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787. (1856) Cours familier de littérature. I « Digression » pp. 98-160

La teinte du marbre sied seule aux belles statues vivantes comme aux statues mortes. […] Mais, comme toujours, ces complaisants s’étaient trompés : le comte d’Artois avait juré au lit de mort de madame de Polastron, son dernier attachement, que nulle autre femme ne la remplacerait jamais dans son cœur, et qu’il allait donner ce cœur à Dieu seul. […] si le malheur finit mes jours loin d’elle, Qu’on ne m’accuse pas d’une mort infidèle : Jure de ramener dans notre humble vallon Et ma harpe muette et ma cendre exilée ! […] On dirait un pays de meurtre et de remords : Le travail des vivants, c’est d’embaumer les morts. […] La conversation fut souriante, légère, affectueuse, telle qu’il convient auprès d’un malade qui reprend à la vie, et à laquelle il ne faut donner que ces mouvements doux de l’esprit et du cœur, qui bercent l’âme comme dans ce second berceau de la mort.

788. (1889) La littérature de Tout à l’heure pp. -383

Et de cette vie comme de cette mort voici la raison profonde. […] Vie factice de la Comédie ; mort factice de la Tragédie. […] La Fontaine n’a même pas le respect de la Mort ! […] Mais dans la mort la vie germe. […] Le désespoir se sert de but à lui-même et ne peut produire que la mort.

789. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Mézeray. — II. (Fin.) » pp. 213-233

C’est ainsi qu’après l’assassinat de Blois, Mézeray paraît douter que Henri III, du moment que Guise est par terre, « soit sorti de son cabinet l’épée à la main comme victorieux, qu’il lui ait mis le pied sur le front ; que, revenant par deux ou trois fois et faisant lever la couverture pour voir s’il ne respirait point encore, il ait demandé aux uns et aux autres s’il était mort. […] il paraît encore plus grand mort que vif, ont, à ce que je crois, été controuvées longtemps après, lorsqu’on vit les suites de cette mort plus tragiques que le roi ne les avait prévues ». […] Il y fut nommé secrétaire perpétuel après la mort de Conrart (1675), et en cette qualité il travailla à préparer le canevas du premier Dictionnaire. […] Tout Frondeur qu’il avait été, Mézeray perdit à la mort de Mazarin. […] On le voit, après la mort du ministre, adressant requête au roi pour obtenir le rétablissement de cette faveur qui lui avait été retranchée, et demandant de plus le fonds promis pour la réimpression30.

790. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Joinville. — I. » pp. 495-512

Trois savants s’y mirent successivement, et, deux étant morts à l’œuvre, le troisième, Capperonnier, acheva de publier un vrai et pur Joinville (1761). […] Dans le désordre apparent de sa narration, Joinville commence par un trait principal et caractéristique : c’est qu’en plusieurs occasions signalées, saint Louis mit son corps et sa personne en péril de mort pour épargner dommage à son peuple. […] Et quand elle sut qu’il s’était croisé, ainsi que lui-même le contait, elle mena aussi grand deuil que si elle l’eût vu mort. » Le propre du récit de Joinville est d’être ainsi parfaitement naturel et de ne rien celer des sentiments vrais. […] L’office de sénéchal ou de grand maître de la maison des comtes de Champagne était héréditaire dans sa famille, et il en fut pourvu à la mort de son père. […] Ce jour-là, avant le débarquement sur la plage d’Alexandrie, l’ordre du jour disait : Soldats…, vous portez à l’Angleterre le coup le plus sensible, en attendant que vous lui donniez le coup de mort… Vous réussirez dans toutes vos entreprises… Les destins vous sont favorables… Dans quelques jours les mamelouks qui ont outragé la France n’existeront plus… Les peuples au milieu desquels vous allez vivre tiennent pour premier article de foi qu’il n’y a pas d’autre dieu que Dieu, et que Mahomet est son prophète !

791. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La Margrave de Bareith Sa correspondance avec Frédéric — I » pp. 395-413

Il est mort avec une fermeté angélique, et sans souffrir beaucoup. […] Avant cette mort, il y a bien quelques plaisanteries encore, quelques allusions aux manies du roi et à ce qu’on en sait d’ailleurs. […] Se croyant dégagée de sa promesse par la mort du roi son père, elle passa outre à cette condition et fit épouser à Mlle  de Marwitz un officier du régiment impérial dont le margrave était propriétaire. […] Ma dernière maladie, une mort prochaine, ont augmenté mes réflexions. […] Il est mort pour une plaisanterie, en mangeant tout un pâté de faisan… ; il s’est avisé de se faire saigner pour prouver aux médecins allemands qu’on pouvait saigner dans une indigestion ; cela lui a mal réussi… Il est regretté de tous ceux qui l’ont connu.

792. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le baron de Besenval » pp. 492-510

C’est l’oubli qui est le plus cruel des jugements pour ces morts qui, du temps qu’ils vivaient, n’avaient que ce monde en vue. […] Moi, je ne m’en suis pas mêlé, si ce n’est par un certain tour d’esprit qui me montre les choses du bon côté, quand il me serait permis de les regarder autrement. » Ce bonheur ne le quitta pas même tout à fait dans les circonstances les plus contraires : arrêté quand il allait sortir de France, en juillet 1789, il fut sauvé, par le plus grand des hasards, de la fureur populaire ; enfin, acquitté devant le tribunal du Châtelet, et redevenu libre à la veille de la ruine totale de l’ancienne société, il eut l’opportunité d’une mort naturelle et tranquille. […] Souvent il m’envoyait, chercher, et je le trouvais enfermé chez lui, où il avait persuadé à Mme de Blot qu’il était au moment de se donner la mort. […] Lorsqu’au milieu de ces détestables trames qu’il a entrecroisées et embrouillées à plaisir, le comte de Frise, qui cumule le rôle de Lovelace et celui de Cléon du Méchant, vient tout de bon à mourir, et de mort presque subite, Besenval, toujours sur le même ton, ajoute : Je fus véritablement affligé de la mort du comte de Frise. […] Désappointé dans son espérance, il parle d’elle en termes nets, convenables, mais un peu sévères, et en homme qui est mort avant d’avoir vu les grandeurs touchantes et sublimes auxquelles l’infortune éleva ce noble cœur qui avait paru longtemps léger.

793. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, publiée par M. Camille Rousset, historiographe du ministère de la guerre »

Saint-Simon était bien avec le duc de Bourgogne, le présent Dauphin ; lui mort, il n’était pas moins bien avec le duc d’Orléans, le futur et prochain Régent ; il n’était pas homme à servir mollement ceux qu’il aimait. […] Pour cela il l’attaqua par son faible : il lui proposa qu’au moment de la mort du roi, les ducs, — tous ceux qui seraient présents à la Cour, — allassent ensemble, en corps, à la suite du duc d’Orléans et des princes du sang et en se distinguant du reste de la noblesse, saluer le nouveau roi. […] Là est le crime de Noailles envers Saint-Simon, et il s’ensuivit la colère, l’animosité, l’impitoyable vengeance de l’ami aliéné et ulcéré, devenu ennemi jusqu’à la mort ; il n’y eut jamais entre eux qu’un faux raccommodement et pour la forme, après bien des années, à l’occasion d’un mariage de famille. […] Aussi, à la mort de Louis XIV, devint-il une espèce de premier ministre. […] Il se comporta assez ridiculement dans sa terre ; entre autres traits de folie, il portait chape dans sa paroisse et se faisait dire l’office des morts couvert d’un drap mortuaire, pour l’expiation de ses péchés.

794. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Saint-Simon considéré comme historien de Louis XIV, par M. A. Chéruel »

Le génie humain n’a pas un si grand nombre de chefs-d’œuvre ; savez-vous que la scène des appartements de Versailles après la mort de Monseigneur est une œuvre unique, incomparable, qui n’a sa pareille en aucune littérature, un tableau comme il n’y en a pas un autre à citer dans les musées de l’histoire ? […] Le général fit encore une vingtaine de pas sur son cheval et tomba mort. […] mon fils, s’écria-t-il, ce n’est pas moi qu’il faut pleurer, c’est la mort de ce grand homme ; vous allez, selon toute apparence, perdre un père ; mais votre patrie, ni vous, ne retrouverez jamais un pareil général.” — En achevant ces mots, les larmes lui tombaient des yeux. — “Que vas-tu devenir, pauvre armée ?” […] Il a renouvelé les anciennes apothéoses, fort au-delà de ce que la religion chrétienne pouvait souffrir ; mais il n’attendit pas que le roi fût mort pour faire la sienne, dont il n’aurait pas recueilli le fruit. […] Avec tant de faveur et tant de soin de l’augmenter, il était devenu si à charge au roi qu’il ne le put dissimuler à sa mort.

795. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Vauvenargues. (Collection Lefèvre.) » pp. 123-143

Le marquis de Vauvenargues, né en 1715 et mort en 1747, issu d’une noble famille de Provence, entra de bonne heure au service et devint capitaine dans le régiment du Roi. […] Périclès, ayant à parler de guerriers morts pour la patrie, disait : « Une ville qui a perdu sa jeunesse, c’est comme l’année qui aurait perdu son printemps. » Vauvenargues a de ces traits d’une imagination jeune, nette et sobre, comme on se les figure chez Xénophon et chez Périclès. […] Il n’y a nul doute que Vauvenargues ne fût religieux ; cela ressort de ses écrits, et Marmontel a dit de lui qu’il est mort « avec la constance et les sentiments d’un chrétien philosophe ». […] Quelles qu’aient pu être antérieurement les opinions par lesquelles il avait passé, Vauvenargues, à cette date de 1746 et jusqu’à sa mort, était donc et demeura dans des sentiments religieux, élevés, mais philosophiques et libres. […] Suard ont été, après sa mort, infidèles à son esprit par la manière dont ils l’ont tiré à eux de ce côté.

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