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430. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Condorcet, nouvelle édition, avec l’éloge de Condorcet, par M. Arago. (12 vol. — 1847-1849.) » pp. 336-359

Arago paraisse avoir eu connaissance, mais les écrits pamphlets du moment, ceux dans lesquels il distribuait à droite et à gauche ses petits coups de stylet empoisonné (comme le lui disait André Chénier) ; quand on vient de parcourir la suite d’articles qu’il a donnés à la Chronique de Paris, par exemple, depuis le 15 novembre 1791 jusqu’à la journée du 10 août 1792 et au-delà, on éprouve un sentiment de tristesse et presque de commisération. […] Sans doute, ajoute-t-il naïvement, l’homme ne deviendra pas immortel ; mais la distance entre le moment où il commence à vivre, et l’époque commune où naturellement, sans maladie, sans accident, il éprouve la difficulté d’être, ne peut-elle s’accroître sans cesse ?  […] Nous tirons le rideau, écrit-il, sur les événements dont il serait trop difficile, en ce moment, d’apprécier le nombre et de calculer les suites. […] Cet homme était si parfaitement sûr du résultat de ses idées et du bienfait qui allait en rejaillir sur l’humanité entière, qu’il croyait qu’on pouvait bien l’acheter par quelques capitulations du moment. […] À peine se laisseraient-elles un moment charmer à la voix de cette sirène qu’on appelle le génie.

431. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « L’abbé de Choisy. » pp. 428-450

Il aurait voulu éterniser ce moment, et il le prolongea, il le renouvela dans sa vie tant qu’il puth. […] L’abbé de Choisy est le plus aimable et le plus commode des voyageurs, ne s’ennuyant jamais, ne se repentant pas un moment, voyant le bon côté de tout. […] À un moment il se met en tête d’étudier Euclide ; il faut bien faire un peu de tout. […] Cela paraît d’abord ridicule ; mais quand, un moment après, on se trouve sur la montagne, et tout l’horizon humilié, on se tient en paix : mirabiles elationes maris. […] Ses in-quarto historiques sur saint Louis, Philippe de Valois, Charles V, etc., etc., réussissaient fort bien à leur moment ; on les voyait sur les toilettes des dames, auxquelles ils étaient plus particulièrement destinés : c’étaient de ces livres qui se laissent fort bien lire, comme disait Mme de Sévigné.

432. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Madame de La Vallière. » pp. 451-473

Sans prétendre rien découvrir de nouveau en elle, donnons-nous le plaisir de la considérer un moment. […] Le cœur de la reine, à ce moment, ne faisait que soupçonner l’infidélité ; quand elle en fut informée plus tard à n’en plus douter, cette certitude lui fit verser beaucoup de larmes. […] mais si j’étais assez malheureuse pour cela, je n’aurais jamais l’effronterie de me présenter devant la reine. » Cette dame si scrupuleuse, et qui le disait si haut, était Mme de Montespan, celle même qui, dès ce moment, allait chercher, par tous les brillants de la coquetterie et toutes les saillies de l’esprit, à supplanter la pauvre La Vallière dans la faveur du maître. […] voilà mon supplice. » La vue de sa fille, Mlle de Blois, l’attendrit, mais sans l’ébranler : Je vous avoue que j’ai eu de la joie de la voir jolie comme elle était ; je m’en faisais en même temps un scrupule ; je l’aime, mais elle ne me retiendra pas un seul moment ; je la vois avec plaisir, et je la quitterai sans peine : accordez cela comme il vous plaira ; mais je le sens comme je vous le dis. […] Tout disparut en un moment.

433. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La Harpe. Anecdotes. » pp. 123-144

Ce fut un autre contretemps pour La Harpe pauvre, et « qui est, dit Collé, un des auteurs les plus mal à l’aise », de prendre femme vers ce moment de Timoléon. […] La Harpe cependant faisait bonne contenance, bien qu’il ait dit depuis qu’à un moment il fut tenté de prendre la parole et d’apostropher le public. […] Il n’a pu à aucun moment, ou du moins ce n’est qu’à de rares moments qu’il a pu saisir toute l’autorité du rôle de critique, même en ce que ce rôle a de passager et de viager. […] Le dernier supplicié qui en aura un par grâce, sera… » Il s’arrêta un moment : — « Eh bien ! […] Je n’examine pas le raisonnement, qui est hardi et qui tend à introduire le surnaturel parce qu’il y a eu de l’extraordinaire : la seule remarque que je veuille faire en ce moment, c’est que, le jour où La Harpe a écrit d’inspiration cette scène de verve et de vigueur, son talent pour la première fois s’est trouvé monté au ton de sa sensibilité émue et de son imagination frappée.

434. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLe entretien. Littérature villageoise. Apparition d’un poème épique en Provence » pp. 233-312

Un enfant de mon pays, un jeune homme qui boit comme moi les eaux de la Durance et du Rhône, est ici, chez moi, en ce moment. […] J’ai l’âme peu poétique en ce moment ; je lutte dans une fièvre continuelle avec une catastrophe domestique qui, si elle s’achève, entraînera malheureusement bien d’autres que moi. […] … Le garçon se tut un petit moment, puis reprit : Quand Vincenette était avec nous, et que, toute jeune, elle gardait encore la cabane, pour lors c’était un plaisir ! […] …” C’est que, depuis un moment, vous le dirai-je ? […] Depuis un moment, dans la bande ailée avaient, les derniers éclos, mis le bouleversement.

435. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIIe entretien. Cicéron » pp. 81-159

Nous n’en parlerons pas en ce moment : ils forment des volumes ; ils sont restés monuments de l’esprit humain. […] La nouvelle de la mort de Sylla, qui arriva en ce moment à Athènes, et qui présageait de nouvelles destinées à la liberté de Rome, enleva Cicéron à lui-même. […] car je veux te parler en ce moment, non plus avec l’indignation que tu mérites, mais avec la pitié que tu mérites si peu. […] Mais cette âme qui est en nous, par qui nous pensons et prévoyons, qui m’inspire en ce moment où je parle devant vous, notre âme aussi n’est-elle pas invisible ? […] Enfin il voulut retarder le moment de la résolution suprême en s’éloignant de Tusculum, trop voisin de Rome.

436. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « VIII »

Il écrivait le second acte à ce moment, et esquissait le troisième. […] Les fréquentes invocations de la mort sont toujours, et sans exception, motivés par le rappel de ce moment suprême. […] On a vu, il y a un moment, avec quelle impatience il repousse ce mot de « système » qu’on lui infligeait déjà à cette époque. […] Serait-ce le moment de réfuter cette armée de savants, d’esthéticiens, de critiques qui nous prouvent que la suprême qualité de Tristan est son grand défaut ? […] A un moment de sa vie il rencontre enfin la Douleur.

437. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — I. » pp. 1-19

Le nom et l’œuvre de Massillon correspondent à ces deux moments, je veux dire à celui de la plus grande magnificence et à celui de la profusion dernière. […] Quand Massillon parut, Bourdaloue terminait sa carrière : Bossuet, comme auteur de sermons, avait clos la sienne au moment même où Bourdaloue commençait. […] Mais il ne s’en tient pas là ; il ne fait en ce moment que de commencer à interroger son auditeur ; il va le presser de plus en plus, le circonvenir, chercher à l’atteindre par toutes les surfaces jusqu’à ce qu’il ait rencontré le point vulnérable ; et il en vient graduellement à une énumération et presque à une désignation plus frappante : Grand Dieu ! […] De tels développements, amenés avec art au moment propice, qui planaient en quelque sorte sur tout l’auditoire, qui promenaient sur toutes les têtes comme un vaste miroir étendu où chacun pouvait reconnaître dans une facette distincte sa propre image, et se dire que l’orateur sacré l’avait révélé ; de tels développements qui, lus aujourd’hui, nous font un peu l’effet de lieux communs, étaient alors, et sur place, des tableaux appropriés et de grands ressorts émouvants. […] Nous en sortions transportés, et nous regrettions des moments que sa solitude et ses occupations rendaient tous les jours plus rares.

438. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — III. (Fin.) » pp. 479-496

Ramond n’excelle pas moins à donner l’impression des diverses heures du jour, celle du soir et du couchant, — soit qu’il en jouisse à la descente, dans une vallée déjà riante, non loin de Bagnères-de-Luchon, près d’une antique chapelle : Je m’arrêtai un moment devant cette chapelle, frappé de la magnificence du paysage qui l’entoure : le soleil voisin de son coucher y répandait ce charme qui naît de l’approche du soir. […] Au soir d’une journée si pénible, il était doux de voir la nature rentrer dans l’ombre qui nous invitait au repos, et d’en jouir un moment sur les restes de ces structures guerrières que la paix livre à la destruction. […] Pendant cet orage, tout donne idée d’un hiver dans une contrée polaire, et ici Ramond choisit en effet ce moment pour faire son rêve. […] Un autre très bel endroit de ces premières Observations est le moment qu’il choisit pour exposer son système général des montagnes, et en particulier des Pyrénées. Ce moment est celui où monté seul sur la Maladetta ou Montagne maudite dans les Pyrénées espagnoles, et contemplant les groupes et les chaînes d’alentour, il croit voir tout d’un coup les contradictions disparaître, les accidents et les irrégularités se subordonner, les écarts même rentrer dans la loi, et tout un système primitif jaillir du sein d’un chaos apparent.

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