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926. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre VII. La littérature et les conditions économiques » pp. 157-190

Grâce aux machines, une multiplication des produits comparable à celle que l’imprimerie opéra pour les livres ; un confort tout nouveau répandu dans les couches moyennes de la société ; puis d’immenses agglomérations de travailleurs formées de toutes parts ; ici des mines de fer ou de houille ensevelissant dans leurs profondeurs toute une population souterraine exilée du soleil ; là des cités, noires de charbon et de fumée, s’improvisant sur un sol boueux d’ort montent, comme les mâts d’une flotte pétrifiée, de colossales cheminées de briques ; partout des faubourgs environnant les vieilles villes d’un cercle de manufactures et de masures sordides ; puis les campagnes se dépeuplant au profit de ces centrés de production, qui fonctionnent comme autant de foyers aussi intenses que dévorants : voilà quelques résultats, visibles au premier coup d’œil, de cette fièvre d’activité qui a transformé et bouleversé les conditions économiques du monde contemporain. […] Les « ratés » de la bohème s’épuisant à courir après un gîte et un souper problématiques, et ce qu’on appelle de nos jours le prolétariat intellectuel rejoignent à travers les siècles les misères d’un Rutebœuf, couchant sur la paille, toussant de froid, bâillant de faim, ayant pour toute fête l’espérance du lendemain, ou d’un Villon, vivotant d’expédients et de filouteries, frisant la potence et promenant de prison en prison son squelette plus noir qu’une mûre et plus maigre qu’une chimère.

927. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 mai 1886. »

Whistler a remplacé, sans raison, par les formes ingracieuses d’un personnage en habit noir, ce qui, l’année dernière, rendait si intense l’émotion de son tableau, ces vagues contours féminins, et cette ressemblance d’un mince visage lascif, imprégnant à peine d’une mystérieuse tache claire l’harmonie sombre des couleurs, Aujourd’hui ce n’est plus une symphonie, mais un portrait : et nous nous affligeons, alors, de ce que la réalité visuelle n’ait pas été reproduite. […] Si la Déesse, couronnant de roses sa noire chevelure retenue par une résille grecque sur une nuque que penche la volupté, croisant sur ses pieds d’albâtre les bandelettes purpurines de ses sandales, exerçant tous les pouvoirs et déployant tous les charmes renfermés sous ses paupières demi-closes et dans cette ceinture qui tantôt reluit, tantôt échappe aux yeux, avait pu sembler au Poète enivré la beauté même, la beauté absolue, inégalée et inégalable, la princesse Elisabeth devait ravir son âme par une beauté suprême et surprenante, qu’on eût dit descendre du haut de l’Empyrée, pour le disputer à celle qui, de l’insondable profondeur des îlots amers, était montée au séjour des hommes.

928. (1920) Action, n° 3, avril 1920, Extraits

Puis, un beau jour, il sera dans un accès de colère populaire irraisonné et absurde, arrosé de pétrole et ars, Chaque semaine, l’Amérique offre ainsi quelques victimes à peau noire en holocauste à la divine civilisation. […] Ecrit allègrement, avec parfois une touche solide d’homme maître également de ses nerfs et de sa plume, ce livre pourrait permettre à un psychiatre, par comparaison à Kœnismark et à l’Atlantide, de dresser l’Horoscope mental de Pierre Benoît, car il n’est aucun doute que l’auteur soit hanté par les fatalités sexuelles, des amours cléopatriques, des complications de messes noires, et la plus bourgeoise des ambitions d’aventures.

929. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « H. Forneron » pp. 149-199

l’homme noir de l’Escurial, le dur Trappiste de la Royauté, le bourreau des Flandres… à distance, n’est pas ce qu’on peut appeler une âme tendre ; mais il n’en a pas moins aimé. […] Très au-dessous de Charles-Quint, son père, dont il n’avait, si on en croit ses portraits, que la mâchoire lourde et les poils roux dans une face inanimée et pâle, ce Scribe qui écrivait ses ordres, défiant qu’il était jusque de l’écho de sa voix, ce Solitaire, noir de costume, de solitude et de silence, et qui cachait le roi net, le rey netto, au fond de l’Escurial, comme s’il eût voulu y cacher la netteté de sa médiocrité royale, Philippe II, ingrat pour ses meilleurs serviteurs, jaloux de son frère don Juan, le vainqueur de Lépante, jaloux d’Alexandre Farnèse, jaloux de tout homme supérieur comme d’un despote qui menaçait son despotisme, Forneron l’a très bien jugé, réduit à sa personne humaine, dans le dernier chapitre de son ouvrage, — résumé dont la forte empreinte restera marquée sur sa mémoire, — comme il a bien jugé aussi Élisabeth, plus difficile à juger encore parce qu’elle eut le succès pour elle et qu’on ne la voit qu’à travers le préjugé de sa gloire.

930. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre I. Du comique en général »

un visage noir serait donc pour notre imagination un visage barbouillé d’encre ou de suie. […] Maintenant, la coloration noire ou rouge a beau être inhérente à la peau : nous la tenons pour plaquée artificiellement, parce qu’elle nous surprend.

931. (1856) Mémoires du duc de Saint-Simon pp. 5-63

Dimanche, de Jacques Bonhomme et de Voltaire ; nous nous sentions devant eux comme des écoliers pris en faute ; nous regardions avec chagrin notre triste habit noir, héritage des procureurs et des saute-ruisseaux antiques ; nous jetions les yeux au bout de nos manches, avec inquiétude, craignant d’y voir des mains sales. […] Souvent il baissait la vue, quand il attrapait mes regards ; une fois ou deux, il fixa le sien sur moi, et je me plus à l’outrager par des sourires dérobés, mais noirs qui achevèrent de le confondre.

932. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite.) »

Quand de bons forgerons dans une forge noire Fredonnent en lançant le marteau sur le fer, Le passant qui les voit s’étonne ; il ne peut croire Qu’on puisse vivre un jour dans ce cruel enfer.

933. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « HOMÈRE. (L’Iliade, traduite par M. Eugène Bareste, et illustrée par M.e Lemud.) —  second article  » pp. 342-358

Ce vaisseau noir à l’extrémité de l’aile droite du camp domine tout ; les regards à chaque instant s’y retournent comme vers une divinité muette ; il recèle la foudre presque à l’égal de l’Ida.

934. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « L’abbé Prevost et les bénédictins. »

Par quel malheur est-il donc arrivé qu’on n’a jamais cessé de me regarder avec défiance dans la Congrégation, qu’on m’a soupçonné plus d’une fois des trahisons les plus noires, et qu’on m’en a toujours cru capable, lors même que l’évidence n’a pas permis qu’on m’en accusât ?

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