôt vieilli, et l’on conçoit, à la lecture de tels vers, qu’on ait rapproché de son nom celui de Corneille.

819. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Sénecé ou un poète agréable. » pp. 280-297

Émile Chasles, qui, fort jeune, soutient par des travaux solides et avec une application suivie un nom brillant dans les lettres, se trouvant il y a peu d’années professeur à Mâcon, eut l’idée de rassembler tout ce qu’il pourrait recueillir sur le poète de cette province le plus célèbre avant M. de Lamartine. […] Né à Mâcon le 27 octobre 1643, fils d’un père lieutenant-général au bailliage, petit-fils et arrière-petit-fils de médecins fort considérés, Antoine Bauderon (c’était son nom de famille), connu sous le nom de Sénecé, qui est celui d’une terre, reçut une éducation très littéraire, mais qui sentait un peu la province. […] Il s’en plaint sans cesse, il y revient en idée, il renoue et entretient tant qu’il peut des relations de compliments et de louanges avec les grands noms qu’il a connus. […] Ce voyage à la recherche du bon goût rappelle forcément Le Temple du goût de Voltaire : les sujets ou du moins les noms sont semblables ; mais à la manière dont ils sont touchés ou traités, quelle différence !

820. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le duc de Rohan — III » pp. 337-355

Il s’agissait de trouver un personnage qui les poussât et les guidât, « adroit à manier les peuples, agréable aux Grisons (la plupart protestants) », propre « à remettre ces gens-là peu à peu et à regraver dans leurs esprits la dévotion qu’ils commençaient à perdre pour les Français, et qui fût de tel poids, qu’il pût être en ce pays comme garant et caution de son maître », sans que le nom de ce maître fût mis d’abord trop en montre. […] On dit que, la circonspection continuant à dominer Rohan, il était d’avis d’une retraite et d’évacuer le pays, mais que le marquis de Montausier (frère aîné de celui qui s’est illustré depuis sous ce nom), un de ses lieutenants les plus distingués, et qui avait reconnu de près la position de l’ennemi, insista vivement pour l’attaque. […] Sur ces entrefaites, Serbelloni, se souvenant que le duc de Rohan avait été un rebelle à son roi, essaya de le tenter : il lui envoya un gentilhomme appelé Du Clausel, ancien agent du duc auprès de la Cour d’Espagne dans les guerres civiles ; le nom de la reine Marie de Médicis était fort mêlé à cette intrigue. […] Cette honte était telle qu’elle ne pouvait être réparée, et, quelque excuse qu’il pût donner à sa faute, et le plus favorable nom qu’elle pût recevoir de ceux mêmes qui seraient plus ses amis, était celui de manque de cœur. […] Quoi qu’il en soit, il est, par le rare assemblage de ses mérites, une des figures originales de notre histoire ; et, quand pour le distinguer des autres de son nom et pour caractériser ce dernier mâle de sa race, quelques-uns continueraient de l’appeler par habitude le grand duc de Rohan, il n’y aurait pas de quoi étonner : à l’étudier de près et sans prévention dans ses labeurs et ses vicissitudes, je doute que l’expression vienne aujourd’hui à personne ; mais, la trouvant consacrée, on l’accepte, on la respecte, on y voit l’achèvement et comme la réflexion idéale de ses qualités dans l’imagination de ses contemporains, cette exagération assez naturelle qui compense justement peut-être tant d’autres choses qui de loin nous échappent, et on ne réclame pas.

821. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La Margrave de Bareith Sa correspondance avec Frédéric — II » pp. 414-431

Votre volonté est accomplie, lui écrivait-il après la victoire de Lowositz (4 octobre 1756)ak; impatienté par les longueurs des Saxons, je me suis mis à la tête de mon armée de Bohême, et j’ai marché d’Aussig à un nom qui m’a paru de bon augure, étant le vôtre, au village de Welmina. […] Frédéric lui écrit le 7 juillet (1757) ces paroles significatives, qui définissent bien, dans ces conjonctures si graves, le rôle délicat qu’elle s’est donné et qu’il lui confirme : Puisque, ma chère sœur, vous voulez vous charger du grand ouvrage de la paix, je vous supplie de vouloir envoyer ce M. de Mirabeau (ce nom est-il bien exact ?) […] Il ne faut point que mon nom partage cet éloge ; il faut que tout le monde sache qu’elle est digne de l’immortalité ; et c’est à vous de l’y placer. […] Nommons-les par leurs noms : la sœur de Louis XVI, Mme Élisabeth, qui aurait pu tant de fois s’échapper et sortir de France, voulut demeurer là où était le danger et se résigna à tout souffrir et à périr. […] Elle a son nom désormais et son titre dans l’avenir, sa correspondance couvre et rachète ses mémoires, et quand il sera question d’elle, on dira d’abord : C’est une sœur de roi.

822. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Béranger, recueillie par M. Paul Boiteau. »

La Correspondance, venant sur le tout, en quatre gros volumes, a payé les frais de cette indiscrétion des amis, de cet agacement de nerfs donné par eux au public et à ceux qui parlent en son nom. […] Conçoit-on un éditeur, au contraire, qui intervient à tout propos à travers son auteur, parle en son propre nom durant des pages, exprime son opinion sur les événements et sur les personnes, prétend dicter à chacun le ton et donner la note sur ce qu’on peut juger aussi bien que lui ; qui déclare que la France, après s’être incarnéedans Napoléon, s’incarna une seconde fois dans Béranger, et que, depuis 1815 jusqu’en 1857, « la poésie de Béranger est Vessieu sur lequel tourne notre histoire : il a mû quarante ans nos destinées !  […] car il est allé choisir exprès ces deux grands noms (tome I, page 40). imaginez, au contraire, que, tout à côté, les lettres de Béranger remettent les choses à leur juste point : cet homme de sens, tout coquet qu’il est par moments, ne se surfait pas d’une ligne en politique ni en littérature. […] C’est ainsi que, pris à partie le 31 juillet 1830, c’est-à-dire au lendemain des trois journées, par un jeune homme qui lui demande résolûment ce qui est à faire, il répond par ce sincère aveu : « Je ne suis pas orléaniste, et vos amis paraissent disposés à me donner ce nom. […] Poticier, d’autres encore, sont les confrères ; ce sont tous noms assez vulgaires et communs ; nous sommes en pleine roture : est-ce que par hasard nous en rougirions ?

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