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1996. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Œuvres complètes de Buffon, revues et annotées par M. Flourens. » pp. 55-73

Si Buffon tient du xviiie  siècle français par un esprit d’indépendance et par une secrète hostilité à la tradition, il s’en sépare d’ailleurs par l’ensemble de son caractère, par le maniement et la bonne économie de ses facultés, par toute son attitude ; en un mot, son esprit tient du xviiie  siècle bien plus que son genre de vie et son talent. […] Mais Buffon a beau faire, il a beau traiter avec assez peu d’égards « le peuple des naturalistes », il a beau, à l’occasion d’un détail concernant les intestins des oiseaux de proie, dire en grand seigneur : « Je laisse aux gens qui s’occupent d’anatomie à vérifier plus exactement ce fait », il est devenu naturaliste lui-même, au sens le plus exact du mot. […] Cuvier une grave dissidence théorique sur la manière de concevoir l’organisation : là-dessus je n’ai pas un mot à dire, et pour cause d’incompétence. […] À part quelques mots de pure forme et de déférence, l’idée seule de la nature, c’est-à-dire des lois immuables et nécessaires limitant et enveloppant de toutes parts la force de l’homme, est ce qui règne chez Buffon.

1997. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le duc de Rohan — I » pp. 298-315

Il était de fière et forte race, descendant des anciens ducs et rois de Bretagne, allié et apparenté aux principales maisons souveraines : « Je me contenterai, écrit à ce sujet un de ses anciens biographes, de dire seulement une chose assez belle et assez particulière, c’est qu’en quelque lieu de l’Europe qu’il allât, il se trouvait parent de ceux qui y régnaient. » On sait le mot de sa sœur répondant à une déclaration galante de Henri IV : « Je suis trop pauvre pour être votre femme, et de trop bonne maison pour être votre maîtresse. » Né au château de Blein en Bretagne en 1579, Henri de Rohan, l’aîné de sa famille, fut donc élevé avec de grands soins par sa mère veuve, Catherine de Parthenay, qui mit de bonne heure sur lui son orgueil et ses espérances. […] On ajoute qu’il méprisait les langues anciennes, latin et grec ; il était avide des choses plus que des mots. […] En un mot, il reçut des soins de son excellente mère une éducation hardie et mâle, que la nature en lui favorisait, et que l’austérité de sa communion religieuse confirma : il eut la jeunesse ardente, frugale et grave. […] Il est de la race des graves, des contrariés et des moroses, dont le brillant même est rembruni et sombre, qui ont eu plus de mérite que d’occasion et de bonheur, estimés quoique souvent battus, et qui tirent tout le parti possible de causes morcelées et rebelles : il est de la famille, en un mot, des Coligny, des Guillaume d’Orange ; moins Français peut-être qu’étranger de physionomie.

1998. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Les Caractères de La Bruyère. Par M. Adrien Destailleur. »

Cette savante édition, devenue la base des autres qui ont suivi et qu’elle rendait faciles, n’était pas exempte toutefois de quelques fautes d’inadvertance et même d’étourderie, s’il est permis d’appliquer un mot si léger au respectable érudit à qui on la devait ; M.  […] N’exagérons rien pourtant et ne tirons pas les moindres mots par les cheveux. […] On ne cite aucun mot du grand roi sur La Bruyère et sa libre tentative ; mais, à certain moment, sans nul doute, quand les courtisans émus en parlèrent devant le maître à Versailles, le front majestueux de Jupiter indiqua, par un léger signe, qu’il avait permis et qu’il consentait.. […] Le chapitre du Mérite personnel, qui est le second de son livre, et qui pourrait avoir pour épigraphe ce mot de Montesquieu : « Le mérite console de tout », est plein de fierté, de noblesse, de fermeté.

1999. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Le Poëme des champs par M. Calemard de Lafayette. »

C’est là son fin mot : il est le contraire de ces natures affamées de vivre et de renaître sans cesse, altérées d’immortalité, et dont Mme de Gasparin nous offre un type ardent et palpitant dans la fréquence et la récidive de ses éloquents écrits. […] Il est de ceux qui, selon le mot de Shelley, ont appris dans la souffrance ce qu’ils enseignent dans leur chant. […] Nous redisions ces mots, descendant le sentier, Pensifs, loin de la vue auguste et solennelle, Et nous trouvions la vie, oh ! […] Calemard de Lafayette, un poëme qui n’est sans doute pas de tout point parfait, mais qui est vrai, naturel, étudié et senti sur place, essentiellement champêtre en un mot, et dont un poëte académicien, et non académique39, m’a dit en m’en recommandant la lecture : « Lisez jusqu’au bout ; le miel n’est pas au bord, mais au fond du vase. » J’ai, en effet, goûté le miel, et j’en veux faire part à tous !

2000. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français (suite.) »

Quand je parle de beauté, je m’entends, et je m’adresse à ceux qui savent de quoi il s’agit, lorsqu’ils prononcent ce mot. […] Le mystère est précédé d’un sermon, adressé par l’auteur au public, une sorte de prône qui roule tout entier sur quatre mots de l’Évangile : « Verbum caro factum est, le Verbe s’est fait chair », et qui n’a guère moins de 1,000 vers. […] Celui-ci est mon fils Jésus Qui bien me plaît : ma plaisance est en lui… Ces mots latins, ce sont les restes d’attache du vieux, drame liturgique et sacré, même lorsqu’il est devenu tout profane et populaire. […] Je les dois à nos lecteurs, avec un mot sur la Jeanne d’Arc, occasion ou prétexte de tout ceci.

2001. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Salammbô par M. Gustave Flaubert. Suite et fin. » pp. 73-95

Je sais que des amis d’un esprit très-distingué lui ont dit le contraire et lui ont précisément reconnu, en tout ceci, le don et le génie de l’intuition ; mais je ne comprends pas bien à quoi ce mot s’applique, là où toute vérification et tout contrôle sont à jamais impossibles, et je ne puis parler que selon les vraisemblances et d’après mes impressions, d’après celles également de bien des esprits ayant même mesure que moi et même niveau. […] En présence de ce roman ou de ce poème tout archéologique, c’est le cas ou jamais de le redire : l’art, nonobstant toute théorie, l’art dans sa pratique n’est pas une chose purement abstraite, indépendante de toute sympathie humaine : et je prends le mot de sympathie dans son acception la plus vaste. […] Les descriptions étant la partie capitale du livre, j’en dois dire quelques mots. […] Quant à la peinture même des visages, c’est la physionomie qu’il convient de rendre d’un mot et d’un éclair, bien plus que le détail des traits dont l’énumération ne doit pas revenir sans cesse.

2002. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire, par M. Camille Rousset. »

La paix pour lui était un élément nouveau : il l’accommoda à son usage. « Les mots, selon la remarque de M.  […] En lisant cette histoire de Louvois, en la voyant ainsi montrée à nu et comme par le revers de la tapisserie, je crois entendre continuellement ce mot de la tragédie grecque, qui résonne et se murmure de lui-même à mon oreille ; « S’il faut violer le droit, c’est pour l’empire et la domination, c’est en haute matière d’État qu’il est beau de le faire : dans tout le reste, observe la bonne foi et la justice. » Je paraphrase un peu là parole d’Euripide, cette parole si détestée de Cicéron. […] On sait comment les Étoliens, qui s’étaient abandonnés à leur foi, furent trompés ; les Romains prétendirent que la signification de ces mots, s’abandonner à la foi d’un ennemi, emportait la perte de toutes sortes de choses, des personnes, des terres, des villes, des temples et des sépultures même. […] Rousset, deux cavaliers s’arrêtent à la porte d’un obscur cabaret de Franche-Comté ; bientôt après deux autres cavaliers arrivent ; les uns et les autres portent à leur chapeau du ruban bleu et jaune : c’est un signal ; ils se rapprochent, ils murmurent quelques mots ; une certaine cassette est échangée contre un certain billet ; après quoi les inconnus se séparent, remontent à cheval et disparaissent.

2003. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise par M. Taine. »

Cela ne se fait pas en un jour, ni en quelques séances, mais au fur et à mesure, et comme au hasard : souvent le mot décisif qui éclaire pour nous une nature d’homme, qui la juge et la définit, n’échappe qu’à la dixième ou à la vingtième rencontre. […] Il me faut pourtant dire un mot de sa méthode et y revenir ; je ne vise en ce moment qu’à le faire mieux connaître dans son ensemble et à discourir sur lui dans tous les sens. […] En un mot, il n’y avait qu’une âme au xviie  siècle pour faire la Princesse de Clèves : autrement il en serait sorti des quantités. […] Nous tous, partisans de la méthode naturelle en littérature et qui l’appliquons chacun selon notre mesure à des degrés différents18, nous tous, artisans et serviteurs d’une même science que nous cherchons à rendre aussi exacte que possible, sans nous payer de notions vagues et de vains mots, continuons donc d’observer sans relâche, d’étudier et de pénétrer les conditions des œuvres diversement remarquables et l’infinie variété des formes de talent ; forçons-les de nous rendre raison et de nous dire comment et pourquoi elles sont de telle ou telle façon et qualité plutôt que d’une autre, dussions-nous ne jamais tout expliquer et dût-il rester, après tout notre effort, un dernier point et comme une dernière citadelle irréductible.

2004. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. PROSPER MÉRIMÉE (Essai sur la Guerre sociale. — Colomba.) » pp. 470-492

On a tant abusé de nos jours du mot imagination, on l’a tellement transportée tout entière dans le détail, dans la trame du style, dans un éclat redoublé d’images et de métaphores, qu’on pourrait ne pas voir ce qu’il y a d’imagination véritable et d’invention dans cette suite de compositions de moyenne étendue, qui n’ont l’air de prétendre, la plupart, qu’à être d’exactes copies et des récits fidèles. […] Il voyageait avec sa femme, ses officiers, ses affranchis, ses esclaves, en un mot ce que l’on appelait sa cohorte. […] Le dernier chapitre, dans lequel Colomba rencontre à Pise le vieux Barricini mourant, et lui verse à l’oreille un dernier mot de vengeance, a paru à quelques-uns exagéré et tomber clans le roman. […]  — Colomba est plus classique au vrai sens du mot : voilà ma conclusion.

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