La manière de Baudelaire ne comporte ni cette humilité, ni ce refus d’aller jusqu’aux profondeurs des âmes, ni cet accompagnement en sourdine, contradictoire et moqueur, ni ce scepticisme, ni cet humour et ses caprices, ni cette façon de « mettre de grandes douleurs dans de petites chansons », ni cette veine populaire du lied, ni cette musique en ton mineur. […] Il importe qu’il ait des maîtres, et qu’à un moment donné il se sépare d’eux ; qu’il fasse de multiples gammes, mais sans les confondre avec la musique idéale qu’elles sont seulement chargées de préparer ; qu’il se livre à toute sorte d’exercices, non pour eux-mêmes, mais pour qu’ils lui procurent la maîtrise des mots, des images, et des sons. […] Que d’oreilles sont blessées, irritées, par une musique où elles ne trouvent que des dissonances ! […] La gloire la plus pure peut-être ; car si celle du romancier est plus étendue et celle du dramaturge plus bruyante, celle du poète a dans les âmes de plus profondes résonnances, et plus durables ; la mémoire, fidèle gardienne du rythme, fait revivre pour chaque lecteur, à chaque moment du jour, la musique qui l’a ravi ; son admiration se nuance d’une ferveur amie, qui jamais ne se lasse et toujours recommence le chant. […] De même, mais d’un accent plus vigoureux et plus pathétique, Jean-Jacques Rousseau élevait sa prose jusqu’au sublime des vers : il l’animait d’une musique prodigieuse.
D’ailleurs en choisissant le mot Poésie pour lui donner ce sens universel, je sous-entendais une distinction qu’il faut maintenant préciser entre l’art général — que nous nommons poésie, et la technique particulière de chaque expression artistique : les vers, la musique, la peinture… Désormais toutefois, je me restreindrai à l’art écrit, à celui qu’on a pu par excellence désigner du terme de poésie. […] Le sentiment lui-même a pris le masque de la sensation ; mais la musique et la peinture de ses vers reconstituent, par le logique enchaînement de la sensation au sentiment et à la pensée, tout le composé humain. […] Voyez le rôle que la personnalité du Christ a repris dans la poésie sous toutes ses formes, depuis qu’on l’a rapproché de nous. — Voyez en musique les plus grands artistes s’inspirer avec prédilection de cette figure tendre et pensive en des chefs-d’œuvre comme « l’Enfance du Christ » de Berlioz, le « Parsifal » de Wagner, « les Béatitudes » de César Franck (pour ne citer que ceux-là). — Voyez en peinture : là le mouvement va jusqu’à l’excès, voire jusqu’à la caricature, et l’on ne peut plus compter les exemplaires de la peinture religieuse ramenée aux proportions humaines, qui fait la plus singulière caractéristique des salons annuels. — Voyez en littérature, voyez même au théâtre. […] Ou bien au contraire elle envahit le domaine plastique, hérisse le style écrit de termes arides et qui ne font pas image, encombre la peinture et la musique de théories réputées infaillibles, de procédés qui suppriment l’émotion et l’instinct et prétendent mettre l’artiste à même de produire à coup sûr des œuvres irréprochables.
Un troisième élément intervient quand les mouvements gracieux obéissent à un rythme, et que la musique les accompagne. […] Dans les procédés de l’art on retrouvera sous une forme atténuée, raffinés et en quelque sorte spiritualisés, les procédés par lesquels on obtient ordinairement l’état d’hypnose. — Ainsi, en musique, le rythme et la mesure suspendent la circulation normale de nos sensations et de nos idées en faisant osciller notre attention entre des points fixes, et s’emparent de nous avec une telle force que l’imitation, même infiniment discrète, d’une voix qui gémit suffira à nous remplir d’une tristesse extrême. Si les sons musicaux agissent plus puissamment sur nous que ceux de la nature, c’est que la nature se borne à exprimer des sentiments, au lieu que la musique nous les suggère. […] Comprendrait-on le pouvoir expressif ou plutôt suggestif de la musique, si l’on n’admettait pas que nous répétons intérieurement les sons entendus, de manière à nous replacer dans l’état psychologique d’où ils sont sortis, état original, qu’on ne saurait exprimer, mais que les mouvements adoptés par l’ensemble de notre corps nous suggèrent ?
Il cultivait avec succès la musique, la poésie et la littérature légère. Sa musique n’était point savante, mais agréable ; sa poésie n’était point sublime ; il a pourtant essayé de faire une tragédie : elle est faible, mais sans être ni ridicule ni ennuyeuse.
Prince chéri, vous nous quittez… Houdon fit son buste ; le chevalier de Bouflers lui fit des impromptu, et le duc de Nivernais (paroles et musique) faisait les chansons56. […] Cependant avec deux gros yeux dont l’un regardait à droite et l’autre à gauche, son regard n’en avait pas moins je ne sais quelle douceur, qu’on remarquait aussi dans le son de sa voix et lorsqu’on l’écoutait, ses paroles étant toujours d’une obligeance extrême : on s’accoutumait à le voir… Il avait pour les arts, et surtout pour la musique, une véritable passion, au point qu’il voyageait avec son premier violon afin de pouvoir cultiver son talent en route.
A l’Opéra, après les grands morceaux de musique on a besoin de repos, et il y a des scènes qu’on n’écoute pas. […] On l’a remarqué avec raison pour le Don Juan : il fallait qu’il passât par l’imitation de Molière pour que Mozart ensuite le mît en musique et qu’il devînt le type universel qu’on sait.
Elle cherchait à se faire une loi de ses devoirs ; elle souffrait, elle rêvait, elle avait dans les yeux des larmes vagues, quand elle vit un jour entrer chez elle M. de Francueil, homme jeune, aimable, élégant, amateur de musique comme elle, poudré comme il le fallait, le type d’un premier amant d’alors. […] Il entre de la bonne grâce, de la finesse et de l’esprit, il entre du goût des beaux-arts et de la musique dans cet amour.
De même en musique, quand elle jouait du luth ; elle préférait une expression touchante à la plus savante exécution : « La sensibilité, disait-elle, est l’âme du chant. » On a donné tant de portraits de Ninon, que je me bornerai à en indiquer un qui nous la montre dans sa jeunesse, sous son jour le plus favorable et le plus décent. […] « Les femmes courent après Mlle de Lenclos, disait Mme de Coulanges, comme d’autres gens y couraient autrefois. » Et là-dessus Mme de Sévigné écrivait à M. de Coulanges : « Corbinelli me mande des merveilles de la bonne compagnie d’hommes qu’il trouve chez Mlle de Lenclos ; ainsi elle rassemble tout sur ses vieux jours, quoi que dise Mme de Coulanges, et les hommes et les femmes. » Aucun livre ne nous rend mieux ce qu’était dans les derniers temps le salon de Mlle de Lenclos, que le Dialogue sur la musique des anciens, par l’abbé de Châteauneuf : c’est une conversation qui se tient chez elle, et où on l’entend dire son mot avec goût, avec justesse, et en excellente musicienne qu’elle était.
On nous le peint encore dans les années paisibles de son épiscopat, aimant la musique, faisant volontiers sa partie dans son intérieur avec ses chanoines et ses chantres avant ses repas : « Il se plaisait même à jouer des instruments, et souvent, avant le dîner, il touchait d’un clavecin, pour se mettre à table l’esprit plus dégagé après ses études sérieuses. » Ce goût du bon évêque alla jusqu’à entraîner des abus, et il s’introduisit dans sa cathédrale des nouveautés de chant qui scandalisèrent les classiques, les amateurs zélés de l’ancien plain-chant grégorien. […] Bon, facile, amateur de musique, un peu timide en public, un peu perdu dans les détails, vif d’humeur, mais revenant aisément, franc, ouvert et candide, tel on nous peint et tel aisément on se figure en effet le bon Amyot, que le malheur, vers la fin de son existence heureuse, vint tout à coup visiter.