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640. (1890) L’avenir de la science « V »

Oui, il viendra un jour où l’humanité ne croira plus, mais où elle saura ; un jour où elle saura le monde métaphysique et moral, comme elle sait déjà le monde physique ; un jour où le gouvernement de l’humanité ne sera plus livré au hasard et à l’intrigue, mais à la discussion rationnelle du meilleur et des moyens les plus efficaces de l’atteindre. […] Or, je le répète, il n’y a qu’un moyen de guérir de la critique comme du scepticisme, c’est d’oublier radicalement tout son développement antérieur et de recommencer sur un autre pied. […] L’habitude de ce petit monde déshabitue du grand air ; on en vient à se défier de la nature humaine et à fonder l’espérance du succès sur des moyens factices, sur d’obscures manœuvres.

641. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre V. La littérature et le milieu terrestre et cosmique » pp. 139-154

Le progrès matériel est toujours une victoire de l’homme sur la nature ; c’est un asservissement de forces jusque-là indomptées ; c’est, par conséquent, une diminution dans les moyens d’action du monde extérieur. — Il est évident que l’hiver, par exemple, aujourd’hui que les hommes savent se bâtir des maisons munies d’épaisses murailles, de doubles fenêtres, de tapis mœlleux, de tableaux ou d’étoffes qui égaient les regards, de lampes et de grands feux qui suppléent le soleil absent, de fleurs et de verdures qui donnent l’illusion du printemps, n’a plus d’effets aussi redoutables sur l’organisme humain qu’au temps où nos ancêtres, à demi nus, vivaient dans des cavernes froides, humides et obscures. […] Il suffit de quelques degrés de plus ou de moins dans la moyenne de la température pour qu’une époque s’éclaire d’un rayon de gaieté ou s’embrume de tristesse. « Si les glaciers reculent, écrit Michelet57, l’été est fort, la moisson abondante, les subsistances faciles et l’aisance assure la paix. […] Elle a mérité l’attention de la science astronomique ; on a commencé à discuter les moyens d’une télégraphie astrale.

642. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VI. Pour clientèle catholique »

Paul Bourget, de plus en plus, est un mauvais rhétoricien qui n’a rien à dire et qui cherche partout des moyens de développer ce qu’il va répéter. […] Et aujourd’hui voici que Léon Bloy abuse de ce moyen polémique, peut-être un peu usé. […] C’est aussi bête, aussi flagorneur et aussi lâche que la critique sans épithète, quand un Jules Lemaître et un Gaston Deschamps s’en font un honnête moyen de parvenir en rampant ou y montrent souriants, sous le voile incertain des sottises qu’on leur apprit, la solidité primitive de leur sottise foncière.

643. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Mémoires de Philippe de Commynes, nouvelle édition publiée par Mlle Dupont. (3 vol. in-8º.) » pp. 241-259

Il étoit naturellement ami des gens de moyen état et ennemi de tous grands qui se pouvoient passer de lui. […] On reconnaît là l’homme qui a couché de longues années, comme chambellan, dans leur chambre, qui a assisté à leurs insomnies et à leurs mauvais songes, et qui, depuis la fleur de leur âge jusqu’à leur mort, n’a pas surpris dans ces destinées si enviées un seul bon jour : Ne lui eût-il pas mieux valu, dit-il de Louis XI, à lui et à tous autres princes, et hommes de moyen état qui ont vécu sous ces grands et vivront sous ceux qui règnent, élire le moyen chemin… : c’est à savoir moins se soucier et moins se travailler, et entreprendre moins de choses ; plus craindre à offenser Dieu et à persécuter le peuple et leurs voisins par tant de voies cruelles, et prendre des aises et plaisirs honnêtes ?

644. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Portalis. Discours et rapports sur le Code civil, — sur le Concordat de 1801, — publiés par son petit-fils — I. » pp. 441-459

À cette date, l’idée d’uniformité dans la législation de l’empire ne lui paraît pas un bien : « l’uniformité dans la législation, dit-il, a toujours été un des grands moyens de préparer le despotisme. » Il considère la France, telle qu’elle était en effet alors, comme une fédération de petits États, plutôt unis que confondus, chaque petit État possédant sa législation propre, et restant indépendant jusqu’à un certain point dans les moyens de la diriger et de la contrôler. […] » Au point de vue politique toujours, il fait sentir les inconvénients d’un tel système pour le rôle de la France au-dehors et dans les relations internationales : Nos alliés, nos voisins, sont catholiques ou chrétiens ; chez les peuples modernes, la conformité des idées religieuses est devenue, entre les gouvernements et les individus, un grand moyen de rapprochement et de communication.

645. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « De la retraite de MM. Villemain et Cousin. » pp. 146-164

La Providence, qui fait aux nations des origines et des destinées diverses, ouvre aussi à la justice et à la liberté plus d’une voie pour entrer dans les gouvernements ; et ce serait réduire follement leurs chances de succès, que les condamner à se produire toujours sous les mêmes traits et par les mêmes moyens. […] Villemain a trouvé moyen de faire parler Napoléon en personne sur les études classiques et sur le haut enseignement. […] Nous osons rappeler, au milieu des portions florissantes et triomphantes de la nation industrielle et militaire, qu’il y a aussi un pays moral, littéraire ; et, sans trop imaginer les moyens de le rétablir et de le réconforter, nous désirons que de plus habiles que nous y songent.

646. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre III. Zoïle aussi éternel qu’Homère »

— « Shakespeare, dit Ben Jonson, conversait « lourdement et sans aucun esprit. » — « Without any wit. » Le moyen de prouver le contraire ! […] La diatribe est, dans l’occasion, un moyen de gouvernement. […] Chez l’abbesse de Nivelles, princesse du Saint-Empire, demi-recluse et demi-mondaine, et ayant, dit-on, recours, pour se mettre du rose aux joues, au même moyen que l’abbesse de Montbazon, on jouait des charades ; entre autres celle-ci : — La première syllabe est sa fortune ; la seconde serait son devoir. — Le mot était Vol-taire.

647. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Joseph de Maistre »

« Certainement, madame, ce chaos finira, et probablement par des moyens tout à fait imprévus. […] Vous savez que lorsqu’on se rosse un jour de vogue, surtout lorsqu’on est un peu gris, on ne sent pas les coups ; mais c’est le lendemain qu’on se trouve bleu par-ci et bleu par-là, qu’on se sent roide comme le manche d’une fourche, et qu’il n’y a pas moyen de mettre un pied devant l’autre. […] Durant ce séjour à Cagliari, ses travaux littéraires durent nécessairement s’interrompre ; il trouva pourtant moyen, sinon d’écrire, du moins d’étudier encore. […] Ainsi va le monde ; et, pour qui a la tournure d’esprit religieuse, il y a moyen encore, dans tout cela, de retrouver Dieu. — Je crois avoir répondu fort terre-à-terre, mais non pas trop indirectement, à la doctrine du Principe générateur. […] Il n’entre dans mon dessein ni dans mes moyens de discuter historiquement un livre tel que celui du Pape  ; dogmatiquement, ce n’est point aux sceptiques qu’il s’adresse, la couleuvre serait trop forte du premier coup.

648. (1865) La crise philosophique. MM. Taine, Renan, Littré, Vacherot

Taine se contente de dire avec Condillac et Locke que ces prétendues idées innées se tirent des idées sensibles par le moyen de l’analyse et de l’abstraction. […] A la vérité, si je suis fataliste, je puis bien dire que tout accident est nécessaire, et qu’il est impossible qu’il n’arrive pas ; mais c’est à la condition que j’aie obtenu déjà par quelque autre moyen l’idée du nécessaire. […] Par exemple, le jour où la science trouvera moyen de démontrer la génération spontanée, nous nous inclinerons devant cette démonstration, et nous renoncerons à l’hypothèse d’une force vitale5. […] Si ensuite elle eût cherché l’explication de ce fait, si elle en eût donné de bonnes raisons, si elle avait proposé quelques moyens pour en atténuer les conséquences, elle aurait rendu service à la philosophie. […] Les théories ne leur sont que des moyens et des échafaudages qu’ils abandonnent à la liberté des interprétations.

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