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290. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « V »

Ce que nous enseignons, ce serait « la mise en œuvre des procédés de l’art d’écrire préalablement décomposés par un habile homme, tandis que l’art est l’exercice spontané et ingénu d’un talent naturel ».‌ […] et, si la page est de Montesquieu ou de Flaubert, direz-vous que ce n’est pas de « l’art spontané », qu’il n’y a pas de talent naturel, parce que le travail y a dissimulé le travail ? […] Tant mieux, si c’est par spontanéité (et ceci serait à débattre pour Saint-Simon) ; mais il n’est pas du tout vrai que l’art naturel soit exclusivement le résultat de l’inspiration facile.

291. (1739) Vie de Molière

On commença à ne plus estimer que le naturel ; et c’est peut-être l’époque du bon goût en France. […] Il est vraisemblable, naturel, tiré du fond de l’intrigue ; et, ce qui vaut bien autant, il est extrêmement comique. […] Cette façon de traiter le Misanthrope est la plus commune, la plus naturelle, et la plus susceptible du genre comique. […] C’est ce naturel grossier qui fait le plaisant de la comédie ; et voilà pourquoi ce n’est jamais que dans la vie commune qu’on prend les personnages comiques. […] L’auteur de Cinna fit à l’âge de 67 ans cette déclaration de Psyché à l’Amour qui passe encore pour un des morceaux les plus tendres et les plus naturels qui soient au théâtre.

292. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — C — Cantacuzène, Charles-Adolphe (1874-1949) »

Stéphane Mallarmé « Une naturelle et élégante badine qui cingle des fleurs et, par instants, rylhme songeur un souvenir… » [Lettre (juin 1897).] […] Celui-ci, en effet, sans autre labeur que de suivre son naturel, atteint aussitôt l’étrange et le compliqué ; les mots s’assemblent pour lui en couples imprévus et extravagants et, jusque dans le titre de ses livres, il consent même au calembour, si bien qu’il est assez difficile de distinguer en son œuvre où finit la farce et où commence l’émotion.

293. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 306-307

Son Epître à Racine, celle à M. le Cardinal de Bernis, & la plupart de ses autres Pieces fugitives, annoncent de l’esprit, de l’imagination, & le talent de rendre, d’une maniere naturelle, & de revêtir d’une versification douce & variée, les différentes affections du cœur & de l’esprit. […] La marche de cette Piece est simple & naturelle ; les principaux caracteres nous ont paru bien dessinés & bien soutenus ; le style en est agréable, facile & correct : cet Ouvrage en un mot annonce un vrai talent pour l’Art sublime de Melpomene, si défiguré par le plus grand nombre des Poëtes qui le cultivent aujourd’hui.

294. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Béranger, recueillie par M. Paul Boiteau. »

De tels passages de lettres ne sont autres que d’excellentes chansons en prose, étendues et développées, et avec je ne sais quoi de plus naturel. […] Oh sait que, jeune, il avait eu un fils naturel qu’il éleva, et auquel il était disposé à donner son nom, mais qui se montra peu digne de lui en tout, et qui alla mourir à l’île Bourbon. […] Ses lettres à Lamennais sont bien plus naturelles, et il s’y épanche avec plus de liberté. […] » Il me semble que ceci, dans l’ordre de la religion naturelle, ne le cède à rien et s’élève jusqu’à la grandeur. […] Il avait sur tout ce qui est argent une grande susceptibilité et une fierté naturelle qui ne transigea jamais.

295. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Mémoires de madame Roland »

Elle réunissait à ces dons, déjà si rares, beaucoup d’esprit naturel, des connaissances étendues en littérature et en économie politique. […] Je ne lui trouvai point l’élégance aisée d’une Parisienne qu’elle s’attribue dans ses Mémoires ; je ne veux point dire qu’elle eût de la gaucherie, parce que ce qui est simple et naturel ne saurait manquer de grâce. […] C’est quand elle y songe le moins et là où elle est le plus naturelle ; c’est dans ses lettres à ses amis, particulièrement dans les lettres à Bosc pour lesquelles j’ai un faible. […] Venons-en à ce qui semblera un peu moins naturel, à ses lettres d’amour, à cette passion des derniers temps à laquelle l’enhardit la Révolution et dont elle a dit avec justesse : « J’ai connu ces sentiments généreux et terribles qui ne s’enflamment : jamais davantage que dans les bouleversements politiques et la confusion de tous les rapports sociaux. » Elle avait de bonne heure trop réfléchi à l’amour pour le ressentir dans toute sa naïveté. […] Chloé nous est présentée comme une personne d’une raison précoce, « d’un naturel docile mais pénétrant, cultivé par une éducation aisée et prudente, d’un esprit juste mais gai », d’une humeur enjouée et vive, sur qui les amorces qui s’adressent à la vanité ne prennent pas, mais dont le cœur peut se laisser gagner au vrai mérite et au charme d’un entretien spirituel et instructif ; une conversation « gaiement sensée ou finement badine » a des chances de lui plaire.

296. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Le père Lacordaire orateur. » pp. 221-240

L’aîné, dont on a lu des écrits dans la Revue des deux mondes, est, depuis plusieurs années, professeur d’histoire naturelle à l’université de Liège ; il a voyagé quatre fois en Amérique du Sud, et compte en première ligne parmi les entomologistes les plus distingués de notre temps, esprit net, investigateur patient, observateur précis et sévère. […] Dès le début, celui qui avait pour vocation presque naturelle de prêcher la jeunesse du xixe  siècle, cette jeunesse dont il avait été et dont, par l’accent, il ne cessera jamais d’être, se sentit en plein dans son élément. […] Par la charité, il n’y eut pas de cœur où l’Église ne pût pénétrer ; car le malheur est le roi d’ici-bas, et, tôt ou tard, tout cœur est atteint de son sceptre… Désormais l’Église pouvait aller avec confiance conquérir l’univers, car il y a des larmes dans tout l’univers, et elles nous sont si naturelles, qu’encore qu’elles n’eussent pas de cause, elles couleraient sans cause, par le seul charme de cette indéfinissable tristesse dont notre âme est le puits profond et mystérieux. […] Il croissait sous la triple garde de ces fortes vertus ; il croissait comme un enfant de Sparte et de Rome, ou pour mieux dire encore, et pour dire plus vrai, il croissait comme un enfant chrétien, en qui la beauté du naturel et l’effusion de la Grâce divine forment une fête mystérieuse que le cœur qui l’a connue ne peut oublier jamais. […] Ces humbles instructions ont du naturel, de la grâce, et avec lui elles ne manquent jamais d’élévation.

297. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Les Confessions de J.-J. Rousseau. (Bibliothèque Charpentier.) » pp. 78-97

La prose de Buffon, dans les premiers volumes de l’Histoire naturelle, lui offrait quelque image de ce qu’il désirait, une image plus majestueuse que vive, un peu hors de portée, et trop enchaînée à des sujets de science. […] L’idée d’écrire des Confessions semble si naturelle à Rousseau, et si conforme à son humeur comme à son talent, qu’on ne croirait pas qu’il y ait eu besoin de la lui suggérer. […] En me livrant à la fois au souvenir de l’impression reçue et au sentiment présent, je peindrai doublement l’état de mon âme, savoir au moment où l’événement m’est arrivé et au moment où je l’ai décrit ; mon style inégal et naturel, tantôt rapide et tantôt diffus, tantôt sage et tantôt fou, tantôt grave et tantôt gai, fera lui-même partie de mon histoire. […] De telles pages étaient en littérature française la découverte d’un monde nouveau, d’un monde de soleil et de fraîcheur qu’on avait près de soi sans l’avoir aperçu encore ; elles offraient un mélange de sensibilité et de naturel, et où la pointe de sensualité ne paraissait qu’autant qu’il était permis et nécessaire pour nous affranchir enfin de la fausse métaphysique du cœur et du spiritualisme convenu. […] Tout le Rousseau naturel est là avec sa rêverie, son idéal, sa réalité ; et cette pièce de six blancs elle-même, qui vient après le rossignol, n’est pas de trop pour nous ramener à la terre et nous faire sentir toute l’humble jouissance que la pauvreté recèle en soi quand elle est jointe avec la poésie et avec la jeunesse.

298. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Histoire du chancelier d’Aguesseau, par M. Boullée. (1848.) » pp. 407-427

D’Aguesseau naquit en 1668 à Limoges, où son père était alors intendant, un père vénérable dont il nous a retracé la vie ; et il reçut de lui une éducation domestique forte et tendre, qui rencontra le naturel le plus docile et le plus heureux. […] Boullée, paraît croire que Saint-Simon, en jugeant l’illustre chancelier, a cédé à je ne sais quelle antipathie naturelle et instinctive contre les gens de robe ; il conteste l’exactitude et la sagacité du redoutable moraliste qui n’a été ici, comme en bien des cas, que très clairvoyant. […] C’est dans cette retraite heureuse que, rendu à ses goûts naturels, il nous apparaît avec toutes ses qualités douces, tempérées, ingénieuses, et le plus à son avantage. […] Pourquoi aller donner la main à Hobbes ou aux Pyrrhoniens, à ces ennemis des premières vérités naturelles ? […] D’Aguesseau, comme Platon, comme Cicéron, croit à une certaine idée naturelle de la justice, qui n’est pas l’intérêt ni l’utilité, mais le droit ; il croit, indépendamment de la révélation positive, au triomphe de cette idée dans les lois des grands législateurs et des grands peuples, à la conscience du genre humain.

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