Ce rêve était l’histoire ouverte à deux battants ; Tous les peuples ayant pour gradins tous les temps ; Tous les temples ayant tous les songes pour marches ; Ici les paladins et là les patriarches ; Dodone chuchotant tout bas avec Membré ; Et Thèbe, et Raphidim, et son rocher sacré Où, sur les juifs luttant pour la terre promise, Aaron et Hur levaient les deux mains de Moïse ; Le char de feu d’Amos parmi les ouragans ; Tous ces hommes, moitié princes, moitié brigands, Transformés par la fable avec grâce ou colère, Noyés dans les rayons du récit populaire, Archanges, demi-dieux, chasseurs d’hommes, héros Des Eddas, des Védas et des Romanceros ; Ceux dont la volonté se dresse fer de lance ; Ceux devant qui la terre et l’ombre font silence ; Saül, David ; et Delphe, et la cave d’Endor Dont on mouche la lampe avec des ciseaux d’or ; Nemrod parmi les morts ; Booz parmi les gerbes ; Des Tibères divins, constellés, grands, superbes, Étalant à Caprée, au forum, dans les camps, Des colliers que Tacite arrangeait en carcans ; La chaîne d’or du trône aboutissant au bagne. […] Et sur la vision lugubre, et sur moi-même Que j’y voyais ainsi qu’au fond d’un miroir blême, La vie immense ouvrait ses difformes rameaux ; Je contemplais les fers, les voluptés, les maux, La mort, les avatars et les métempsycoses, Et dans l’obscur taillis des êtres et des choses Je regardais rôder, noir, riant, l’œil en feu, Satan, ce braconnier de la forêt de Dieu. […] C’est la tradition tombée à la secousse Des révolutions que Dieu déchaîne et pousse ; Ce qui demeure après que la terre a tremblé ; Décombre où l’avenir, vague aurore, est mêlé ; C’est la construction des hommes, la masure Des siècles, qu’emplit l’ombre et que l’idée azure, L’affreux charnier-palais en ruine, habité Par la mort et bâti par la fatalité, Où se posent pourtant parfois, quand elles l’osent, De la façon dont l’aile et le rayon se posent, La liberté, lumière, et l’espérance, oiseau ; C’est l’incommensurable et tragique monceau, Où glissent, dans la brèche horrible, les vipères Et les dragons, avant de rentrer aux repaires, Et la nuée avant de remonter au ciel ; Ce livre, c’est le reste effrayant de Babel ; C’est la lugubre Tour des Choses, l’édifice Du bien, du mal, des pleurs, du deuil, du sacrifice, Fier jadis, dominant les lointains horizons, Aujourd’hui n’ayant plus que de hideux tronçons, Épars, couchés, perdus dans l’obscure vallée ; C’est l’épopée humaine, âpre, immense, — écroulée.
Sa mort tragique, arrivée en 1648, étonna toutes les puissances de l’Europe ; mais aucune n’arma pour le venger. […] Il veut y prouver qu’un tyran sur le trône est comptable ; qu’on peut lui faire son procès ; qu’on peut le déposer & le mettre à mort. […] Une cause aussi bonne que celle d’un roi mort sur l’échafaud, d’une famille errante dans l’Europe, & de tous les rois même de l’Europe, intéressés dans cette querelle, fut plaidée, comme on l’avoit bien prévu, doctement & ridiculement.
Plus jaloux de préparer des regrets après ma mort, que d’obtenir des éloges de mon vivant, je m’étais dit : « Quand le peu que j’ai fait et le peu qui me reste à faire périraient avec moi, qu’est-ce que le genre humain y perdrait ? […] Toutes les opinions sur les âmes des morts, qui me touchent ou qui me flattent, je les embrasse ; et il me semble, dans ce moment, que je vois l’ombre de notre cher La Grange errer autour de votre lampe, tandis que vos nuits se passent soit à compléter ou éclaircir son ouvrage, soit à rapprocher en cent endroits sa traduction du vrai sens de l’original. […] Si la calomnie disparaît à la mort de l’homme obscur, la célébrité lui sert de véhicule, et la porte jusques aux siècles les plus reculés ; penchée sur l’urne du grand homme, elle continue d’en remuer, la cendre avec son poignard.
Nous nous bornerons à le critiquer sur un point spécial, quand il méconnaît ceux qui sont animés par la générosité, le dévouement, l’héroïsme, ceux qui bravent la mort, se donnent à la fièvre. […] De ce que vous ne saisissez pas l’utilité immédiate d’un acte, il n’empêche que, du moment qu’il a nécessité pour sa production les qualités les plus viriles, par exemple le mépris de la mort, il a de grandes chances d’être heureusement fécond. […] Taine, à l’âge de quatorze ans, quitta définitivement Vouziers, il emportait de sa terre et de ses morts cette façon de sentir.
» Enfin, il le reconnaît, rentre en fureur et s’écrie : « Qu’on le mène à la mort ! […] Tue-le, et, quand il sera mort, je ne le haïrai plus. […] Et elle accepte le marché, parce que son amour est plus fort que la mort, — les affres de la mort n’étant rien du tout auprès d’un contentement d’amour, quand c’est justement la mort seule qui peut assurer ce contentement. […] Mieux informés, réconcilions ces morts. […] Elle nous sanctifie par l’idée, toujours présente et par le voisinage de la mort.
Et quel est l’homme de bien qui balancerait à mourir pour son pays, quand sa mort peut lui être utile ? […] Un homme que la loi condamne à mort n’est-il pas toujours dans un danger évident, puisqu’il ne peut vivre que par grâce ? […] Après la mort de Numa, qui avait tenu leur haine en respect, ils s’attaquèrent mutuellement. […] Dans la Mort de Pompée, par exemple, l’amour de César et de Cléopâtre est-il digne de la tragédie ? […] Qu’est-ce qu’une tragédie dont le héros ne paraît pas, attendu qu’il est mort dès le commencement de la pièce ?
La mort de Montfleury, en même temps qu’elle privait Andromaque d’un bon acteur, lui donnait une nouvelle célébrité dans le monde ; car le bruit public attribuait cette mort aux efforts extraordinaires du comédien pour rendre les fureurs d’Oreste. […] Les critiques se sont élevés contre un amant brutal, qui dit à une jeune veuve : Épouse-moi, ou ton fils est mort. […] Aricie témoigne aussi une grande satisfaction de la mort de Thésée, son ennemi, son tyran, qui l’empêchait de se marier. […] Pour établir le danger, ne suffit-il pas qu’il y ait peine de mort pour quiconque ose enfreindre cette loi sacrée ? […] L’Ésope à la cour ne parut au théâtre qu’en 1701 ; Boursault était déjà mort, et il n’avait pas mis la dernière main à son ouvrage.
Ce dénouement tout moral nous suffit, et la mort de Benée, qui vient plus tard, est presque une superfétation : elle était déjà moralement morte. […] On peut croire d’abord que l’introduction du personnage de Garcia rompt l’unité de l’œuvre et que sa mort est un épisode, inutile. […] Là, devant ces plaques rappelant les noms des Gaos morts en mer, son amour devient plus fort, prend à jamais racine dans son cœur : il prévoit l’au-delà et il va par-delà la mort. […] Il ne se révèle à nous que deux fois : lorsqu’il apprend la mort de Sylvestre ; et puis lorsque brusquement il épouse Gaud. […] Mystérieux il restera jusqu’au bout dans sa mort à laquelle nul n’a assisté, mort symbolique qui fait en l’œuvre, — par malheur, un peu lourdement, et légèrement l’effet.
. — La Vie future et le Culte des morts (1892). — Études sur les origines du christianisme (1898). — Exégèse biblique (1894). — Lettres d’un mort (1890). — Les Questions sociales dans l’antiquité (1898). — La Seconde République (1898). — Symbolique religieuse (1898). — Religion et philosophie de l’Égypte (1899).