D’abord ce n’est pas du bonheur dont j’ai cru offrir le tableau : les alchimistes seuls, s’ils s’occupaient de la morale, pourraient en conserver l’espoir ; j’ai voulu m’occuper des moyens d’éviter les grandes douleurs. […] D’ailleurs, on peut trouver dans la vie un intérêt, un mobile, un but, sans être la proie des mouvements passionnés ; chaque circonstance mérite une préférence sur telle autre, et toute préférence motive un souhait, une action ; mais l’objet des désirs de la passion, ce n’est pas ce qui est, mais ce qu’elle suppose, c’est une sorte de fièvre qui présente toujours un but imaginaire qu’il faut atteindre avec des moyens réels, et mettant sans cesse l’homme aux prises avec la nature des choses, lui rend indispensablement nécessaire ce qui est tout à fait impossible. […] Newton n’eût pas osé tracer les bornes de la pensée, et le pédant que je rencontre veut circonscrire l’empire des mouvements de l’âme ; il voit qu’on en meurt, et croit encore qu’on se serait sauvé en l’écoutant : ce n’est point en assurant aux hommes que tous peuvent triompher de leurs passions, qu’on rend cette victoire plus facile ; fixer leur pensée sur la cause de leur malheur, analyser les ressources que la raison et la sensibilité peuvent leur présenter ; est un moyen plus sûr, parce qu’il est bien plus vrai. […] en s’approchant par la réflexion de tout ce qui compose le caractère de l’homme, on se perd dans le vague de la mélancolie ; les institutions politiques, les relations civiles vous présentent des moyens presque certains de bonheur ou de malheur public ; mais les profondeurs de l’âme sont si difficiles à sonder !
Il concevait la tolérance religieuse, en bon Français comme une nécessite politique, en bon chrétien comme un commandement de l’Évangile : les événements du siècle lui semblaient en donner la démonstration expérimentale, et il ne cessa de la prêcher, aux Rois, aux États, aux Parlements : c’était l’unique moyen de rétablir la paix sociale et de maintenir l’unité du royaume, disait-il quarante ans presque avant l’édit de Nantes. […] Cependant les mêmes idées commençaient à agir sur les protestants : de larges esprits s’élevaient parmi eux, qui, revenant aux vrais principes de la première réforme, ne demandaient qu’à mettre d’accord leur conscience religieuse et leur devoir de Français au moyen des conditions posées par L’Hôpital et par Bodin. […] On put lire en 1587 ses Discours politiques et militaires, où il avait versé toute son expérience et tous ses souvenirs ; Français autant que protestant, il réclamait énergiquement la paix et la tolérance, seuls moyens de rétablir le royaume et les impurs : il s’adressait aux catholiques autant qu’aux protestants ; car l’union dépendait des deux partis, mais surtout de celui qui avait la majorité du peuple et la faveur du roi. […] A mon avis, c’est pour cela précisément que l’œuvre est littérairement d’ordre moyen : cette unité de ton résulte simplement de ce qu’aucun des collaborateurs n’a une personnalité tout à fait décidée.
Il n’avait pas assez de naissance pour se passer de protecteurs, de fortune ou d’intrigue : et ces trois moyens de parvenir lui faisaient défaut. […] Il fut le principal rédacteur des articles littéraires de l’Encyclopédie ; ni les connaissances ni le goût ne lui manquaient ; et le recueil de ces articles, qui forme les Éléments de littérature, est l’expression la meilleure que nous ayons du goût moyen du xviiie siècle. […] Condillac n’enseigne point à observer les faits, base de la science ; il n’indique pas les moyens de les vérifier, de les interpréter. […] Les misères et l’oppression du peuple, à la fin du règne de Louis XIV, avaient excité des patriotes tels que Vauban et Boisguilbert à chercher, en dehors de toute doctrine politique et de toute intention révolutionnaire, les moyens d’améliorer l’état matériel du royaume.
L’un est un grand seigneur, de ceux qui avaient pu croire que l’autorité royale usurpait sur la leur ; l’autre, sans naissance, appartient à cette classe moyenne qui devait donner à la littérature française ses plus grands noms. […] Une blessure qu’il reçut à la bataille de la porte Saint-Antoine, et qui mit sa vie en danger, lui ôta le moyen de suivre jusqu’au bout la rébellion du prince de Condé. […] Il y a un moyen excellent de s’assurer si une pensée est écrite dans la langue durable : c’est si l’on s’en souvient. […] C’est du domaine de Pascal, lequel dédaigne de travailler pour la sagesse humaine, et s’occupe moins des moyens de nous conduire que de nos motifs d’abdiquer.
Celui qui manie l’instrument peut mieux que personne nous en faire connaître les avantages et les inconvénients : seul, il sait les difficultés qu’il rencontre et les moyens de les éluder, ou, ce qui vaut mieux encore, de les tourner à son profit. […] Je citerai, par exemple, un excellent chapitre de Dugald Stewart dans ses Éléments de la philosophie de l’esprit humain, où se trouve rassemblé tout ce que l’on peut dire en faveur de l’hypothèse considérée comme moyen de recherches. […] Celui-ci avait dit que l’hypothèse dans les sciences joue de plus en plus un rôle subalterne ; on lui répondit avec raison que « l’hypothèse est toujours le premier pas qu’il faut faire pour procéder à chaque nouvelle coordination des faits », qu’à la vérité « l’hypothèse ne précède pas l’observation, car la perception desfaits est elle-même une condition indispensable de la production des hypothèses », mais qu’elle la suit, et qu’elle-même précède le raisonnement sur les faits, « car on ne peut raisonner sur les faits observés qu’au moyen d’une idée préalablement adoptée : on ne cherche à démontrer que les théorèmes qu’on s’est posés 24. » On trouvera dans la même leçon beaucoup d’autres idées très-dignes d’être méditées, et, dans cette lutte curieuse entre l’Église et l’hérésie, nous croyons que c’est l’Église qui avait raison. […] Les théories ne sont que des moyens de recherche, des représentations approximatives et partielles de la vérité absolue ; elles ne sont pas la vérité absolue elle-même.
On prend pour matière ces idées générales, ces descriptions de sentiments, ces vérités moyennes, qui sont l’objet propre de l’éloquence. […] Cousin, si ce n’est dans la possession de cette raison, dans l’art de bien développer, dans la bonne composition, dans la faculté d’expliquer en style élevé et clair les vérités moyennes ? […] Les vérités moyennes sur lesquelles il s’exerce sont les lieux communs ; et, comme il les développe, il les rend plus communs encore. […] Mlle de Bourbon va au couvent ; il décrit ce couvent, mesure son étendue, nomme toutes les rues qui le bornent, indique l’entrée, la place des jardins, des chapelles, de l’infirmerie, des appartements séparés, les dates, les moyens et la grandeur des accroissements successifs.
Ainsi, mes sens me donnent l’idée d’un corps étendu ; la théorie prétend que par aucun moyen je ne pourrai tirer de cette idée la notion de l’étendue infinie qu’on appelle l’espace. […] Mais vous prenez pour accordé que l’addition est le seul moyen par lequel on puisse tirer d’une expérience particulière un jugement universel. […] Mais vous supposez, par un oubli semblable au précédent, que l’addition est le seul moyen par lequel de l’idée d’un objet fini on puisse tirer l’idée d’un objet infini. […] Un esprit élevé dans ces habitudes court droit aux faits sitôt qu’on lui propose une question générale ; il en choisit un particulier et contingent ; il le garde incessamment sous ses yeux ; il sait qu’il n’a pas d’autre moyen de préciser et vérifier ses idées ; il y revient sans cesse ; il sait que ce fait est la source de tous les termes abstraits qu’il va recueillir et combiner.
On a le talent, l’exécution, une riche palette aux couleurs incomparables, un orchestre aux cent bouches sonores ; mais, au lieu de soumettre tous ces moyens et, si j’ose dire, tout ce merveilleux attirail à une pensée, à un sentiment sacré, harmonieux, et qui tienne l’archet d’or, on détrône l’esprit souverain, et c’est l’attirail qui mène. […] Le procédé propre à l’art du style est d’emprunter à tous les arts, soit pour les couleurs, soit pour la forme, soit pour les sons, mais sans se borner à aucun de ces moyens, et surtout en les dominant et les dirigeant tous par la pensée et le sentiment, dont l’expression la plus vive est souvent immédiate et sans image. […] S’il y a une loi générale selon laquelle les littératures et les poésies, arrivées à un certain point de perfection et de maturité, dépérissent en se raffinant, il y a toujours moyen, pour les individus d’élite, de faire exception, et c’est surtout l’exception qui compte dans les arts.
La petitesse même des moyens en fait la puissance, et le choix qui en est fait parmi les milliers et les milliers de moyens pareils, également petits et méprisables. […] La grande différence qu’il y a entre cet art-là et l’art classique ne serait-elle pas que l’art classique choisit le fait suprême, intense, où tous les semblables sont contenus, comme le moins dans le plus ; l’autre, au contraire, l’art réaliste ou naturaliste, quand il ne cesse pas d’être un art, choisit encore, mais choisit le fait moyen, rigoureusement équivalent, identique aux faits de la collection qu’il représente, n’ayant rien de plus, rien de moins, comme une expérience de physique ne doit rien contenir qui ne se retrouve dans toutes les apparitions ou reproductions du phénomène qu’elle manifeste ?