Dans une trentaine de pages qui seraient aussi bien un fragment de mémoires historiques, il montre comment cette Révolution est née sans qu’on le voulût, et avec quel zèle imprudent on y poussait dans les hautes sphères qui devaient le plus terriblement s’en ressentir. […] Ma bibliothèque était composée en grande partie de livres sur la jurisprudence et sur l’histoire de France ; un de mes oncles qui était évêque m’avait, laissé une collection complète des procès-verbaux du Clergé, etc., etc. » ; et il montre que la Révolution qui s’accomplit a déjà mis beaucoup de ces livres à la réforme, et qu’elle va simplifier bien des sciences. […] La conclusion du président, dans cette espèce de liquidation d’une grande bibliothèque, qu’il montre si réduite si l’on en ôtait tout ce qui est devenu inutile, fastidieux ou indifférent, semblera peu en rapport avec nos goûts d’aujourd’hui, à nous qui aimons toutes les sortes de curiosités et d’éruditions, et qui y recherchons, jusqu’à la minutie, les images et la reproduction du passé ; elle a pourtant sa vérité incontestable et philosophique, plus certaine que les vogues et les retours d’un moment : Tous ces livres, dit-il en achevant son énumération, ne seront pas plus recherchés un jour que les factums relatifs à des affaires qui dans leur temps fixaient l’attention générale.
Son grand-père fut obligé de lui dire : « Tu l’auras quand je serai mort. » On rapporte cet autre mot très-probable du vieil empereur à la reine Éléonore : « Il me semble qu’il est très-turbulent ; ses manières et son humeur ne me plaisent guère ; je ne sais ce qu’il pourra devenir un jour. » Son gouverneur, don Garcia de Tolède, dans une lettre à l’empereur où il rend compte du régime et de l’éducation du prince, le montre en bonne santé à cet âge, « quoique n’ayant pas bonne couleur », peu avancé dans ses études, s’y livrant de mauvaise grâce ainsi qu’aux exercices du corps qui forment le cavalier et le gentilhomme, ne faisant rien en aucun genre que par l’appât d’une récompense, et en tout « très évaporé. » On insista beaucoup auprès de Charles-Quint, retiré à Yuste, pour qu’il y laissât venir quelque temps le jeune prince ; on espérait que l’autorité de l’aïeul aurait quelque influence sur lui pour le réformer et l’exciter. […] En beaucoup de choses il montre un bon entendement ; en d’autres, un enfant de sept ans ferait preuve d’autant de raison que lui. […] Dans tout il montre de la répugnance à être utile et une très grande inclination à nuire.
La duchesse de Brancas nous la montre en deux mots, telle qu’elle était après les premières fatigues de ses couches fréquentes : « Son visage est long et ne contient que des yeux. » La dauphine écrivait à son frère, le prince Xavier de Saxe, neuf jours après la mort du dauphin : « Ce 29 décembre 1765. […] Il dut céder à l’exigence française ; sa bonne étoile ne lui fit pas défaut ; il fut heureux ; son lieutenant Lœwendal mena à bien cette entreprise réputée impossible et fort inutile de Berg-op-Zoom qui n’était que pour l’honneur et pour la montre : le succès de Lawfeld, dès cette campagne, put sembler couronné d’un résultat. […] Saint-René Taillandier) nous montre en conséquence Mme Favart « se moquant des menaces aussi bien que des promesses, en butte à de lâches intrigues, poursuivie, jetée au fond d’un cachot, gardant purs et intacts la dignité de son art et l’honneur de son nom : rare leçon donnée par une comédienne à une société corrompue !
» Elle cherchait évidemment l’amour ; elle cherchait à le ressentir, surtout à l’inspirer ; elle en aimait la montre et le jeu. […] Eynard nous montre que s’il avait voulu appliquer dans tout son ouvrage le même esprit de critique, il s’en fût acquitté très-finement ; mais dès qu’il aborde la vie religieuse de Mme de Krüdner, lui qui a été si adroit à pénétrer la personne mondaine, il croit tout d’abord à la sainte : il s’arrête saisi de respect, n’examinant plus, et ne voulant pas admettre que, même sur un fond incontestable de croyance et d’illusion, c’est-à-dire de sincérité, il a dû se glisser bien des réminiscences plus ou moins involontaires de ce premier jeu, bien des retours de cet ancien savoir-faire. […] « A qui voyons-nous quitter le vice dans le temps qu’il flatte son imagination, dans le temps qu’il se montre avec des agréments et qu’il fait goûter des délices ?
Et nul doute que Boileau dans tout cet ouvrage ne se montre meilleur artiste que conteur. […] Que nous montre-t-il dans la Satire X du déshabillé de la coquette ? […] Voici enfin la femme de la fin du siècle, qui montre la voie à la duchesse de Berry et devance la Régence ; la voici Qui souvent d’un repas sortant tout enfumée, Fait même à ses amants, trop faibles d’estomac, Redouter ses baisers pleins d’ail et de tabac.
Rien de plus logique ; rien qui montre mieux le caractère double et en quelque sorte hybride de l’époque. […] La prédominance de la raison ne se montre pas moins dans les œuvres purement littéraires. […] La prose deviendra peu à peu tendue et subtile, et, dès le début de l’époque suivante, La Bruyère pourra écrire : « On a mis dans le discours tout l’ordre et toute la netteté dont il est capable ; cela conduit insensiblement à y mettre de l’esprit. » Cette même tendance de la littérature à devenir de plus en plus raisonnable et raisonneuse se montre sous une autre forme au théâtre.
Il leur légua son immense bibliothèque, ses plus chères délices, pour qu’elle ne fût pas dispersée après lui : illusion dernière qui montre que le savant, qui possédait si bien le passé, n’avait pas cette seconde vue qui devance les temps et qui lit dans l’avenir10. […] Voici un gracieux portrait qui lui rend témoignage, et qui nous le montre tel qu’il paraissait aux dames avant les grandeurs de l’épiscopat et dans sa jeunesse. […] Le Journal de l’abbé Le Dieu, à la date du vendredi 21 décembre 1703, nous montre Huet dans sa chambre une après-midi, « en surtout et en cravate, un bonnet de cabinet sur la tête sans perruque, n’étant pas en état de descendre à la salle pour voir M. de Meaux (Bossuet, qui était venu visiter le père de La Chaise), ni M. de Meaux de monter quatre-vingts marches pour l’aller chercher si haut. » Ainsi ils ne se sont plus revus.
La seule chose que je veuille conclure de ces détails qui assaisonnent en toute occasion la partie aimable des Mémoires de Marmontel, c’est qu’il était de sa nature un peu sensuel et qu’il le laisse voir, ce qui ne nuit pas à l’intérêt et ce qui fait que le lecteur se dit en le suivant : « Le bon homme embellit quelquefois le passé de trop faciles couleurs, mais il s’y montre avec naïveté en somme et tel qu’il était, il ne ment pas ! […] Navarre, receveur des tailles à Soissons, était, nous dit un homme non amoureux (Grosley), la plus brillante partie de sa famille ; elle visait au grand, à l’extraordinaire, et se fit aimer du maréchal de Saxe : « La beauté, les grâces, les talents, un esprit délicat, un cœur tendre, l’appelaient à cette brillante conquête… Sa conversation était délicieuse70. » Marmontel nous la montre de plus imprévue, capricieuse, avec plus d’éclat encore que de beauté : « Vêtue en Polonaise, de la manière la plus galante, deux longues tresses flottaient sur ses épaules ; et sur sa tête des fleurs jonquille, mêlées parmi ses cheveux, relevaient merveilleusement l’éclat de ce beau teint de brune qu’animaient de leurs feux deux yeux étincelants. » C’est cette amazone, cette belle guerrière qui, sacrifiant l’illustre maréchal au jeune poète, enleva un matin Marmontel à ses sociétés de Paris et le transporta d’un coup de baguette dans sa solitude d’Avenay, où elle le garda plusieurs mois enfermé au milieu des vignes de Champagne comme dans une île de Calypso. […] Le sixième livre de ses Mémoires, qui nous fait parcourir en détail les différents cercles du xviiie siècle et qui nous en montre un à un tous les principaux personnages, est historiquement des plus curieux à consulter pour l’histoire des mœurs et de la société française.
Dans ce Journal, dont le premier numéro est du 12 juillet 1789, Rivarol se montre, et avant Burke, l’un des plus vigoureux écrivains politiques qu’ait produits la Révolution. […] Il montre les gens d’esprit, les gens riches trouvant la noblesse insupportable, et si insupportable que la plupart finissaient par l’acheter : « Mais alors commençait pour eux un nouveau genre de supplice, ils étaient des anoblis, des gens nobles, mais ils n’étaient pas gentilshommes… Les rois de France guérissent leurs sujets de la roture à peu près comme des écrouelles, à condition qu’il en restera des traces. » Cette cause morale, la vanité, qui fut si puissante alors dans la haine irréconciliable et l’insurrection de la bourgeoisie excitée par les demi-philosophes, est démêlée et exposée par Rivarol avec une vraie supériorité. […] Il les montre possédés d’une manie d’analyse qui ne s’arrête et ne recule devant rien, qui porte en toute matière sociale les dissolvants et la décomposition : Dans la physique, ils n’ont trouvé que des objections contre l’Auteur de la nature ; dans la métaphysique, que doute et subtilités ; la morale et la logique ne leur ont fourni que des déclamations contre l’ordre politique, contre les idées religieuses et contre les lois de la propriété ; ils n’ont pas aspiré à moins qu’à la reconstruction du tout, par la révolte contre tout ; et, sans songer qu’ils étaient eux-mêmes dans le monde, ils ont renversé les colonnes du monde… Que dire d’un architecte qui, chargé d’élever un édifice, briserait les pierres, pour y trouver des sels, de l’air et une base terreuse, et qui nous offrirait ainsi une analyse au lieu d’une maison ?