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1173. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « La Divine Comédie de Dante. traduite par M. Mesnard, premier vice-président du Sénat et président à la Cour de cassation. » pp. 198-214

Ceux même qui connaissaient le mieux l’Italie, tels que de Brosses, et qui y mettaient plus d’application et de sérieux, n’étaient pas d’un sentiment très différent. Celui-ci écrivait de Rome (1740), en parlant des lectures italiennes qu’il préférait : Ce n’est cependant pas l’Arioste que les beaux esprits d’Italie mettent au premier rang ; ils l’adjugent au Dante. […] Ayant chanté ses premières amours d’enfant dans des poésies délicates et subtiles, il se dit que ce n’était point assez et qu’il fallait élever à la beauté et à la reine de son cœur un monument dont il fût à jamais parlé : La Divine Comédie naquit dans sa pensée, et il mit des années à la construire, à la creuser, à l’exhausser dans tous les sens, à y faire entrer tout ce qui pouvait la vivifier ou l’orner aux yeux de ses contemporains, afin de faire plus visible et plus brillant le trône d’où il voulait présenter Béatrix au monde. […] Il avait déjà commencé ce poème avant les événements politiques qui le mirent à la tête des affaires de son pays, et qui bientôt le firent bannir de Florence à l’âge de trente-sept ans (1302), pour errer près de vingt ans encore (1321) sans y rentrer jamais. […] Toutefois c’est encore dans les exemplaires grecs et latins, ou dans les productions chrétiennes appartenant à des âges plus doux, qu’on retrouve le genre de beautés le plus direct, le plus naturel et, pour nous, le plus aisé à sentir, le plus exempt de toutes les ligatures et de tous les emboîtements pédantesques qui, en le reconstituant, ont déformé à de certains siècles et mis à la gêne l’esprit humain.

1174. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Guillaume Favre de Genève ou l’étude pour l’étude » pp. 231-248

Mettons d’abord le lecteur au fait de tout ceci, car le nom et l’idée que j’y applique lui sont probablement choses nouvelles. […] Ces tentatives ingénieuses l’avaient mis en communication avec l’abbé Haüy, le législateur et le maître en cette branche. […] En un mot, il ne se met jamais à la place du lecteur. […] Si on ne l’avait pas mis en demeure une bonne fois de débiter sa science, et si on ne l’avait constitué à l’état de fontaine publique chargée d’en distribuer les eaux courantes à des générations qui en étaient avides, il n’aurait peut-être accumulé que des notes immenses et des réservoirs cachés. […] Dans la composition de son Cours de littérature dramatique, Schlegel, alors à Coppet, mit sans cesse à contribution la science, la sagacité et la bibliothèque de Favre.

1175. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Divers écrits de M. H. Taine — II » pp. 268-284

Cette originalité s’accuse dans la courte préface qu’il a ajoutée à son ouvrage en le publiant, et qui met en saillie l’idée principale qui l’a dirigé dans son étude. […] Au second livre De l’orateur, cette même question des rapports de l’histoire avec le talent de la parole (« quantum munus sit oratoris historia ») est pareillement mise sur le tapis et discutée entre les interlocuteurs supposés, l’orateur Antoine et Catulus ; Antoine y indique très nettement les différences qui distinguent en propre le genre historique, — l’horreur du mensonge, la vérité des faits pour base, la description fidèle des événements, des lieux, l’exposé intelligent des entreprises, et un courant de récit plus égal, plus doux, épandu, naturel, exempt des violences et des secousses de l’action oratoire. […] Thiers, dans son Histoire du Consulat et de l’Empire, rencontre un grand nombre de figures de généraux, de ministres, de diplomates : il les dessine avec justesse, mais en quelques traits sobres, peu marqués en général, et en évitant les saillies et ce qui ferait disparate ; en définitive, il les adoucit et les ennoblit, non pas avec la teinte d’éclat et ce lustre qu’y met Tite-Live, mais dans la même intention. […] Michelet, sa vie de travail, son effort constant, ses fouilles érudites et ses ingénieuses mises en scène, cette faculté de couleur voulue et acquise où il a l’air de se jouer désormais en maître, mais quand je considère de quelle manière il a jugé et dépeint des événements et des personnages historiques à notre portée, et dont nous possédons tous autant que lui les éléments ; quand je le vois toujours ambitieux de pousser à l’effet, à l’étonnement, j’avoue que je serais bien étonné moi-même qu’il eût deviné et jugé les choses et les hommes de l’histoire romaine plus sûrement que Tite-Live. […] Maine de Biran si singulièrement présenté, si bouffonnement même, et par ses propres phrases, on voudrait que le jeune adversaire eût moins chargé le profil, qu’il y eût mis plus de ménagements et d’égards, et qu’il eût tenu compte au chercheur en peine, des difficultés, de l’effort, du fond de l’idée : on en tient bien compte aux philosophes allemands ; pourquoi pas aux nôtres ?

1176. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Halévy, secrétaire perpétuel. »

Il avait cela de l’honnête homme de La Bruyère qu’il pouvait causer avec vous pendant tout un dîner, toute une soirée, en vous parlant de tout avec agrément, avec intérêt, et cependant sans vous dire un seul mot de musique, sans mettre sur le tapis les choses de son métier. […] Patin, prenant au sérieux la gageure et se piquant d’émulation, se mirent de leur côté à l’œuvre, et composèrent un petit opéra de Pygmalion, qui alla jusqu’à être mis en répétition à je ne sais quel théâtre, mais que diverses circonstances leur firent laisser là, puis oublier. […] Desnoyers était belle et sereine, etc. » Tout l’Éloge est ainsi mis en scène ; M.  […] Mais l’Éloge de Simart, le dernier de ceux qu’Halévy a eu à prononcer, est des meilleurs ; j’y noterais à peine un ou deux endroits pour le trop de mise en scène ou la fausse élégance de l’expression ; l’analyse des travaux de l’artiste y occupe une juste place, et toute cette partie est traitée avec bien du sérieux, et cependant avec animation et vie : « Simart, au reste, ne courait pas après la popularité ; il l’attendait, non comme l’homme de la fable attendait la Fortune, mais debout et laborieux. […] Alors il cherchait l’autorité dans ses livres ; il envoyait demander tel ouvrage, puis tel autre, il faisait remuer sa bibliothèque, il allait chercher lui-même ; il y mettait une impatience à impatienter les autres : il fallait que le problème fût résolu.

1177. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Entretiens sur l’architecture par M. Viollet-Le-Duc »

Viollet-Le-Duc qui ne sont pas trop spéciaux, j’ai pensé qu’il y avait lieu de profiter d’une circonstance qui le met tout d’un coup en vue et en contact avec le public pour expliquer à ceux qui le connaissent moins, quel il est, et l’ordre d’idées qu’il représente dans l’art, dans l’histoire et l’érudition littéraire. […] Morin, en 1829, à seize ans, il se mit aussitôt à l’étude de l’architecture. […] Entré à la Sainte-Chapelle en qualité d’inspecteur vers 1840, il dut se mettre à étudier particulièrement l’architecture gothique ; il recommença, en ce sens, des voyages ; il refit des comparaisons sans nombre, et plus attentives, en France, en Allemagne, en Italie encore, et bientôt sa vocation dans ce genre fut déterminée et constatée. […] La poésie, la haute imagination se mettait de la partie et prenait les devants. […] Viollet-Le-Duc, quand il s’y mit résolument en 1840, venait donc à point pour recueillir les fruits de toute cette étude et de cette battue antérieure, pour tout comprendre dans l’examen de cette époque de l’art et en développer l’ensemble, l’organisme véritable et l’esprit.

1178. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite.) »

La jeunesse est sujette à prendre au pied de la lettre tout ce qui s’écrit ; et, ce qui doit donner à penser à ceux qui écrivent, elle met ses actions, sa personne et sa vie au bout des phrases ; elle s’embarque, corps et âme, sur la foi des paroles. […] Le poëte raconte que le cherchant à son arrivée à Paris, lors d’un premier voyage en juin 1832, et étant allé l’attendre au seuil de sa maison pour le voir au passage, il avait appris que l’illustre écrivain venait d’être condamné, mis en prison ; de là tout un éclat à la Némésis. […] Vous avez mis la terre entre nous ; n’y mettez pas le ciel, et laissez-moi l’espérance de vous rencontrer enfin là où rien ne pourra plus séparer le frère de sa sœur. » Il suivit le conseil : « Non, répondit-il, je ne mettrai pas le ciel entre nous, après y avoir mis la terre ; ce serait me condamner deux fois à l’enfer. » Il quitta Paris, « ville néfaste » ; il lui fit des adieux maudits comme jamais n’en firent le poëte Damon ni JeanJacques ; il revint à Belley un moment ; puis il alla dans le Dauphiné au sein des Alpes, dans le voisinage de sa patrie.

1179. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le comte de Gisors (1732-1758) : Étude historique, par M. Camille Rousset. »

Chamillart, ministre de la guerre, n’avait jamais osé mettre sur la liste des candidats le petit-fils de Fouquet ; mais, quand il présenta cette liste au roi, ce fut Louis XIV le premier qui lui adressa cette question : Pourquoi il n’y avait pas mis le comte de Belle-Isle ? […] Je suis trop ami de son père pour ne pas y mettre ordre au plus tôt et ne pas m’intéresser à la conservation de sa santé. » Le jeune homme était mince, de grande taille et d’une assez jolie figure. […] 70 La triste bataille de Crefeld (23 juin), où les troupes firent si bien leur devoir, mais où elles furent si mal commandées, est exposée de point en point ; et, quoique le hasard de la guerre soit aveugle, on a quelque peine à ne pas mettre sur le compte du général en chef et de ses conseillers ou, comme on disait ironiquement, de M. l’abbé et de ses novices, cette mort du comte de Gisors qui n’était plus alors colonel de Champagne, mais qui venait d’être promu au commandement des carabiniers. […] Ce pauvre seigneur a toujours eu sa connaissance ; il a mis ordre à sa conscience de lui-même. […] Quoique nous ne vivions plus aux âges antiques, ne dédaignons pas la Muse : elle seule encore est capable de mettre un dernier charme, un attrait sensible, là où était déjà l’estime.

1180. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. LE COMTE MOLÉ (Réception à l’Académie.) » pp. 190-210

Je conçois que l’Académie mette du temps et grande réserve à trier. […] Les beaux esprits, les délicats, en avançant, se mettent à convoiter ce dernier bal commode, riant, honoré. […] Mais bientôt, mis en arrestation par mesure générale avec les principaux habitants du faubourg Saint-Germain, il faillit être enveloppé dans les massacres de septembre. […] Son père ne tarda pas à être ressaisi par la loi des suspects ; compris ensuite dans la mise en jugement du parlement de Paris, il allait monter à l’échafaud. […] Le lendemain de l’exécution, sa mère, sa famille et lui, fils unique, étaient mis hors de l’hôtel Molé, et dépouillés de tout, à la lettre, par confiscation nationale.

1181. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « APPENDICE. — CASIMIR DELAVIGNE, page 192. » pp. 470-486

Schiller n’a fait sur Colomb qu’une douzaine de vers, et il y a mis une grande idée : « Courage, hardi navigateur ! […] Le voyageur se promène, à la clarté de la lune, près de Saint-Jean-de-Latran, et se met à improviser un chant romain, où s’entremêlent les noms de Brutus, de Cicéron, de Numa, de Michel-Ange, du Tasse et de Byron. […] Sans prétendre que sa pureté et son élégance l’aient partout abandonné, ce que démentiraient d’heureuses exceptions, nous lui reprocherons de les avoir mises en oubli plus souvent qu’à l’ordinaire. […] Mise en musique, chantée dans les salons, on ne se lasse point de l’entendre, ce qui prouve à l’auteur que la naïveté a bien aussi son prix. […] On s’est trop habitué de nos jours à mettre l’idée de force dans le coup de collier d’un moment et dans un va-tout ruineux.

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